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23/01/2024 | FRANCE | N°C2400002

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 23 janvier 2024, C2400002


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° T 23-81.091 FS-B


N° 00002




ECF
23 JANVIER 2024




CASSATION PARTIELLE




M. SOULARD premier président,










R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 23 JANVIER 2024




La société [2] a

formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Pau, chambre correctionnelle, en date du 10 novembre 2022, qui, pour infractions à la réglementation sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs et contr...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° T 23-81.091 FS-B

N° 00002

ECF
23 JANVIER 2024

CASSATION PARTIELLE

M. SOULARD premier président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 23 JANVIER 2024

La société [2] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Pau, chambre correctionnelle, en date du 10 novembre 2022, qui, pour infractions à la réglementation sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs et contraventions de blessures involontaires, l'a condamnée à quatre amendes de 3 500 euros chacune et deux amendes de 2 000 euros chacune, et a prononcé sur les intérêts civils.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Charmoillaux, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société [2], et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 novembre 2023 où étaient présents M. Soulard, premier président, M. Bonnal, président, M. Charmoillaux, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, M. Samuel, Mme Goanvic, MM. Sottet, Coirre, Mme Hairon, conseillers de la chambre, MM. Joly, Leblanc, Rouvière, conseillers référendaires, M. Croizier, avocat général, Mme Coste-Floret, greffier de chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre présent au prononcé,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des premier président, président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Deux salariés de l'entreprise [1] ont été blessés alors qu'ils travaillaient sur un site industriel exploité par la société [2].

3. Cette dernière a été poursuivie des chefs d'exécution de travaux par entreprise extérieure sans plan de prévention des risques préalables conforme, exécution de travaux par entreprise extérieure sans information préalable des salariés sur les risques et contraventions de blessures involontaires.

4. Le tribunal correctionnel a déclaré la société prévenue coupable de ces chefs, l'a condamnée à deux amendes et a prononcé sur les intérêts civils.

5. La société [2], les deux salariés victimes et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur les premier, quatrième, cinquième et sixième moyens

6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [2] coupable des chefs de délit d'exécution de travaux par entreprise extérieure sans plan de prévention des risques préalables conforme, de délit d'exécution de travaux par entreprise extérieure sans information préalable des salariés sur les risques et de contravention de blessures involontaires par personne morale avec incapacité n'excédant pas trois mois dans le cadre du travail, alors « que l'interdiction de cumuler les qualifications lors de la déclaration de culpabilité s'applique aux cas où un fait ou des faits identiques sont en cause et où l'une des qualifications, telles qu'elles résultent des textes d'incrimination, correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l'autre, qui seule doit alors être retenue ; que le manquement à une obligation de sécurité prévue par la loi ou le règlement est un élément constitutif de l'infraction de blessures involontaires résultant de ce manquement ; qu'en l'espèce, l'exposante avait demandé, dans ses dernières écritures d'appel à ce que l'affaire soit jugée à la lumière de l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 15 décembre 2021 (n° 21-81.864), avait soutenu que « l'élément matériel constitutif de la contravention de blessures involontaires repose directement et exclusivement sur les fautes d'inobservation du Code du travail reprochées à la prévenue », avait fait valoir que selon « les termes de la prévention, cette infraction de nature non intentionnelle est ici exclusivement basée sur des manquements à une obligation de sécurité ou de prudence prévue par le Code du travail, à savoir le fait de : 1) Ne pas avoir réalisé un plan de prévention des risques conforme ; 2) Ne pas avoir informé concrètement MM. [U] et [N] des risques auxquels ils étaient exposés » et soutenu que la cour d'appel « ne pourra donc que réformer le jugement en ce qu'il ne pouvait retenir d'infractions au Code du travail venant se cumuler avec une infraction plus générale, pour les mêmes faits » ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt qu'« il est exact, comme le relève le conseil de la société [2], que les manquements à une obligation de sécurité imposée par la loi ou le règlement, qui constituent les éléments constitutifs de la contravention de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail n'excédant pas trois mois reprochée à la prévenue, sont les infractions de défaut de plan de prévention des risques préalables conforme et de défaut d'information préalable des salariés sur les risques » ; que la cour d'appel a pourtant énoncé qu'il « n'y a pas lieu de relever en l'espèce un cumul d'infractions », que la « chambre criminelle de la Cour de cassation admet en effet constamment qu'un tel cumul est admis si les infractions retenues sanctionnent la violation d'intérêts distincts » dès lors que, au cas d'espèce, les « infractions au code du travail reprochées à la société [2] pourraient être en effet poursuivies de façon autonome et la survenance de blessures, subies par les deux victimes, constitue un fait distinct, pris en compte par la poursuite de la contravention de blessures involontaires » ; qu'en statuant ainsi pour condamner la société [2] du chef de ces trois infractions sur le fondement abandonné par la Cour de cassation de la « violation d'intérêts distincts », quand il résultait de ses propres constatations que les manquements à une obligation de sécurité imposée par la loi ou le règlement constituaient les éléments constitutifs de la contravention de blessures involontaires, critère, selon l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 15 décembre 2021 précité, de la mise en oeuvre du principe ne bis in idem, pour laquelle la société [2] était aussi condamnée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a statué par des motifs contradictoires en violation de l'article 593 du code de procédure pénale, ensemble les articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 4 du protocole n° 7 additionnel à la même Convention, article 14-7 du Pacte international de New-York relatif aux droits civils et politiques et le principe ne bis in idem. »

