LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 7 décembre 2023
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 804 F-D
Pourvoi n° U 22-19.977
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 DÉCEMBRE 2023
La commune de [Localité 2], représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité en [Adresse 3], a formé le pourvoi n° U 22-19.977 contre l'arrêt rendu le 7 juillet 2022 par la cour d'appel de Douai (chambre 1, section 2), dans le litige l'opposant à la société Dunotel, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de Me Soltner, avocat de la commune de [Localité 2], de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société Dunotel, après débats en l'audience publique du 24 octobre 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 7 juillet 2022), par acte du 9 avril 2010, la commune de [Localité 2] (la commune) s'est engagée à consentir à la société GHM, sous certaines conditions suspensives, un bail à construction d'une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans, pour la construction d'un hôtel.
2. Par avenant du 20 avril 2011, les parties ont décidé que le bail devrait être réitéré en la forme authentique au plus tard le 20 avril 2014, à peine de caducité. Elles ont également stipulé une condition suspensive d'obtention d'un prêt au bénéfice de la société Dunotel, substituée à la société GHM.
3. Par avenant du 2 mai 2013, la commune et la société Dunotel sont convenues que la condition suspensive d'obtention d'un prêt devrait être réalisée dans un délai de dix-huit mois à compter de cet acte et dans un délai de six mois après l'obtention d'une décision judiciaire de dernière instance devenue définitive rejetant les recours à l'encontre du permis de construire du 7 décembre 2010. Il a également été stipulé que les autres conditions de l'acte du 20 avril 2011 demeuraient inchangées.
4. La commune s'étant prévalue de la caducité de la promesse de bail, faute de réitération au 20 avril 2014, la société Dunotel l'a assignée en exécution forcée et dommages-intérêts.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
5. La commune fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société Dunotel la somme de 471 177 euros à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter du jugement, et de la condamner à payer à la société Dunotel la somme de 516 909,11 euros à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 8 août 2014 et ordonné la capitalisation des intérêts échus dus pour une année entière, alors :
« 1°/ qu'en application de l'article 1176 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, lorsque, dans une promesse synallagmatique de contrat, un délai est prévu pour la réalisation de la condition suspensive et qu'à la date prévue pour la réitération par acte authentique, cette condition n'est pas accomplie, la promesse est caduque ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé qu'à la date prévue pour la réitération de la promesse par acte authentique, « la seule condition suspensive restant à lever était celle relative au financement du projet » de sorte qu'elle constatait ainsi qu'à la date prévue pour la réitération de la promesse par acte authentique toutes les conditions suspensives assorties d'un délai n'avaient pas été levées ; qu'en jugeant pourtant que la caducité de l'acte n'était encourue que du seul fait du défaut de sa réitération par acte authentique et non du fait de l'absence de réalisation de l'une des conditions suspensives, la cour d'appel n'a pas tiré de ses constatations les conséquences légales qui s'en évinçaient et a, ce faisant, violé les articles 1134 et 1176 du code civil ;
2°/ que si par principe, la défaillance d'une condition suspensive affectant une promesse synallagmatique de contrat entraîne sa caducité dont seule peut se prévaloir la partie dans l'intérêt exclusif de laquelle cette condition a été stipulée et à laquelle elle peut renoncer, il n'en est pas ainsi lorsque les parties ont stipulé, à peine de caducité, un délai pour la réitération du contrat promis par acte authentique ; qu'en pareille hypothèse, lorsque à la date prévue pour la réitération du contrat promis par acte authentique la condition suspensive affectée d'un délai n'est pas satisfaite, il ne peut plus y être renoncé et chacune des parties peut se prévaloir de la caducité en résultant ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé qu'à la date prévue pour la réitération de la promesse par acte authentique, « la seule condition suspensive restant à lever était celle relative au financement du projet » ; que pourtant, pour juger que la caducité de l'acte n'était encourue que du seul fait du défaut de sa réitération par acte authentique et non du fait de l'absence de réalisation de l'une des conditions suspensives, elle a énoncé que la condition suspensive d'obtention d'un prêt avait été stipulée en faveur du preneur de sorte que la ville de [Localité 2] ne pouvait s'en prévaloir ; qu'en statuant ainsi, alors que chacune des parties pouvait se prévaloir de la caducité de la promesse faute de satisfaction de l'ensemble des conditions suspensives à la date prévue pour la réitération par acte authentique du contrat promis, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1176 du code civil. »
Réponse de la Cour
6. La cour d'appel a constaté que, selon la convention des parties, la promesse de bail serait caduque à défaut de réitération de l'acte en la forme authentique dans un délai de trente-six mois courant à compter du 20 avril 2011.
7. Elle a également constaté que la condition suspensive tenant à l'obtention d'un prêt pouvait être levée jusqu'à six mois après l'obtention d'une décision judiciaire de dernière instance devenue définitive rejetant les recours à l'encontre du permis de construire et que, le délai n'étant pas expiré le 20 avril 2014, seule cette condition restait à lever à cette date.
8. N'ayant constaté la défaillance d'aucune condition suspensive dans les délais assortissant ces conditions, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que la promesse de bail n'était devenue caduque que du fait de l'expiration du délai convenu entre les parties pour réitérer l'acte en la forme authentique, abstraction faite des motifs critiqués par la deuxième branche.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le moyen, pris en ses deux dernières branches
Enoncé du moyen
10. La commune fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 3°/ que la bonne foi est toujours présumée ; que si le défaut d'exécution de bonne foi d'une promesse de contrat peut donner lieu à l'octroi de dommages et intérêts, encore faut-il que la mauvaise foi soit caractérisée par l'usage de manoeuvres déloyales ; que n'exécute pas le contrat de mauvaise foi le promettant qui indique au bénéficiaire de la promesse qu'il envisage de proroger le délai fixé pour la réitération de celle-ci par acte authentique alors qu'il se trouve placé dans l'impossibilité matérielle d'y procéder ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, ainsi que le constate la cour, la ville de [Localité 2] concluait que le parallélisme des formes devait être respecté et qu'elle était dans l'impossibilité de réunir le conseil municipal dans le délai de 15 jours entre son élection et le terme de la promesse ; que pour écarter cet argument et juger que c'est à juste titre que les premiers juges avaient considéré qu'en effectuant aucune démarche pour obtenir la signature de l'acte authentique et en invoquant la caducité de la promesse, la ville de Dunkerque n'avait pas exécuté la promesse de bonne foi, la cour d'appel se borne à énoncer que, par un courrier postérieur au délai fixé pour la réitération de la promesse par acte authentique, la ville de Dunkerque aurait manifesté le souhait de ne plus mener le projet tel qu'il avait été conçu ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la mauvaise foi de la ville de Dunkerque dans l'exécution de la promesse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil ;
4°/ que la ville de Dunkerque n'avait aucune obligation de reporter la date initialement prévue pour la réitération de l'acte sous forme authentique, et n'avait pris aucun engagement de le faire, en sorte qu'en lui reprochant d'avoir laissé croire à la société Dunotel que la date de réitération de l'acte sous forme authentique serait reportée, ce qui ne pouvait caractériser une manoeuvre visant à éluder l'une de ses obligations, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1147 du code civil. »
Réponse de la Cour
11. Sous le couvert de griefs non fondés de manque de base légale et de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine, par la cour d'appel, de la mauvaise foi de la commune.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la commune de [Localité 2] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la commune de [Localité 2] et la condamne à payer à la société Dunotel la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille vingt-trois.