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22/03/2023 | FRANCE | N°21-16476

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 22 mars 2023, 21-16476


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 22 mars 2023

Cassation

Mme GUIHAL, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 193 FS-B

Pourvoi n° T 21-16.476

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 22 MARS 2023

Mme [K] [S], domiciliée

[Adresse 2], a formé le pourvoi n° T 21-16.476 contre l'arrêt rendu le 4 mars 2021 par la cour d'appel de Colmar (chambre 12), dans le litige l'op...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 22 mars 2023

Cassation

Mme GUIHAL, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 193 FS-B

Pourvoi n° T 21-16.476

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 22 MARS 2023

Mme [K] [S], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° T 21-16.476 contre l'arrêt rendu le 4 mars 2021 par la cour d'appel de Colmar (chambre 12), dans le litige l'opposant à la société Banque populaire Alsace-Lorraine-Champagne, société coopérative de banque à forme anonyme et capital variable, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La société Banque populaire Alsace-Lorraine-Champagne a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de Mme [S], de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Banque populaire Alsace-Lorraine-Champagne, et l'avis de M. Poirret, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 7 février 2023 où étaient présents Mme Guihal, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire rapporteur, M. Hascher, conseiller le plus ancien faisant fonction de conseiller doyen, MM. Bruyère, Ancel, conseillers, Mmes Kloda, Champ, conseillers référendaires, M. Poirret, premier avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 4 mars 2021), par acte notarié du 4 décembre 2009, la société Banque populaire d'Alsace, aux droits de laquelle se trouve la société Banque populaire d'Alsace-Lorraine-Champagne (la banque), a consenti à Mme [S] (l'emprunteuse) un prêt immobilier en francs suisses, garanti par une hypothèque et comportant une clause de soumission à l'exécution forcée immédiate.

2. A la suite du défaut de paiement des échéances de ce prêt, la banque a délivré à l'emprunteuse un commandement aux fins de vente forcée.

3. Le 17 février 2020, le tribunal de l'exécution forcée en matière immobilière a ordonné la vente forcée des immeubles garantis, fixé le montant de la créance de la banque et commis un notaire pour précéder à l'adjudication.

4. L'emprunteuse a formé un pourvoi immédiat.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. L'emprunteuse fait grief à l'arrêt d'ordonner l'adjudication forcée des immeubles inscrits au bureau foncier de [Localité 3] pour avoir paiement d'une certaine somme, de commettre un notaire pour procéder à l'adjudication publique et de dire que l'ordonnance tiendrait lieu de saisie des immeubles et que le bureau foncier de [Localité 3] serait requis d'inscrire la mention de vente forcée, alors « que le juge écarte d'office l'application d'une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat ; qu'est abusive la clause d'un prêt, conclu entre un établissement prêteur professionnel et un consommateur, par laquelle le créancier s'autorise, en raison d'un manquement du débiteur à son obligation de rembourser une seule échéance du prêt au jour prévu, de prononcer la déchéance du terme sans mise en demeure préalable et immédiatement, sans préavis d'une durée raisonnable ni mécanisme de nature à permettre la régularisation d'un tel retard de paiement ; que selon l'article 4 des conditions générales du prêt conclu entre madame [S] et la Banque Populaire Alsace, "si bon semble à la Banque, toutes les sommes restant dues au titre du prêt en principal, majorées des intérêts échus et non payés deviennent immédiatement exigibles, sans sommation ni mise en demeure et malgré toutes offres et consignations ultérieures en cas de non-paiement d'une échéance à bonne date" ; qu'en n'écartant pas d'office l'application d'une telle clause, qui revêtait un caractère abusif, la cour d'appel a violé les articles L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable à l'espèce, devenu L. 212-1 du même code depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, et R. 632-1 du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :

6. Selon ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L'appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible.

7. La Cour de justice des Communautés européennes devenue la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que le juge national était tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il disposait des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considérait une telle clause comme étant abusive, il ne l'appliquait pas, sauf si le consommateur s'y opposait (CJCE, arrêt du 4 juin 2009, Pannon GSM, C-243/08).