Réponse de la Cour

8. Pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance du principe ne bis in idem, l'arrêt attaqué énonce que les manquements à une obligation de sécurité imposée par la loi ou le règlement relevés comme éléments constitutifs de la contravention de blessures involontaires sont les infractions à la réglementation sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs poursuivies concomitamment.

9. Les juges retiennent qu'un tel cumul est toutefois admis si les infractions sanctionnent la violation d'intérêts distincts.

10. Ils ajoutent que les infractions au code du travail reprochées à la prévenue pourraient être poursuivies de façon autonome et que la survenance de blessures, subies par les deux victimes, constitue un fait distinct, pris en compte par la poursuite de la contravention de blessures involontaires.

11. C'est à tort que la cour d'appel se fonde sur l'existence d'intérêts protégés différents pour exclure la violation du principe ne bis in idem.

12. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors qu'il résulte de l'article L. 4741-1 du code du travail, en ce qu'il incrimine la méconnaissance des articles R. 4512-6 et suivants et R. 4512-15 du même code, et de l'article R. 625-2 du code pénal, réprimant la contravention de blessures involontaires, qu'aucune des trois infractions prévues par ces textes n'est un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l'une des deux autres.

13. En effet, l'article R. 625-2 du code pénal vise les fautes de maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement et non spécifiquement la méconnaissance des dispositions des articles R. 4512-6 et suivants et R. 4512-15 du code du travail comme élément constitutif de cette contravention.

14. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

15. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [2] coupable des chefs de délit d'exécution de travaux par entreprise extérieure sans plan de prévention des risques préalables conforme et de délit d'exécution de travaux par entreprise extérieure sans information préalable des salariés sur les risques, alors « que nul n'est pénalement responsable que de son propre fait ; que la responsabilité du fait du non-respect des règles de sécurité repose sur le seul employeur des salariés qui agissent sous son autorité, sauf délégation de pouvoirs en la matière ou prévision particulière de la loi attribuant cette responsabilité à un tiers ; que, devant la cour d'appel, l'exposante avait fait valoir que « l'entreprise [1] s'était vu remettre des consignes générales de sécurité dans le cadre du marché, rappelant les prescriptions à respecter sur le site en matière d'équipements de protection individuelle (port du casque, chaussures de sécurité, tenue de travail, gants adaptés, lunettes de protection) - Que le plan de prévention, signé par le représentant de l'entreprise [1], comportait des mesures de prévention pour se prémunir du risque de brûlures chimiques liés à la soude ; ? Qu'en particulier, le port des EPI était prescrit de manière générale dans tous les cas de travaux à proximité des tuyauteries, de quelque nature qu'ils soient, et sans dérogations ni distinction de code couleur ; ? Que cette mention est dépourvue d'ambiguïté au regard de l'objet des travaux, puisqu'il s'agit là de définir un périmètre de vigilance pour tous les travaux à réaliser dans l'environnement immédiat des tuyauteries, et donc bien évidemment, sur les tuyauteries elles-mêmes quelles qu'elles soient ! ? Qu'un panneau mentionnant « aluminate de soude » était apposé de manière très visible sur la cuve reliée aux tuyauteries à démanteler, ce qui a été vu par l'entreprise [1] lors de la visite d'inspection commune ; « pièce 2 photographie n° 7), et était connu des intervenants (?) ; - Qu'à partir de ces éléments, il appartient à l'employeur de choisir précisément quels sont les EPI adaptés à la tâche devant être mis à disposition de son personnel, et de veiller à leur port effectif, étant rappelé que légalement : « Chaque chef d'entreprise est responsable de l'application des mesures de prévention nécessaires à la protection des travailleurs qu'il emploie .(?) - ? Que le plan de prévention rappelait bien que cette obligation incombait à l'entreprise [1], en indiquant noir sur blanc « mesures prises par (...) EE » (acronyme d'Entreprise Extérieure, ce qui dans le jargon professionnel ne pose aucune difficulté de compréhension) ; ? Que si l'employeur de Mrs [U] et [N] ne leur a pas mis à disposition de combinaison chimique intégrale, ceux-ci étaient pour autant intégralement ouverts et disposaient bien d'EPI au moment de l'accident » ; que pour déclarer l'exposante coupable des infractions au code du travail qui lui étaient reprochées, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que la « faute éventuelle de l'entreprise extérieure mise en avant par la SAS [2] (?) n'est pas de nature à exonérer la SAS [2] de sa responsabilité pénale liée à l'absence d'évaluation et de prévention du risque de présence d'un résidus de produit toxique dans des tuyaux lui appartenant » ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si les manquements aux obligations du code du travail n'étaient pas imputables à l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 4741-1 du code du travail, ensemble les articles 121-1 et 121-4 du code pénal ainsi que le principe de responsabilité du fait personnel. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, en ce qu'il critique la déclaration de culpabilité du chef d'exécution de travaux par entreprise extérieure sans plan de prévention des risques préalables conforme

