LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 mars 2023
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 214 F-B
Pourvoi n° G 21-11.499
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 MARS 2023
Mme [S] [W], épouse [Y], domiciliée [Adresse 4], a formé le pourvoi n° G 21-11.499 contre l'arrêt rendu le 17 septembre 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-2), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [D] [Z],
2°/ à Mme [E] [N],
tous deux domiciliés [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Jollec, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de Mme [W], épouse [Y], de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de M. [Z], et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 janvier 2023 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Jollec, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 17 septembre 2020), Mme [S] [W], Mme [A] [W], M. [U] [I], M. [M] [W], M. [O] [C], Mme [H] [C] et M. [P] [W] (les consorts [W] [C]) ont assigné en référé M. [Z] et Mme [N] aux fins notamment de fixer une indemnité d'occupation et d'ordonner une expertise des biens immobiliers occupés par M. [Z] et Mme [N].
2. Ayant été déboutés de leurs demandes par ordonnance de référé du 18 juillet 2019, les consorts [W] [C] en ont relevé appel.
3. La cour d'appel a statué sans audience en application des dispositions de l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, modifiée par l'ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, le deuxième moyen, pris en sa seconde branche et les troisième et quatrième moyens, ci-après annexés
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
5. Mme [W] fait grief à l'arrêt de ne pas avoir transmis la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle a posée, alors « que le juge qui refuse de statuer est coupable de déni de justice ; qu'en l'espèce, saisi par un mémoire distinct d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, la cour d'appel n'a pas statué par une décision motivée sur la transmission de cette question à la Cour de cassation ; qu'elle a ainsi commis un déni de justice, en violation de l'article 4 du code civil. »
Réponse au moyen
Vu l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 :
6. Selon ce texte, la juridiction, saisie par mémoire distinct d'une question prioritaire de constitutionnalité, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de celle-ci au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :
1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;
2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;
3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.
En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. La décision de transmettre la question est adressée au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties. Elle n'est susceptible d'aucun recours.
Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige.
7. Saisie par mémoire distinct, déposé le 23 juin 2020, d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, la cour d'appel n'a pas statué sur la transmission de celle-ci à la Cour de cassation.
8. En statuant ainsi, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence le 17 septembre 2020 ;
Remet l'affaire et les parties en l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.
Condamne M. [Z] et Mme [N] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé en l'audience publique du deux mars deux mille vingt-trois par Mme Martinel, conseiller doyen, et signé par elle, en remplacement du président empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat aux Conseils, pour Mme [W].
Premier moyen de cassation
Mme [W] épouse [Y] fait grief à l'arrêt attaqué de n'avoir pas transmis à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle a posée,
1°) Alors que la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité s'impose si la disposition contestée est applicable au litige, si elle n'a pas été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel et si la question n'est pas dépourvue de sérieux ; qu'en l'espèce, la cour d'appel n'a pas transmis la question prioritaire de constitutionnalité posée par Mme [W]-[Y] dans un mémoire distinct déposé le 23 juin 2020 portant sur la constitutionnalité de l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 au regard en particulier du principe fondamental d'égalité alors que le Conseil constitutionnel n'avait pas encore statué sur une telle question, qui était sérieuse ; qu'en refusant sans motif de transmettre cette question, la cour d'appel a violé l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
2°) Alors que le juge qui refuse de statuer est coupable de déni de justice ; qu'en l'espèce, saisi par un mémoire distinct d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, la cour d'appel n'a pas statué par une décision motivée sur la transmission de cette question à la Cour de cassation ; qu'elle a ainsi commis un déni de justice, en violation de l'article 4 du code civil.
