LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° M 22-85.520 F-D
N° 00976
ECF
12 SEPTEMBRE 2023
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 12 SEPTEMBRE 2023
M. [R] [G], Mmes [B] [I] et [O] [W], la société Matériel médical 77 et la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne, partie civile, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-11, en date du 8 septembre 2022, qui, pour escroquerie, a condamné les trois premiers à 5 000 euros d'amende dont 3 000 euros avec sursis, la quatrième à 5 000 euros d'amende et a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la cinquième.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Coirre, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [R] [G], Mmes [B] [I], [O] [W] et de la société Matériel médical 77, et les conclusions de M. Desportes, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 27 juin 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Coirre, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. La caisse primaire d'assurance maladie (la CPAM) de Seine-et-Marne a déposé plainte après des suspicions de remboursement de prestations fictives à la société Matériel médical 77 (la société), installée à [Localité 1].
3. La société, M. [R] [G], son gérant de droit à l'époque des faits visés par la prévention, Mme [O] [W], sa gérante de fait sur la même période, Mme [B] [I], associée, et Mme [C] [M], commerciale, ont été convoqués devant le tribunal correctionnel du chef d'escroquerie en bande organisée.
4. Par jugement du 23 octobre 2017, les juges du premier degré ont renvoyé le ministère public à mieux se pourvoir, après avoir estimé que l'affaire n'était pas en état d'être jugée et qu'un supplément d'information était nécessaire.
5. Le ministère public a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le moyen proposé pour M. [G], Mmes [I] et [W], ainsi que pour la société, pris en ses première et deuxième branches, et le moyen proposé pour la CPAM, pris en sa première branche
6. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission des pourvois au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le moyen proposé pour M. [G], pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [G] coupable des faits d'escroquerie commis à l'encontre d'un organisme social (la caisse primaire d'assurance maladie 77) et l'a condamné à une peine d'amende partiellement assortie d'un sursis, alors :
« 3°/ que l'escroquerie est le fait, soit par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par l'abus d'une qualité vraie, soit par l'emploi de manoeuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge ; qu'en déclarant M. [G] coupable de ce délit après avoir seulement relevé qu'il revenait chaque mois vérifier les comptes et l'activité de la société dont il connaissait les difficultés financières et qu'il était gérant de droit, sans lui imputer aucun acte matériel en lien avec la prévention, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 313-1 du code pénal. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 121-1 du code pénal :
8. Il résulte de ce texte que nul n'est responsable pénalement que de son propre fait.
9. Pour déclarer M. [G] coupable d'escroquerie, l'arrêt attaqué énonce que, tout en étant domicilié depuis plusieurs années sur la côte atlantique, il était le dirigeant de droit de la société depuis sa création et à l'époque des faits auxquels il a affirmé être étranger pour ne pas avoir exercé la direction de cette personne morale durant la période visée par la prévention, fonction que remplissait Mme [W].
10. Les juges constatent qu'il était, avec celle-ci, l'actionnaire principal de la société dont les associés, avec les salariés, étaient porteurs de parts dans diverses autres sociétés communes.
11. Ils retiennent que le nombre limité de salariés, la proximité et le rôle de chacun, en particulier de Mmes [I] et [W], montrent que ces dernières ne pouvaient ignorer les pratiques frauduleuses utilisées.
12. Ils observent que M. [G] revenait chaque mois vérifier les comptes et l'activité de la société et qu'il a admis avoir été informé de ses difficultés entre 2011 et 2015, les attribuant à des charges salariales trop élevées.
13. En se déterminant ainsi, sans établir la participation personnelle de M. [G] aux faits d'escroquerie qui lui étaient imputés, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
14. La cassation est, par conséquent, encourue de ce chef.
Et sur le moyen proposé pour la CPAM, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
15. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la constitution de partie civile de la CPAM de Seine-et-Marne en cause d'appel irrecevable, alors :
« 2°/ que lorsque la cour d'appel statue sur l'appel d'un jugement ayant omis de prononcer sur l'action civile, elle doit annuler ce jugement, évoquer et statuer à nouveau conformément à l'article 520 du code de procédure pénale, en remplissant la mission des premiers juges et par suite, prononcer sur l'action civile ; que l'absence d'appel de la partie civile ne l'exonère pas de cet office ; qu'en déclarant la constitution de partie civile de la CPAM de Seine-et-Marne irrecevable, faute d'appel, quand l'omission des premiers juges de statuer sur la constitution de partie civile lui imposait d'annuler le jugement, d'évoquer et de se prononcer sur la constitution de partie civile de la CPAM, les juges du fond ont violé l'article 520 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 520 du code de procédure pénale :
16. En premier lieu, les dispositions de ce texte ne sont pas limitatives et s'étendent aux cas où, comme en l'espèce, le tribunal s'est, à tort, dessaisi de la poursuite.
17. En second lieu, il résulte de ce texte que, lorsque la cour d'appel réforme une telle décision sur le seul appel du ministère public ou du prévenu et évoque, elle doit remplir directement la mission des premiers juges et, par suite, même en l'absence d'appel de la partie civile, statuer tant sur l'action pénale que sur l'action civile.
18. Pour déclarer irrecevable la constitution de partie civile de la CPAM, l'arrêt attaqué énonce qu'elle n'a pas interjeté appel du jugement.
19. En prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus rappelés.
20. Par conséquent, la cassation est de nouveau encourue.
Portée et conséquences de la cassation
21. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à la déclaration de culpabilité de M. [G] du chef d'escroquerie, à la peine prononcée à son encontre et à la déclaration d'irrecevabilité de la constitution de partie civile de la CPAM. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 8 septembre 2022, mais en ses seules dispositions relatives à la déclaration de culpabilité de M. [G] du chef d'escroquerie, à la peine prononcée à son encontre et à la déclaration d'irrecevabilité de la constitution de partie civile de la CPAM, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du douze septembre deux mille vingt-trois.