LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 mars 2023
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 165 F-B
Pourvoi n° H 21-22.354
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 MARS 2023
La société Aéroville, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° H 21-22.354 contre l'arrêt rendu le 23 juin 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 3), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Moa, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société Thevenot partners, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], prise en qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la société Moa,
3°/ à la société BTSG², société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 1], prise en qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société Moa,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la SCI Aéroville, de Me Occhipinti, avocat des sociétés Moa et Thevenot partners, ès qualités, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 17 janvier 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 juin 2021), le 29 novembre 2012, la SCI Aéroville (la SCI) a donné à bail à la société Moa un local situé dans un centre commercial, le contrat prévoyant une livraison du local à une date dont le preneur serait avisé, fixée à deux mois avant la date d'ouverture du centre commercial au public. L'article 9 des conditions générales du bail stipulait que, si le preneur ne se présentait pas à la date prévue ou s'il manifestait sa volonté de ne pas exécuter le bail, il devrait verser au bailleur une indemnité forfaitaire correspondant à trois années de loyer de base, toutes taxes comprises.
2. La société Moa a été mise en redressement judiciaire le 30 avril 2013 et les sociétés Thévenot-Perdereau-Manière-Le Baze et BTSG ont été désignées respectivement administrateur judiciaire avec une mission d'assistance et mandataire judiciaire.
3. La SCI ayant informé la société Moa le 4 juillet 2013 que la livraison du local aurait lieu le 7 août 2013, l'administrateur, en application de l'article L. 622-14 du code de commerce, l'a informée le 22 juillet suivant qu'il mettait fin au bail à compter du 31 juillet 2013.
4. Le 31 juillet 2013, la SCI a déclaré au passif de la procédure collective une créance de 233 220 euros correspondant à la mise en oeuvre des stipulations de l'article 9 des conditions générales du contrat de bail. Cette créance a été contestée par le mandataire judiciaire.
5. Par une ordonnance du 23 septembre 2016, le juge-commissaire a constaté que la contestation, qui portait sur l'interprétation des clauses du bail, était sérieuse ne relevant pas de sa compétence et a invité en conséquence les parties à saisir dans le délai d'un mois, sous peine de forclusion, le juge compétent. La SCI a, par suite, assigné la société Moa devant un tribunal de grande instance en fixation de sa créance.
Examen du moyen
Sur le moyen
Enoncé du moyen
6. La SCI fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors :
« 1°/ que si la déclaration de créance équivaut à une demande en justice, le créancier n'est pas tenu de mentionner le fondement juridique de la créance qu'il déclare et, s'il en mentionne un, il peut ensuite le modifier sans être tenu d'effectuer une nouvelle déclaration ; qu'en affirmant au contraire que le changement de fondement juridique de la créance impliquait une nouvelle déclaration, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 622-25 du code de commerce ;
2°/ que si la déclaration de créance équivaut à une demande en justice, elle doit seulement comporter les mentions prévues aux articles L. 622-25 et R. 622-23 du code de commerce ; que si la déclaration doit ainsi notamment faire mention du montant de la créance et des éléments de nature à prouver l'existence et le montant de la créance si elle ne résulte pas d'un titre, le créancier n'est pas en revanche tenu de mentionner le fondement juridique de sa créance dès le stade de la déclaration qu'il en fait au passif de son débiteur ; qu'il ne saurait ainsi être déduit de la mention par le créancier, dans sa déclaration, du montant de sa créance et d'éléments de nature à prouver son existence et son montant, qu'il aurait donné à sa demande, dès ce stade, un fondement juridique ; qu'en déduisant néanmoins des mentions, faites dans la déclaration de créance effectuée par la SCI Aéroville, du montant de 233 220 euros à titre privilégié et, comme unique pièce, du contrat de bail conclu avec sa débitrice, avec une référence à l'article 9.1 du titre II dudit acte, que la SCI avait donné à sa demande, dès le stade de sa déclaration de créance, un fondement juridique exclusivement tiré de cette stipulation contractuelle, cependant qu'une telle déduction ne pouvait procéder de la seule mention du montant de la créance et d'un élément de nature à prouver son existence et son montant, la cour d'appel a statué par un motif impropre à justifier sa décision et privé sa décision de base légale au regard des dispositions susvisées du code de commerce ;
3°/ que l'indemnité prévue par une clause pénale est fondée sur la responsabilité contractuelle du débiteur, de sorte que le fondement juridique d'une créance indemnitaire n'est pas modifié lorsqu'elle est réclamée au débiteur, non plus en particulier au titre d'une clause pénale, mais, de façon plus générale, au titre de sa responsabilité contractuelle ; qu'après avoir estimé que l'article 9.1 du titre II du contrat de bail était une clause pénale et que la SCI Aéroville aurait déclaré une créance fondée sur cette seule stipulation contractuelle, la cour d'appel a estimé que ladite SCI ne pouvait modifier le fondement juridique de sa créance en invoquant devant la cour d'appel la responsabilité contractuelle de la société Moa, et non pas seulement la clause susmentionnée, sans effectuer une déclaration de créance "reposant sur ce nouveau fondement" ; qu'en statuant de la sorte, cependant que la SCI Aéroville n'avait pas modifié le fondement juridique de sa créance en invoquant devant la cour d'appel la responsabilité contractuelle de la société Moa, et non plus seulement, en particulier, la clause pénale stipulée au bail conclu entre ces sociétés, la cour d'appel a violé les articles 1147 et 1152 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-231 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
7. En retenant exactement que la SCI ne pouvait substituer une demande fondée sur la responsabilité contractuelle à celle reposant sur la mise en oeuvre de l'article 9 des conditions générales du bail, objet exclusif de sa saisine, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.
