LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CZ
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 février 2023
Rejet
Mme CAPITAINE, président
Arrêt n° 108 FS-D
Pourvoi n° C 21-11.356
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 FÉVRIER 2023
Le comité social et économique Springer, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits du comité d'établissement de Maisons-Alfort de la société Bio Springer, a formé le pourvoi n° C 21-11.356 contre l'arrêt rendu le 1er décembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 11), dans le litige l'opposant à Mme [J] [K] épouse [O], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Pecqueur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat du comité social et économique Springer, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [O], et l'avis de M. Juan, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Pecqueur, conseiller référendaire rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, M. Pion, Mmes Van Ruymbeke, Lacquemant, Nirdé-Dorail, Salomon, conseillers, Mmes Valéry, Laplume, M. Chiron, conseillers référendaires, M. Juan, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er décembre 2020), Mme [O] a été engagée le 2 novembre 2001 en qualité d'employée polyvalente de restaurant par le Comité d'établissement de Maisons-Alfort de la société Bio Springer, aux droits duquel vient le comité social et économique Springer (le Comité).
2. Placée en arrêt de travail à compter du 31 mai 2016, la salariée a été déclarée inapte à son poste suivant avis du médecin du travail du 11 juillet 2017 en ces termes : « Inapte. « l'‘état de santé de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans un emploi » dans cette entreprise. Echange avec l'employeur en date du 4 juillet 2017 (étude de poste faite). »
3. Licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 20 juillet 2017, la salariée a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes relatives à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail.
Recevabilité du pourvoi contestée par la défense
4. La salariée soutient que le pourvoi est irrecevable faute pour le comité de justifier qu'il a valablement mandaté un de ses membres à l'effet de le représenter en justice.
5. Le comité produit la délégation expresse, permanente et générale donnée le 7 octobre 2019 à M. [V], membre titulaire et secrétaire du comité, pour le représenter en justice, tant comme demandeur que comme défendeur, dans toutes les phases de la procédure.
6. Le pourvoi est donc recevable.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses trois dernières branches et le second moyen, ci-après annexés
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
8. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire le licenciement pour inaptitude sans cause réelle et sérieuse et de le condamner à verser à la salariée diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à titre d'indemnité compensatrice de préavis, au titre des congés payés afférents et au titre de l'article 700 du code de procédure civile alors :
« 1°/ qu'aux termes de l'article L. 1226-2-1 du code du travail, l'employeur peut rompre le contrat de travail d'un salarié inapte s'il justifie de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail de ce que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ; qu'en l'espèce, le médecin du travail a précisément conclu, au terme d'une unique visite le 11 juillet 2017, en ces termes : « Inapte. L'état de santé de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans un emploi dans cette entreprise. Echange avec l'employeur en date du 4 juillet 2017 (étude de poste faite) » ; qu'en affirmant, pour conclure à l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement de la salariée, que le médecin du travail n'aurait pas indiqué que l'état de santé de la salariée faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi tel que le prévoit le texte susvisé, mais « dans un emploi dans cette entreprise », de sorte que CSE n'était pas dispensé de rechercher un reclassement au sein de la société Bio Springer qui aurait fait partie du même groupe, la cour d'appel a d'ores et déjà dénaturé cet avis en violation de l'interdiction faite aux juges de dénaturer les documents de la cause ;
2°/ que la précision par le médecin du travail, dans son avis d'inaptitude, de l'impossibilité d'un reclassement dans l'emploi et non plus dans le poste signifie que l'état de santé du salarié est altéré à un point tel qu'il ne peut plus en réalité exercer, quel que soit le poste proposé ; qu'en affirmant que le constat par le médecin du travail d'une impossibilité de reclasser Mme [O] dans un emploi ne vaudrait que dans le cadre de l'entreprise et non en dehors de celle-ci, sans s'expliquer sur la compatibilité entre l'impossibilité d'un reclassement dans l'entreprise compte tenu de l'état de santé de la salariée et la possibilité de la reclasser hors de l'entreprise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 du code du travail dans leur rédaction respective applicable au litige. »
Réponse de la Cour
9. L'arrêt constate que le médecin du travail a mentionné que l'état de santé de la salariée faisait obstacle à tout reclassement dans cette entreprise et relève l'existence d'un groupe de reclassement constitué du comité social et économique et de la société Bio Springer.