Deuxième moyen de cassation
Mme [W] épouse [Y] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté sa demande visant à écarter l'application de l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété et d'avoir en conséquence rejeté l'ensemble de ses demandes ;
1/ Alors que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue publiquement devant un tribunal indépendant et impartial ; que pour refuser d'écarter l'application en l'espèce des dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 25 mars 2020, la cour d'appel a estimé que l'atteinte au droit à une audience publique était nécessaire pour permettre le maintien de l'activité en matière de référé dans le contexte d'urgence sanitaire et proportionnée au cas d'espèce, une audience publique ayant été tenue en première instance ; qu'en statuant ainsi, alors que le droit d'argumenter oralement et contradictoirement devant le juge est fondamental et ne peut être entravé pour des raisons sanitaires quand une des parties s'y est opposée et n'a pas déposé de dossier, et se trouverait en outre demanderesse et appelante, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°) Alors que dans ses conclusions d'appel, Mme [W]-[Y] a soutenu en premier lieu qu'une fraude avait été commise sur l'identité de Mme [N], son avocat demandant en première instance sa mise hors de cause en se prévalant de l'existence d'une soi-disant Mme [F] qui aurait été locataire de l'immeuble litigieux et obtenant par ce moyen frauduleux une condamnation au titre des frais irrépétibles pour Mme [N] ; que pour refuser d'écarter l'application de l'article 8 de l'ordonnance du 25 mars 2020, la cour d'appel a considéré que la procédure à hauteur d'appel portait sur des points de droit techniques (exception d'incompétence matérielle, existence d'un motif légitime à désigner un expert judiciaire?) ; qu'en omettant ainsi le moyen de Mme [W]-[Y] pris d'une fraude sur l'identité de Mme [N] qui n'était pas technique mais exigeait des appréciations de fait, la cour d'appel a violé le principe de l'obligation pour le juge de ne pas dénature l'écrit qui lui est soumis.
Troisième moyen de cassation
Mme [W] épouse [Y] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de sa demande d'expertise relative aux biens immobiliers situés [Adresse 1], et [Adresse 2], à [Localité 3] ;
Alors que l'existence d'un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige suffit pour ordonner une mesure d'instruction in futurum ; qu'en l'espèce, Mme [W] a fait valoir, à l'appui de sa demande, que les biens de la succession devaient être nécessairement vendus, aucun partage ne pouvant être décidé entre les dix héritiers concernés, que trois d'entre eux s'étant désolidarisés, il était nécessaire que l'évaluation du bien soit effectuée objectivement pour être éventuellement entérinée, si bien qu'une expertise judiciaire était nécessaire, le fait qu'une expertise amiable puisse être envisagée n'excluant pas l'application de l'article 145 du code de procédure civile d'autant que l'accès aux lieux nécessitait l'accord des occupants et que cette circonstance ne concernait qu'un seul des deux biens à expertiser ; qu'en déboutant Mme [W] de sa demande sans répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
Quatrième moyen de cassation
Mme [W] épouse [Y] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de sa demande dirigée contre M. [Z] et en paiement provisionnel d'une indemnité d'occupation mensuelle ;
1/ Alors que le juge qui rejette une demande au motif d'une insuffisance des preuves fournies commet un déni de justice ; qu'en l'espèce, pour débouter Mme [W] de sa demande en paiement d'une provision au titre d'une indemnité d'occupation du bien immobilier occupé par M. [Z], la cour d'appel a considéré qu'il n'était pas démontré que M. [Z], qui indique avoir restitué son contrat de bail à M. [G] avant son décès, est occupant sans droit ni titre dudit logement ; qu'en statuant ainsi, la cour a excédé ses pouvoirs au regard de l'article 4 du code civil.
2/ Alors que le locataire est tenu de payer le prix du bail au terme convenu ou, à défaut de titre, une indemnité d'occupation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a débouté Mme [W]-[Y] de sa demande en paiement d'une provision à titre d'indemnité d'occupation bien que M. [Z] ait reconnu qu'il occupait les lieux loués ; qu'en statuant ainsi, sans constater que M. [Z] avait versé un loyer, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de 1728 du code civil.