8. Le moyen n'est donc pas fondé
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la SCI Aéroville aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la SCI Aéroville et la condamne à payer à la société Moa la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du huit mars deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour la SCI Aéroville.
La SCI Aéroville fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de l'avoir déboutée de toutes ses demandes ;
1°) Alors que si la déclaration de créance équivaut à une demande en justice, le créancier n'est pas tenu de mentionner le fondement juridique de la créance qu'il déclare et, s'il en mentionne un, il peut ensuite le modifier sans être tenu d'effectuer une nouvelle déclaration ; qu'en affirmant au contraire que le changement de fondement juridique de la créance impliquait une nouvelle déclaration (arrêt, p. 7, al. 4), la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 622-25 du code de commerce ;
2°) Alors, en tout état de cause, que si la déclaration de créance équivaut à une demande en justice, elle doit seulement comporter les mentions prévues aux articles L. 622-25 et R. 622-23 du code de commerce ; que si la déclaration doit ainsi notamment faire mention du montant de la créance et des éléments de nature à prouver l'existence et le montant de la créance si elle ne résulte pas d'un titre, le créancier n'est pas en revanche tenu de mentionner le fondement juridique de sa créance dès le stade de la déclaration qu'il en fait au passif de son débiteur ; qu'il ne saurait ainsi être déduit de la mention par le créancier, dans sa déclaration, du montant de sa créance et d'éléments de nature à prouver son existence et son montant, qu'il aurait donné à sa demande, dès ce stade, un fondement juridique ; qu'en déduisant néanmoins des mentions, faites dans la déclaration de créance effectuée par la SCI Aéroville, du montant de 233 220 euros à titre privilégié et, comme unique pièce, du contrat de bail conclu avec sa débitrice, avec une référence à l'article 9.1 du titre II dudit acte (arrêt, p. 7, al. 5), que la SCI avait donné à sa demande, dès le stade de sa déclaration de créance, un fondement juridique exclusivement tiré de cette stipulation contractuelle (arrêt, p. 7, al. 7, in limine), cependant qu'une telle déduction ne pouvait procéder de la seule mention du montant de la créance et d'un élément de nature à prouver son existence et son montant, la cour d'appel a statué par un motif impropre à justifier sa décision et privé sa décision de base légale au regard des dispositions susvisées du code de commerce ;
3°) Alors que l'indemnité prévue par une clause pénale est fondée sur la responsabilité contractuelle du débiteur, de sorte que le fondement juridique d'une créance indemnitaire n'est pas modifié lorsqu'elle est réclamée au débiteur, non plus en particulier au titre d'une clause pénale, mais, de façon plus générale, au titre de sa responsabilité contractuelle ; qu'après avoir estimé que l'article 9.1 du titre II du contrat de bail était une clause pénale (arrêt, p. 7, al. 5) et que la SCI Aéroville aurait déclaré une créance fondée sur cette seule stipulation contractuelle (arrêt, p. 7, al. 7 in limine), la cour d'appel a estimé que ladite SCI ne pouvait modifier le fondement juridique de sa créance en invoquant devant la cour d'appel la responsabilité contractuelle de la société Moa, et non pas seulement la clause susmentionnée, sans effectuer une déclaration de créance « reposant sur ce nouveau fondement » (arrêt, p. 7, al. 7, in fine) ; qu'en statuant de la sorte, cependant que la SCI Aéroville n'avait pas modifié le fondement juridique de sa créance en invoquant devant la cour d'appel la responsabilité contractuelle de la société Moa, et non plus seulement, en particulier, la clause pénale stipulée au bail conclu entre ces sociétés, la cour d'appel a violé les articles 1147 et 1152 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-231 du 10 février 2016.