10. La cour d'appel en a exactement déduit, hors dénaturation et sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que l'employeur n'était pas dispensé de rechercher un reclassement au sein de la société Bio Springer et avait ainsi manqué à son obligation de reclassement.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le comité social et économique Springer aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le comité social et économique Springer et le condamne à payer à Mme [O] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour le comité social et économique Springer
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le Comité social et économique Springer reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que le licenciement pour inaptitude de Mme [O] était sans cause réelle et sérieuse et de l'avoir condamné en conséquence à lui verser les sommes de 18 000 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de 6 242,20 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, de 624,22 € au titre des congés payés afférents et de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
1/ ALORS QU'aux termes de l'article L. 1226-2-1 du code du travail, l'employeur peut rompre le contrat de travail d'un salarié inapte s'il justifie de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail de ce que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ; qu'en l'espèce, le médecin du travail a précisément conclu, au terme d'une unique visite le 11 juillet 2017, en ces termes : " Inapte. "L'état de santé de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans un emploi" dans cette entreprise. Echange avec l'employeur en date du 4/07/2017 (étude de poste faite) " ; qu'en affirmant, pour conclure à l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement de Mme [O], que le médecin du travail n'aurait pas indiqué que l'état de santé de la salariée faisait obstacle à toute reclassement dans un emploi tel que le prévoit le texte susvisé, mais " dans "un emploi dans cette entreprise" " de sorte que le Comité social et économique n'était pas dispensé de rechercher un reclassement au sein de la société Bio Springer qui aurait fait partie du même groupe, la cour d'appel a d'ores et déjà dénaturé cet avis en violation de l'interdiction faite aux juges de dénaturer les documents de la cause ;
2/ ALORS (subsidiairement) QUE la précision par le médecin du travail, dans son avis d'inaptitude, de l'impossibilité d'un reclassement dans l'emploi et non plus dans le poste, signifie que l'état de santé du salarié est altéré à un point tel qu'il ne peut plus en réalité exercer, quel que soit le poste proposé ; qu'en affirmant que le constat par le médecin du travail d'une impossibilité de reclasser Mme [O] dans un emploi ne vaudrait que dans le cadre de l'entreprise et non en dehors de celle-ci, sans s'expliquer sur la compatibilité entre l'impossibilité d'un reclassement dans l'entreprise compte tenu de l'état de santé de la salariée et la possibilité de la reclasser hors de l'entreprise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1226-2 et L.1226-2-1 du code du travail dans leur rédaction respective applicable au litige ;
3/ ALORS (subsidiairement) QU'aux termes de l'article L. 1226-2 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, le reclassement du salarié inapte ne devait être recherché que dans le seul cadre de l'entreprise en l'absence de groupe ; qu'en retenant que le comité social et économique Springer aurait méconnu son obligation, faute d'avoir recherché une possibilité de reclassement hors de l'entreprise, quand il ne faisait pas partie d'un groupe de sociétés, la cour d'appel a violé les articles L. 1226-2 et L.1226-2-1 du code du travail dans leur rédaction respective applicable au litige ;
4/ ALORS (subsidiairement) QUE la permutabilité du personnel s'apprécie en tenant compte de l'organisation de l'entreprise, de ses activités ou du lieu d'exploitation ; que le comité social et économique de l'établissement de [Localité 3], institution représentative du personnel, n'avait ni la même activité, ni la même organisation, ni le même lieu d'activité que la société Bio Springer, entreprise commerciale spécialisée dans la fabrication d'extraits de levure pour l'alimentation et qui disposait de plusieurs établissements ; qu'en retenant néanmoins un groupe de reclassement au motif que la permutabilité du personnel aurait été possible, sans démontrer que l'organisation des deux entités, leur activité et leur lieu d'exploitation permettrait une telle permutation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1226-2 et L.1226-2-1 du code du travail dans leur rédaction respective applicable au litige ;
5/ ALORS (subsidiairement) QUE le CSE Bio Springer avait démontré (conclusions p. 9 et s ) que l'embauche en 2009 de M. [L], salarié de la société Bio Springer, avait été décidée par son secrétaire général qui assistait le salarié, pour éviter un litige avec cette dernière et que son salaire, jusqu'à sa retraite, avait été intégralement pris en charge par la société, de sorte qu'il ne s'agissait pas d'une convention de mise à disposition du personnel de manière générale, mais uniquement d'un accord ponctuel concernant un unique salarié ; que le comité avait également rappelé que s'il avait interrogé la société Bio Springer sur la possibilité de reprendre l'époux de Mme [O] dont l'inaptitude avait également été constatée, la société avait refusé du fait de l'absence de lien juridique " entre elle et le comité social et économique ; qu'en retenant néanmoins l'une et l'autre de ces circonstances pour conclure à la permutabilité du personnel et donc à l'existence d'un groupe de reclassement au sein duquel le reclassement de Mme [O] aurait dû être recherché, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à justifier sa décision et l'a privée en conséquence de base légale au regard des articles L. 1226-2 et L.1226-2-1 du code du travail, dans leur rédaction respective applicable au litige.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Le CSE Springer reproche à l'arrêt attaqué de l'avoir condamné à verser à Mme [O] les sommes de 3 121 € en réparation du préjudice pour non-respect de la procédure de licenciement et de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
ALORS QUE la circonstance qu'un entretien préalable n'ait pas eu lieu ne cause pas nécessairement un préjudice qu'il conviendrait de réparer ; qu'en se bornant, pour faire droit à la demande de dommages intérêts de Mme [O], à relever qu'elle n'avait pas été convoquée à un entretien préalable à la notification du licenciement, sans constater la réalité d'un préjudice subi à ce titre, préjudice dont l'existence n'était pas démontrée par l'intéressée, la cour d'appel a méconnu l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause.