LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 21 juin 2023
Cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 429 FS-B
Pourvoi n° D 21-20.396
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 21 JUIN 2023
M. [Y] [H], domicilié [Adresse 4], a formé le pourvoi n° D 21-20.396 contre l'arrêt rendu le 1er juin 2021 par la cour d'appel de Rennes (1re chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [R] [D], domiciliée [Adresse 1],
2°/ à M. [M] [H], domicilié [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Buat-Ménard, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [Y] [H], de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de Mme [D], et l'avis de M. Sassoust, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 mai 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Buat-Ménard, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mmes Antoine, Poinseaux, M. Fulchiron, Mmes Dard, Beauvois, Agostini, conseillers, M. Duval, Mme Daniel, conseillers référendaires, M. Sassoust, avocat général, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 1er juin 2021), [W] [O] [F] est décédée le 3 juillet 2010, en laissant pour lui succéder ses enfants, MM. [Y] et [M] [H], et en l'état d'un testament authentique reçu le 4 juin 2010 et instituant Mme [D] légataire des biens et droits immobiliers dont elle était propriétaire à [Localité 5], sis [Adresse 1] et [Adresse 3].
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
2. M. [Y] [H] fait grief à l'arrêt de dire que Mme [D] a le droit de disposer et de jouir de l'appartement situé [Adresse 1], depuis le 3 juillet 2010, de rejeter les demandes de MM. [H] en paiement d'une indemnité pour l'occupation de ce bien par Mme [D] à compter de cette date et de condamner celle-ci au paiement d'une indemnité de réduction, alors « que le légataire particulier qui n'a pas la qualité d'héritier réservataire est tenu en toute hypothèse de solliciter la délivrance de la chose léguée ; qu'en retenant, pour écarter la prescription soulevée par les consorts [H] et les débouter de leur demande d'indemnité d'occupation, que Mme [D] n'avait pas à solliciter la délivrance du legs de l'appartement situé [Adresse 1], à [Localité 5], dès lors que "le légataire mis en possession du bien légué par le testateur avant le décès de celui-ci et qui se maintient en possession après ce décès n'est pas tenu de faire une demande de délivrance pour bénéficier de la pleine jouissance du bien légué", la cour d'appel a violé l'article 1014 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1014 du code civil :
3. Il résulte de ce texte que, si le légataire particulier devient, dès l'ouverture de la succession, propriétaire de la chose léguée, il est néanmoins tenu, pour faire reconnaître son droit, de demander la délivrance du legs, peu important qu'il ait été mis en possession de cette chose par le testateur avant son décès.
4. Pour rejeter les demandes de MM. [H] tendant à voir constater la prescription de la délivrance du legs de l'appartement sis à [Adresse 1] et à voir condamner Mme [D] au paiement d'une indemnité d'occupation, l'arrêt retient qu'il ressort des dispositions de l'article 1014, alinéa 2, du code civil que le légataire qui est mis en possession du bien légué par le testateur avant le décès de celui-ci et qui se maintient en possession après ce décès n'est pas tenu de demander la délivrance pour bénéficier de la pleine jouissance du bien légué et qu'en conséquence, c'est en vain que MM. [H] soulèvent le moyen tiré de la prescription de l'action en délivrance.
5. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. M. [Y] [H] fait grief à l'arrêt de dire que l'action en délivrance du legs portant sur le local commercial situé [Adresse 3], à [Localité 5] est prescrite dans le sens où Mme [D] n'a aucun droit sur les revenus nets produits par ce bien depuis le décès de [W] [O] [F] et avant la demande de délivrance, de fixer la date de la demande de délivrance de ce bien au 29 septembre 2017 et de dire que Mme [D] a le droit de percevoir les revenus nets produits par ce bien à compter de cette date, alors « que le bénéficiaire d'un legs à titre particulier qui s'abstient d'en solliciter la délivrance dans le délai de prescription est privé de tout droit sur la chose léguée ; qu'en retenant, d'une part, que Mme [D] n'avait pas formé de demande de délivrance du legs portant sur le local commercial situé [Adresse 3] dans le délai de 5 ans après le décès de [W] [O] [F] et qu'elle était donc prescrite, et, d'autre part, que les conclusions de Mme [D] du 29 septembre 2017 valaient demande de délivrance des legs et que cette dernière était donc créancière des loyers nets produits par le local commercial à compter de cette date, la cour d'appel a violé les articles 1014 et 2219 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1014, alinéa 2, et 2219 du code civil :
7. Aux termes du premier de ces textes, le légataire particulier ne pourra se mettre en possession de la chose léguée, ni en prétendre les fruits ou intérêts, qu'à compter du jour de sa demande en délivrance, formée suivant l'ordre établi par l'article 1011, ou du jour auquel cette délivrance lui aurait été volontairement consentie.
8. Le second dispose :
« La prescription extinctive est un mode d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps. »
9. Il en résulte que, lorsque l'action en délivrance du légataire particulier est atteinte par la prescription, celui-ci, qui ne peut plus se prévaloir de son legs, ne peut prétendre aux fruits de la chose léguée.
10. Après avoir dit que l'action en délivrance du legs portant sur le local commercial sis à [Adresse 3] était prescrite, l'arrêt retient que Mme [D] est créancière des loyers nets produits par le local commercial à compter du 29 septembre 2017, date de ses conclusions devant le premier juge valant demande de délivrance des legs.
11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
12. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions visées par les premier et deuxième moyens entraîne la cassation de l'ensemble des chefs de dispositif de l'arrêt, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée ;
Condamne Mme [D] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [D] et la condamne à payer à M. [Y] [H] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un juin deux mille vingt-trois.