LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 octobre 2023
Annulation sans renvoi
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 665 F-B
Pourvoi n° Q 21-11.574
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 11 OCTOBRE 2023
M. [Z] [R], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 21-11.574 contre l'arrêt rendu le 3 décembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 8), dans le litige l'opposant au comptable de la direction des créances spéciales du Trésor, domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lion, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boullez, avocat de M. [R], de la SCP Foussard et Froger, avocat du comptable de la direction des créances spéciales du Trésor, après débats en l'audience publique du 29 août 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Lion, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 décembre 2020), par lettre du 8 mars 2019, la direction des créances spéciales du Trésor a adressé à M. [R] un instrument uniformisé émanant des autorités allemandes, permettant le recouvrement d'une créance fiscale en application de la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010 concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures.
2. M. [R] a assigné l'administration fiscale aux fins d'obtenir l'annulation de cet instrument uniformisé devant le juge de l'exécution d'un tribunal de grande instance, qui a déclaré sa demande irrecevable.
Examen du moyen
Sur le moyen, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable la demande d'annulation de la notification de l'instrument uniformisé européen par l'Etat français
Enoncé du moyen
3. M. [R] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande d'annulation de la notification par l'Etat français de l'instrument uniformisé, alors « qu'en cas d'assistance au recouvrement pour toute créance visée à la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010, l'émission d'un instrument uniformisé permettant l'adoption de mesures exécutoires dans l'Etat membre requis est subordonnée à la condition que la créance faisant l'objet du titre de recouvrement ait été préalablement notifiée au débiteur dans la langue de l'Etat requis de telle manière qu'il soit en mesure de la contester utilement par l'exercice d'un recours juridictionnel effectif auprès des juridictions de l'Etat requérant ; qu'il s'ensuit que le droit à un recours juridictionnel effectif et le droit à un procès équitable imposent au juge de l'exécution de l'Etat requis de refuser d'accorder son assistance à l'Etat requérant dès lors que le débiteur n'a pas été en mesure de contester utilement la créance qui ne lui a pas été notifié régulièrement, à défaut d'avoir été informé des motifs qui fondaient cette créance dans la langue de l'Etat requis qu'il comprenait, préalablement à l'émission de l'instrument uniformisé ; qu'en considérant, sur le fondement de l'article L. 283 C du livre des procédures fiscales, qu'il ne lui appartenait pas de se prononcer sur la régularité de la notification préalable de la décision administrative allemande du 30 août 2018, en l'absence de mesures conservatoires ou d'exécution prises en France sur le fondement de l'instrument uniformisé, ou de contestation portant sur la régularité de la notification de l'instrument uniformisé, quand M. [R] a soutenu à cet égard que le Finanzmat lui avait notifié une créance d'un montant de 633 949,73 euros par une décision du 30 août 2018 non traduite, dans des conditions qui ne lui ont pas permis d'exercer en temps utile un recours juridictionnel effectif, la cour d'appel a violé les articles 6 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article L. 283 C, V et VI, du livre des procédures fiscales »
Réponse de la Cour
4. La cour d'appel n'ayant pas, contrairement aux allégations du moyen, statué sur une demande d'annulation de la notification par les autorités françaises de l'instrument uniformisé émis par les autorités allemandes, dont elle n'était pas saisie, le moyen doit être rejeté.
Mais sur le moyen d'incompétence relevé d'office
5. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 76, alinéa 2, du même code.
Vu l'article R. 283 C-3 du livre des procédures fiscales :
6. Il résulte de ce texte, qui transpose l'article 14, § 2, de la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010 concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures, que la contestation relative à la validité de l'instrument uniformisé permettant l'adoption de mesures exécutoires dans l'Etat membre requis est portée par son destinataire devant l'instance compétente de l'Etat membre requérant.
7. L'arrêt relève que la demande formée par M. [R] tend à l'annulation de l'instrument uniformisé émanant des autorités allemandes en soutenant que la décision administrative allemande du 30 août 2018 à l'origine de la demande d'assistance mutuelle au recouvrement ne lui a pas été régulièrement notifiée.
8. Il s'en déduit que cette contestation, qui porte sur la validité de l'instrument uniformisé, relève de la compétence de l'instance allemande compétente.
9. Il convient, dès lors, d'annuler l'arrêt attaqué, de constater l'incompétence des juridictions françaises pour statuer sur cette contestation et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y a lieu de statuer sur le moyen en tant qu'il fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable la demande d'annulation de l'instrument uniformisé, la Cour :
ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 décembre 2020, par la cour d'appel de Paris ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi ;
Déclare les juridictions françaises incompétentes ;
Renvoie les parties à mieux se pourvoir ;
Condamne M. [R] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [R] ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze octobre deux mille vingt-trois, et signé par lui et M. Mollard, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux articles 452 et 456 du code de procédure civile.