LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 janvier 2023
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 31 FS-B
Pourvoi n° Z 21-16.804
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 JANVIER 2023
La société Kontron Modular Computers, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 21-16.804 contre l'arrêt rendu le 5 mars 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-6), dans le litige l'opposant à Mme [P] [W], épouse [O], domiciliée chez Mme [I] [X] et M. [L] [O], [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Delbano, conseiller, les observations et les plaidoiries de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Kontron Modular Computers, de la SCP Richard, avocat de Mme [W], épouse [O], et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 novembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Delbano, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, Mmes Kermina, Durin-Karsenty, Vendryes, conseillers, Mmes Jollec, Bohnert, M. Cardini, Mmes Latreille, Bonnet, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 5 mars 2021) et les productions, Mme [W] a contesté devant un conseil de prud'hommes son licenciement par la société Kontron Modular Computers (la société).
2. La société a fait appel du jugement ayant retenu l'existence d'une cause réelle et sérieuse et l'ayant condamnée au paiement de dommages-intérêts.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La société fait grief à l'arrêt de constater l'absence d'effet dévolutif de l'appel, de constater l'absence d'appel incident dans le délai de l'appel principal, de dire n'y avoir lieu à statuer en l'absence d'effet dévolutif de l'appel principal et en l'absence d'appel incident recevable, alors :
« 1°/ que la déclaration d'appel est faite par acte contenant les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible ; que selon l'article 3 de l'arrêté du 30 mars 2011 relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d'appel, en vigueur du 31 mars 2011 au 22 mai 2020, "Pour les appels formés à compter du 1er septembre 2011, les envois et remises des déclarations d'appel et des actes de constitution ainsi que des pièces qui leur sont associées doivent être effectués par voie électronique", l'article 6 du même arrêté prévoyant expressément que "Lorsqu'un document doit être joint à un acte, le document est communiqué sous la forme d'un fichier séparé du fichier au format XML contenant l'acte sous forme de message de données. Le fichier contenant le document joint accompagnant l'acte est un fichier au format PDF" ; qu'il en résulte que les chefs du jugement critiqués peuvent être listés dans une pièce jointe annexée à la déclaration d'appel faisant corps avec elle, comme l'admet la circulaire du ministère de la Justice du 4 août 2017 et comme le prévoit désormais expressément l'article 8 de l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel ; qu'en l'espèce, l'appel a été interjeté le 26 septembre 2019 par voie électronique, en précisant dans le champ "Objet/Portée de l'appel : appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués exposés dans la pièce jointe faisant corps avec la déclaration d'appel", la pièce effectivement jointe désignant les chefs attaqués précisant expressément, elle aussi, qu'elle faisait corps avec la déclaration d'appel limité, ce conformément à la trame diffusée par le Conseil national des barreaux le 7 novembre 2017 ; qu'en jugeant que la déclaration d'appel était privée d'effet dévolutif faute de mention des chefs de jugement critiqués "dans la déclaration elle-même" sans que "l'appelante ne démontre avoir été dans l'impossibilité de faire figurer ces mentions dans la déclaration elle-même", et en affirmant que le document joint à la déclaration d'appel n'aurait "aucune valeur procédurale", et ne ferait "pas partie intégrale de cette déclaration au sens de l'article 10 de l'arrêté technique du 30 mars 2011", la cour d'appel a violé l'article 962 du code de procédure civile, l'article 901 du même code dans sa version en vigueur du 1er septembre 2017 au 1er janvier 2020, et l'arrêté du 30 mars 2011 relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d'appel tel qu'il était en vigueur le 26 septembre 2019 ;
2°/ qu'en tout état de cause, caractérise une violation de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge ; que constitue une telle atteinte le fait de nier l'effet dévolutif d'un appel au seul prétexte que les chefs de dispositif du jugement critiqués ont été précisés dans une annexe, pourtant expressément désignée comme faisant corps avec la déclaration d'appel ; que cette atteinte est d'autant plus disproportionnée que l'absence d'effet dévolutif est relevée d'office par la juridiction d'appel postérieurement à la clôture des débats, privant ainsi l'appelant de toute possibilité de régularisation, laquelle est admise seulement dans le délai accordé pour conclure ; qu'en l'espèce, il ressort de la décision attaquée que l'ordonnance de clôture a été prononcée le 19 décembre 2019 et qu'à l'audience postérieure du 15 décembre 2020, les parties ont été invitées à faire valoir leurs observations "quant à l'absence d'effet dévolutif de l'appel au vu de la déclaration d'appel qui ne contient aucun chef de jugement critiqué, lesquels sont repris dans une annexe ainsi que sur la recevabilité de l'appel incident" ; que la cour d'appel a refusé tout effet dévolutif à la déclaration d'appel, dont elle a constaté qu'elle était accompagnée d'un "document intitulé "pièce jointe faisant corps avec la déclaration d'appel" précisant que les chefs de jugement critiqués", en affirmant que "l'appelante ne démontre pas avoir été dans l'impossibilité de faire figurer ces mentions dans la déclaration elle-même" et "que le document joint à la déclaration d'appel n'a aucune valeur procédurale et ne fait pas partie intégrale de cette déclaration, au sens de l'article 10 de l'arrêté technique du 30 mars 2011" ; que la cour d'appel a en outre souligné l'impossibilité de régularisation en l'espèce puisqu'elle n'était possible que "par une nouvelle déclaration d'appel intervenue dans le délai imparti à l'appelant pour conclure au fond, conformément aux dispositions de l'article 910-4 al.1 du code de procédure civile" ; qu'en portant ainsi une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge de l'appelante, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.»