8. Par arrêt du 26 janvier 2017 (CJUE, arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus, C-421/14), la CJUE a dit pour droit que l'article 3, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 devait être interprété en ce sens que s'agissant de l'appréciation par une juridiction nationale de l'éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, il incombait à cette juridiction d'examiner si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépendait de l'inexécution par le consommateur d'une obligation qui présentait un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté était prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêtait un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, si ladite faculté dérogeait aux règles de droit commun applicables en la matière en l'absence de dispositions contractuelles spécifiques et si le droit national prévoyait des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l'application d'une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt.

9. Par arrêt du 8 décembre 2022 (CJUE, arrêt du 8 décembre 2022, caisse régionale de Crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre-Ouest, C-600/21), elle a dit pour droit que l'arrêt précité devait être interprété en ce sens que les critères qu'il dégageait pour l'appréciation du caractère abusif d'une clause contractuelle, notamment du déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat que cette clause créait au détriment du consommateur, ne pouvaient être compris ni comme étant cumulatifs ni comme étant alternatifs, mais devaient être compris comme faisant partie de l'ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat concerné, que le juge national devait examiner afin d'apprécier le caractère abusif d'une clause contractuelle.

10. Par ailleurs, après avoir relevé que la clause contractuelle en exécution de laquelle la banque avait, dans le cas qui lui était soumis, prononcé la déchéance du terme, n'apparaissait pas relever de la notion d'« objet principal du contrat », ce qu'il appartenait à la juridiction de renvoi de vérifier (points 47 et 48), elle a dit pour droit que l'article 3, § 1, et l'article 4 de la directive 93/13 devaient être interprétés en ce sens que, sous réserve de l'applicabilité de l'article 4, § 2, de cette directive, ils s'opposaient à ce que les parties à un contrat de prêt y insèrent une clause qui prévoyait, de manière expresse et non équivoque, que la déchéance du terme de ce contrat pouvait être prononcée de plein droit en cas de retard de paiement d'une échéance dépassant un certain délai, dans la mesure où cette clause n'avait pas fait l'objet d'une négociation individuelle et créait au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat.

11. Pour ordonner la vente forcée de l'immeuble et fixer à une certaine somme la créance de la banque, l'arrêt retient que la somme réclamée par celle-ci au titre du capital restant dû et des échéances échues impayées est exigible en application de la clause des conditions générales du contrat de prêt qui, en cas de défaillance de l'emprunteur, prévoit l'exigibilité immédiate des sommes dues au titre du prêt.

12. En statuant ainsi, sans examiner d'office le caractère abusif d'une telle clause autorisant la banque à exiger immédiatement la totalité des sommes dues au titre du prêt en cas de défaut de paiement d'une échéance à sa date, sans mise en demeure ou sommation préalable ni préavis d'une durée raisonnable, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;

Condamne la société Banque populaire d'Alsace-Lorraine-Champagne aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Banque populaire d'Alsace-Lorraine-Champagne et la condamne à payer à Mme [S] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mars deux mille vingt-trois.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 21-16476
Date de la décision : 22/03/2023
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Analyses

PROTECTION DES CONSOMMATEURS - Clauses abusives - Caractère abusif - Office du juge - Etendue - Détermination - Portée

PROTECTION DES CONSOMMATEURS - Clauses abusives - Domaine d'application - Prêt d'argent - Exécution - Manquement - Caractérisation - Mise en demeure préalable - Défaut - Office du juge POUVOIRS DES JUGES - Applications diverses - Contrats et obligations conventionnelles - Clauses abusives - Caractère abusif - Appréciation

Méconnaît son office et viole l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, une cour d'appel qui fait application d'une clause d'un contrat de prêt immobilier autorisant la banque à exiger immédiatement, sans mise en demeure ou sommation préalable de l'emprunteur ni préavis d'une durée raisonnable, la totalité des sommes dues au titre de ce prêt en cas de défaut de paiement d'une échéance à sa date, sans examiner d'office le caractère abusif d'une telle clause


Références :

Article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016.

Décision attaquée : Cour d'appel de Colmar, 04 mars 2021

1re Civ., 10 octobre 2018, pourvoi n° 17-20441, Bull., (cassation).


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 22 mar. 2023, pourvoi n°21-16476, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : Mme Guihal (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, SCP Thouin-Palat et Boucard

Origine de la décision
Date de l'import : 09/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2023:21.16476
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