16. Pour déclarer la société prévenue coupable de ce chef, l'arrêt attaqué énonce qu'il est établi que les canalisations sur lesquelles sont intervenus les deux salariés ont été préalablement vidangées mais contenaient un résidu semi-solide susceptible de se liquéfier sous l'effet d'une source de chaleur telle que les disques de tronçonnage utilisés pour l'intervention.

17. Les juges relèvent que la société [2] n'avait pas identifié la présence et la nature de ces produits, ni envisagé les effets du tronçonnage des tuyaux sur ceux-ci.

18. Ils constatent que le plan de prévention établi par la société [2] et l'entreprise [1] ne prévoyait pas les risques liés à la présence de tels produits, ni la nécessité pour les travailleurs de porter une combinaison intégrale propre à les protéger de tout risque de projection.

19. Les juges ajoutent, par motifs adoptés des premiers juges, que la faute éventuelle de l'entreprise extérieure n'est pas de nature à exonérer la prévenue de sa responsabilité pénale liée à l'absence d'évaluation et de prévention du risque de présence de produits toxiques dans des tuyaux lui appartenant.

20. En se déterminant ainsi, par des motifs caractérisant sans insuffisance ni contradiction la méconnaissance d'une obligation imposée à l'entreprise utilisatrice par les articles R. 4512-6 et suivants du code du travail, la cour d'appel a justifié sa décision.

Mais sur le moyen, en ce qu'il critique la déclaration de culpabilité du chef d'exécution de travaux par entreprise extérieure sans information préalable des salariés sur les risques

Vu les articles L. 4741-1, R. 4512-15 du code du travail et 593 du code de procédure pénale :

21. Il résulte des deux premiers de ces textes qu'est incriminé, sous la qualification d'exécution de travaux par entreprise extérieure sans information préalable des salariés sur les risques, le fait, pour le chef de l'entreprise extérieure, d'omettre de faire connaître à l'ensemble des travailleurs qu'il affecte à l'exécution d'une opération dans un établissement d'une entreprise utilisatrice les dangers spécifiques auxquels ils sont exposés et les mesures de prévention prises en application de la réglementation.

22. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

23. Pour déclarer la société [2] coupable, l'arrêt attaqué énonce que le risque de projections de produits chimiques n'ayant été ni identifié ni évalué, la prévenue a manqué à son obligation d'information des salariés des entreprises extérieures sur ce point.

24. En se déterminant ainsi, sans caractériser la qualité d'entreprise extérieure de la prévenue ni rechercher si les manquements reprochés pouvaient le cas échéant relever d'une autre qualification imputable à l'entreprise utilisatrice, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

25. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

26. La cassation sera limitée à la déclaration de culpabilité du chef d'exécution de travaux par entreprise extérieure sans information préalable des salariés sur les risques et aux peines prononcées pour ce délit. Les autres dispositions seront donc maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Pau, en date du 10 novembre 2022, mais en ses seules dispositions ayant déclaré la société [2] coupable du chef d'exécution de travaux par entreprise extérieure sans information préalable des salariés sur les risques et l'ayant condamnée à deux amendes de 3 500 euros chacune pour ce délit, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Toulouse, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Pau et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le Premier président en son audience publique du vingt-trois janvier deux mille vingt-quatre,

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le premier président, le rapporteur et Mme Boudalia, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : C2400002
Date de la décision : 23/01/2024
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Analyses

CHOSE JUGEE


Références :

Publié au bulletin

Décision attaquée : Cour d'appel de Pau, 10 novembre 2022


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 23 jan. 2024, pourvoi n°C2400002


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard
Avocat(s) : SARL Cabinet Rousseau et Tapie

Origine de la décision
Date de l'import : 30/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:C2400002
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