LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, par offre de prêt acceptée le 20 mai 2011, la société Banque de Tahiti (la banque) a consenti à Mme X... (l'emprunteur) un prêt immobilier d'un montant de 30 000 000 francs CFP, remboursable en deux-cent-quarante mensualités, garanti par le cautionnement de la société Compagnie européenne de garanties et de caution (la caution), pour financer la construction d'une maison d'habitation à usage de résidence principale ; qu'en application de l'article 9 des conditions générales, qui prévoit le cas de déclaration inexacte de la part de l'emprunteur, la banque a notifié à ce dernier l'exigibilité anticipée de toutes les sommes dues au titre du prêt ; que la caution, subrogée dans les droits de la banque, a assigné l'emprunteur en paiement ;
Sur la recevabilité du moyen, contestée par la défense :
Attendu que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif des clauses contractuelles invoquées par une partie dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet ; que le moyen est donc recevable ;
Et sur le moyen :
Vu l'article L. 132-1, devenu L. 212-1 du code de la consommation ;
Attendu que, pour condamner l'emprunteur à payer à la caution une certaine somme, l'arrêt relève, d'abord, que le contrat de prêt stipule que les fonds seront débloqués en plusieurs fois, sur présentation de factures validées par l'emprunteur, indiquant la ou les prestations faites, au fur et à mesure de l'état d'avancement des travaux, et retient, ensuite, que l'insincérité des factures présentées par l'emprunteur, de nature à constituer une déclaration inexacte, justifie l'exigibilité anticipée des sommes prêtées ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il lui incombait de rechercher d'office le caractère abusif de la clause qui autorise la banque à exiger immédiatement la totalité des sommes dues en cas de déclaration inexacte de la part de l'emprunteur, en ce qu'elle est de nature à laisser croire que l'établissement de crédit dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour apprécier l'importance de l'inexactitude de cette déclaration et que l'emprunteur ne peut recourir au juge pour contester le bien-fondé de la déchéance du terme, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 mars 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Papeete, autrement composée ;
Condamne la société Compagnie européenne de garanties et de caution aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix octobre deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Yves et Blaise Capron, avocat aux Conseils, pour Mme X....
Le pourvoi fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR condamné Mme Sandra X..., qui a emprunté 20 mai 2011 une somme de 30 000 000 fcp à la Banque de Tahiti, à payer à la Cegc, caution du remboursement de ce prêt, la somme de 28 618 514 fcp, augmentée des intérêts au taux contractuel de 4,70 % l'an jusqu'à parfait paiement ;
AUX MOTIFS QUE « pour fonder la dénonciation du prêt, le 24 août 2012, la Banque de Tahiti se réfère à l'article 9 des conditions générales du contrat [...] qui dispose que « toutes les sommes dues en principal, intérêts et accessoires par l'emprunteur seront exigibles, si bon semble au prêteur, quinze jours après notification faite à l'emprunteur par lettre recommandée avec accusé de réception, et ce sans qu'il soit besoin d'une mise en demeure ni d'aucune formalité judiciaire, dans l'un des cas suivants : / a) en cas de déclaration inexacte de la part de l'emprunteur ou de la caution » (cf. arrêt attaqué, p. 4, motifs, 3e alinéa) ; que les « factures insincères [de la société X..., entrepreneur de travaux, que Mme Sandra X... a remises au banquier pour obtenir le déblocage des deniers empruntés] étaient de nature à constituer les "déclarations inexactes" mentionnées à l'article 9 des conditions générales [du prêt] pour justifier l'exigibilité anticipée des sommes prêtées [; qu']il importe peu à cet égard que des poursuites pénales n'aient pas été engagées » (cf. arrêt attaqué, p. 5, 3e alinéa) ; qu'« en vain Mme Sandra X... fournit-elle un constat d'huissier dressé le 29 septembre 2012, qui mentionne une maison dont les fondations, les murs et la couverture sont achevés » (cf. arrêt attaqué, p. 5, 4e alinéa) ;
1. ALORS QUE les clauses abusives sont réputées non écrites ; que sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment d'une des parties contractantes, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; qu'en faisant application de la clause du contrat de prêt de l'espèce qui permet au banquier prêteur de résilier à son gré, sans contrôle du juge et avec effet au bout de quinze jours, donc de façon exorbitante, le prêt qu'il a consenti, lorsque l'emprunteur lui fait une déclaration inexacte, quand l'économie de cette clause dont l'application est abandonnée à l'entière discrétion du banquier prêteur, ne laisse à l'emprunteur aucune possibilité de faire valoir les raisons qui l'ont conduit à faire la déclaration qui lui est imputée à faute ou encore les circonstances particulières qui sont propres à atténuer, voire à effacer, la gravité de cette déclaration, la cour d'appel a violé l'article 1131 ancien du code civil, ensemble l'article L. 132-1 du code de la consommation, lequel est applicable en Polynésie française ;
2. ALORS QUE Mme Sandra X... faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, qu'« il importait peu que les fonds soient débloqués à telle ou telle date, ne s'agissant que d'une question de semaines », de sorte que « la banque n'a subi aucun préjudice du fait d'avoir libéré l'argent un peu plus tôt que prévu » (p. 6, 7e alinéa), que la décision de la Banque de Tahiti place « la concluante dans une situation intenable, puisqu'évidemment Mme X... n'a pas les moyens de rembourser en une seule fois [l]es sommes » qu'elle doit maintenant (p. 6, 9e alinéa), et que, « si l'on compare cette estimation [de la maison construite par l'agence Ai conseil à 70 938 000 fcp] au prêt fait par la Banque de Tahiti qui était de 28 618 514 xpf [fcp], l'on constate que [...] il n'y a pas eu mauvaise utilisation des deniers prêtés par la banque d'une part et [que] d'autre part la concluante s'est attachée à valoriser cette maison de plus du triple de la valeur du prêt et donc de la garantie hypothécaire consentie à la banque », de sorte que « force est de constater que celle-ci n'a pas subi de préjudice à l'époque et encore moins aujourd'hui » (cf. p. 8, 7e et 8e alinéas) ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur ces conclusions, lesquelles étaient propres à établir l'existence d'un déséquilibre significatif entre la prérogative discrétionnaire que le contrat de prêt du 20 mai 2011 confère à la Banque de Tahiti et l'impossibilité où l'emprunteur se trouve d'y opposer la moindre objection, la cour d'appel a violé l'article 268 du code de procédure civile de la Polynésie française.