LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 janvier 2024
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 2 FS-B
Pourvoi n° C 22-15.661
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 JANVIER 2024
1°/ Mme [W] [L], domiciliée [Adresse 1],
2°/ Mme [R] [I], épouse [L], domiciliée [Adresse 4],
ont formé le pourvoi n° C 22-15.661 contre l'arrêt rendu le 14 décembre 2021 par la cour d'appel d'Amiens (chambre baux ruraux), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [U] [V], domicilié [Adresse 3],
2°/ à M. [M] [V], domicilié [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Davoine, conseiller référendaire, les observations écrites de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mmes [L] et [I], de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de MM. [U] et [M] [V], les plaidoiries de Me Rocheteau, avocat de Mmes [L] et [I] et celles de Me Feschotte-Desbois, avocat de MM. [U] et [M] [V], et l'avis de M. Sturlèse, avocat général, après débats en l'audience publique du 21 novembre 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Davoine, conseiller référendaire rapporteur, M. David, conseiller doyen, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, Mme Proust, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mme Gallet, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, M. Sturlèse, avocat général, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 14 décembre 2021), le 25 mars 2014, Mmes [I] et [L] (les bailleresses), propriétaires d'un fonds rural donné à bail à M. [U] [V], lui ont délivré un congé en raison de l'âge.
2. Par jugement du 18 mai 2015, assorti de l'exécution provisoire, confirmé par arrêt du 12 septembre 2017, la cession du bail à M. [M] [V], fils de M. [U] [V], a été autorisée et le congé a été annulé.
3. Le 30 novembre 2015, les bailleresses ont délivré à M. [U] [V] un congé pour reprise à effet au 30 septembre 2018.
4. Le 17 février 2016, M. [U] [V] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en annulation du congé. M. [M] [V] est intervenu à l'instance.
5. L'acte de cession du bail a été conclu le 11 avril 2018.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. Les bailleresses font grief à l'arrêt de rejeter l'intégralité de leurs demandes, de prononcer la nullité du congé délivré le 30 novembre 2015 et de constater que le bail cédé à M. [M] [V] s'est tacitement renouvelé à son profit à compter du 30 septembre 2018, alors « que le destinataire du congé est le preneur à bail à la date de sa délivrance ; que l'autorisation de céder le bail, fût-elle donnée par le tribunal, ne vaut pas réalisation de la cession ; qu'en conséquence, seule une cession, qui transfert la qualité de preneur au cessionnaire, effective avant la délivrance du congé et opposable au bailleur impose que le cessionnaire en soit le destinataire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté d'une part, que le congé pour reprise avait été délivré à [U] [V] le 30 novembre 2015 et, d'autre part, que la cession entre [U] [V] et son fils, [M], est intervenue par acte authentique du 11 avril 2018 ; qu'en retenant, pour statuer comme elle l'a fait, que le congé a été délivré à [U] [V] seul et non à [M] [V], nonobstant le fait que le tribunal paritaire des baux ruraux d'Amiens avait, par jugement du 18 avril 2015 assorti de l'exécution provisoire, autorisé la cession du bail à son profit, quand elle avait par ailleurs constaté qu'à la date de la délivrance du congé, la cession n'avait pas encore été réalisée, la cour d'appel a violé les articles L. 411-47 et L. 411-58 du code rural et de la pêche maritime ensemble l'article L. 411-35 du même code et l'article 1690 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1216 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, L. 411-35, alinéa 1, L. 411-47, alinéa 1, et L. 411-58, alinéa 1, du code rural et de la pêche maritime :
7. Aux termes du premier de ces textes, un contractant, le cédant, peut céder sa qualité de partie au contrat à un tiers, le cessionnaire, avec l'accord de son cocontractant, le cédé. Cet accord peut être donné par avance, notamment dans le contrat conclu entre les futurs cédant et cédé, auquel cas la cession produit effet à l'égard du cédé lorsque le contrat conclu entre le cédant et le cessionnaire lui est notifié ou lorsqu'il en prend acte. La cession doit être constatée par écrit, à peine de nullité.
8. Selon le deuxième, toute cession de bail est interdite, sauf si la cession est consentie, avec l'agrément du bailleur, au profit du conjoint ou du partenaire d'un pacte civil de solidarité du preneur participant à l'exploitation ou aux descendants du preneur ayant atteint l'âge de la majorité ou ayant été émancipés. A défaut d'agrément du bailleur, la cession peut être autorisée par le tribunal paritaire.
9. Il en résulte que la cession du bail rural, même autorisée en justice, ne produit effet à l'égard du bailleur que si, conformément à l'article 1216 du code civil, il est partie à l'acte de cession, si l'acte lui est notifié ou s'il en prend acte.
10. Aux termes du dernier de ces textes, le bailleur a le droit de refuser le renouvellement du bail s'il veut reprendre le bien loué pour lui-même ou au profit de son conjoint, du partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité, ou d'un descendant majeur ou mineur émancipé.
11. Aux termes du troisième, le propriétaire qui entend s'opposer au renouvellement doit notifier congé au preneur, dix-huit mois au moins avant l'expiration du bail, par acte extrajudiciaire.
12. La qualité de preneur du destinataire du congé s'apprécie à la date de sa délivrance.
13. Pour annuler le congé pour reprise du 30 novembre 2015, l'arrêt retient qu'il a été délivré à M. [U] [V] seul, et non à M. [M] [V], alors que le tribunal paritaire des baux ruraux avait, par jugement du 18 mai 2015, assorti de l'exécution provisoire, autorisé la cession du bail au profit de ce dernier, que cette décision avait été ultérieurement confirmée par la cour d'appel, par arrêt du 12 septembre 2017 et que l'acte de cession est intervenu entre les parties par acte authentique du 11 avril 2018.
14. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait de ces constatations qu'à la date de délivrance du congé, aucune cession opposable aux bailleresses n'était intervenue, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de sursis à statuer, l'arrêt rendu le 14 décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Condamne MM. [U] et [M] [V] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par MM. [U] et [M] [V] et les condamne in solidum à payer à Mmes [I] et [L] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze janvier deux mille vingt-quatre.