Réponse de la Cour
4. Le décret n° 2022-245 du 25 février 2022, invoqué par la demanderesse au pourvoi, a modifié l'article 901, 4°, du code de procédure civile en tant qu'il prévoit que la déclaration d'appel est faite par acte contenant, à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible, en ajoutant dans ce texte, après les mots : "faite par acte", les mots : "comportant le cas échéant une annexe". L'article 6 du décret précise que cette disposition est applicable aux instances en cours. La demanderesse au pourvoi soutient que ces dispositions sont applicables au présent litige.
5. Par avis du 8 juillet 2022 (n° 22-70.005) la Cour de cassation a notamment dit que le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 et l'arrêté du 25 février 2022 modifiant l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel sont immédiatement applicables aux instances en cours pour les déclarations d'appel qui ont été formées antérieurement à l'entrée en vigueur de ces deux textes réglementaires, pour autant qu'elles n'ont pas été annulées par une ordonnance du magistrat compétent qui n'a pas fait l'objet d'un déféré dans le délai requis, ou par l'arrêt d'une cour d'appel statuant sur déféré.
6. Pour autant, l'instance devant une cour d'appel, introduite par une déclaration d'appel, prend fin avec l'arrêt que rend cette juridiction. Elle ne se poursuit pas devant la Cour de cassation, devant laquelle est introduite une instance distincte.
7. Il en résulte que le décret du 25 février 2022 n'est pas applicable au présent litige.
8. La Cour de cassation a jugé le 13 janvier 2022 (2e Civ., 13 janvier 2022, pourvoi n° 20-17.516, publié au Bulletin) qu'il résulte de la combinaison des articles 562 et 901, 4°, du code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, ainsi que des articles 748-1 et 930-1 du même code, que la déclaration d'appel, dans laquelle doit figurer l'énonciation des chefs critiqués du jugement, est un acte de procédure se suffisant à lui seul ; que, cependant, en cas d'empêchement d'ordre technique, l'appelant peut compléter la déclaration d'appel par un document faisant corps avec elle et auquel elle doit renvoyer.
9. Pour constater l'absence d'effet dévolutif, l'arrêt retient que la déclaration d'appel de la société ne précise pas les chefs de jugement critiqués mais procède par renvoi à une annexe transmise le même jour par RPVA les mentionnant, ce dernier document n'ayant aucune valeur procédurale et ne faisant pas partie intégrante de cette déclaration.
10. Il relève en outre que l'appelante ne démontre pas avoir été dans l'impossibilité de faire figurer ces mentions dans la déclaration elle-même, laquelle pouvait parfaitement contenir l'intégralité des chefs de jugement critiqués.
11. Par ces énonciations et constatations, la cour d'appel a fait une exacte application des textes précités, sans porter d'atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge.
12. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Condamne la société Kontron Modular Computers aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Kontron Modular Computers et la condamne à payer à Mme [W], épouse [O] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze janvier deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société Kontron Modular Computers
La société Kontron Modular Computers fait grief à la décision attaquée d'AVOIR constaté l'absence d'effet dévolutif de l'appel, d'AVOIR constaté l'absence d'appel incident dans le délai de l'appel principal, d'AVOIR dit n'y avoir lieu à statuer en l'absence d'effet dévolutif de l'appel principal et en l'absence d'appel incident recevable,
1) ALORS QUE la déclaration d'appel est faite par acte contenant les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible ; que selon l'article 3 de l'arrêté du 30 mars 2011 relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d'appel, en vigueur du 31 mars 2011 au 22 mai 2020, "Pour les appels formés à compter du 1er septembre 2011, les envois et remises des déclarations d'appel et des actes de constitution ainsi que des pièces qui leur sont associées doivent être effectués par voie électronique", l'article 6 du même arrêté prévoyant expressément que "Lorsqu'un document doit être joint à un acte, le document est communiqué sous la forme d'un fichier séparé du fichier au format XML contenant l'acte sous forme de message de données. Le fichier contenant le document joint accompagnant l'acte est un fichier au format PDF" ; qu'il en résulte que les chefs du jugement critiqués peuvent être listés dans une pièce jointe annexée à la déclaration d'appel faisant corps avec elle, comme l'admet la circulaire du ministère de la Justice du 4 août 2017 et comme le prévoit désormais expressément l'article 8 de l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel ; qu'en l'espèce, l'appel a été interjeté le 26 septembre 2019 par voie électronique, en précisant dans le champ "Objet/Portée de l'appel : appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués exposés dans la pièce jointe faisant corps avec la déclaration d'appel", la pièce effectivement jointe désignant les chefs attaqués précisant expressément, elle aussi, qu'elle faisait corps avec la déclaration d'appel limité, ce conformément à la trame diffusée par le Conseil national des barreaux le 7 novembre 2017 ; qu'en jugeant que la déclaration d'appel était privée d'effet dévolutif faute de mention des chefs de jugement critiqués "dans la déclaration elle-même" sans que "l'appelante ne démontre avoir été dans l'impossibilité de faire figurer ces mentions dans la déclaration elle-même", et en affirmant que le document joint à la déclaration d'appel n'aurait "aucune valeur procédurale", et ne ferait "pas partie intégrale de cette déclaration au sens de l'article 10 de l'arrêté technique du 30 mars 2011", la cour d'appel a violé l'article 962 du code de procédure civile, l'article 901 du même code dans sa version en vigueur du 1er septembre 2017 au 1er janvier 2020, et l'arrêté du 30 mars 2011 relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d'appel tel qu'il était en vigueur le 26 septembre 2019 ;
2) ALORS QUE, en tout état de cause, caractérise une violation de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge ; que constitue une telle atteinte le fait de nier l'effet dévolutif d'un appel au seul prétexte que les chefs de dispositif du jugement critiqués ont été précisés dans une annexe, pourtant expressément désignée comme faisant corps avec la déclaration d'appel ; que cette atteinte est d'autant plus disproportionnée que l'absence d'effet dévolutif est relevée d'office par la juridiction d'appel postérieurement à la clôture des débats, privant ainsi l'appelant de toute possibilité de régularisation, laquelle est admise seulement dans le délai accordé pour conclure ; qu'en l'espèce, il ressort de la décision attaquée que l'ordonnance de clôture a été prononcée le 19 décembre 2019 et qu'à l'audience postérieure du 15 décembre 2020, les parties ont été invitées à faire valoir leurs observations "quant à l'absence d'effet dévolutif de l'appel au vu de la déclaration d'appel qui ne contient aucun chef de jugement critiqué, lesquels sont repris dans une annexe ainsi que sur la recevabilité de l'appel incident" ; que la cour d'appel a refusé tout effet dévolutif à la déclaration d'appel, dont elle a constaté qu'elle était accompagnée d'un "document intitulé "pièce jointe faisant corps avec la déclaration d'appel" précisant que les chefs de jugement critiqués", en affirmant que "l'appelante ne démontre pas avoir été dans l'impossibilité de faire figurer ces mentions dans la déclaration elle-même" et "que le document joint à la déclaration d'appel n'a aucune valeur procédurale et ne fait pas partie intégrale de cette déclaration, au sens de l'article 10 de l'arrêté technique du 30 mars 2011" ; que la cour d'appel a en outre souligné l'impossibilité de régularisation en l'espèce puisqu'elle n'était possible que "par une nouvelle déclaration d'appel intervenue dans le délai imparti à l'appelant pour conclure au fond, conformément aux dispositions de l'article 910-4 al.1 du code de procédure civile" ; qu'en portant ainsi une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge de l'appelante, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.