LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 23 novembre 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 854 F-D
Pourvoi n° Y 21-13.031
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 23 NOVEMBRE 2022
Le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Paris, domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Y 21-13.031 contre l'arrêt rendu le 21 janvier 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 13), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [E] [T], domicilié [Adresse 2],
2°/ au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général, 34 quai des Orfèvres, 75055 Paris cedex 01,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kerner-Menay, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat du bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Paris, de la SCP Gaschignard, avocat de M. [T], après débats en l'audience publique du 11 octobre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Kerner-Menay, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte au bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Paris du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre le procureur général près la cour d'appel de Paris.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 janvier 2021), le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Paris (le bâtonnier) a saisi le conseil de l'ordre du barreau de Paris (le conseil de l'ordre), statuant comme conseil de discipline, de poursuites disciplinaires à l'encontre de M. [T], avocat, pour avoir exercé son activité en laissant s'accumuler des passifs, une première fois en tant que dirigeant de la société [T] et Partners et une seconde fois dans un exercice professionnel individuel ayant abouti à deux liquidations judiciaires clôturées pour insuffisance d'actifs, la première présentant à son ouverture un passif de 1 315 002 euros et la seconde, après vérification des créances, un passif de 1 248 450 euros pour un actif de 20 348 euros.
3. Par arrêté du 5 novembre 2018, la formation disciplinaire du conseil de l'ordre des avocats a retenu que M. [T] s'était rendu coupable de manquements aux principes essentiels de la profession et a prononcé à son
encontre la sanction de la radiation.
4. Par déclaration reçue au greffe le 28 novembre 2018, M. [T] a formé un recours contre cet arrêté et indiqué que l'appel était formé sur l'ensemble des articles du dispositif de l'arrêté.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le bâtonnier fait grief à l'arrêt de déclarer la cour d'appel saisie en vertu de l'effet dévolutif de l'appel et de dire que M. [T] n'a commis aucun manquement aux principes essentiels de la profession d'avocat et au règlement intérieur national, alors « que le recours formé devant la cour d'appel contre une décision du conseil de l'ordre les avocats statuant en matière disciplinaire doit, pour produire un effet dévolutif, d'une part, indiquer s'il tend à son annulation ou à sa réformation et, d'autre part, dans l'hypothèse où il tend à sa réformation, préciser les chefs de dispositif qu'il critique expressément ; qu'en se bornant à énoncer, pour dire qu'elle était régulièrement saisie en vertu de l'effet dévolutif du recours, que M. [T] avait relevé appel de la décision du 5 novembre 2018 « sur l'ensemble des articles du dispositif de l'arrêté », en sorte qu'il avait précisé les chefs de dispositif qu'il entendait critiquer, sans rechercher, comme elle y était invitée par les conclusions du bâtonnier, si le fait que M. [T] n'ait pas indiqué si son recours tendait à l'annulation ou à la réformation de la décision critiquée n'avait pas fait obstacle à la dévolution, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 23 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, 16 et 197 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat et 542 et 562 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. Ayant retenu que les dispositions de l'article 562 du code de procédure civile avaient été respectées dès lors que M. [T] avait indiqué sans équivoque les points sur lesquels portait son appel, la mention de l'objet de l'appel en ce qu'il tend à l'infirmation ou l'annulation n'étant pas exigée pour que l'effet dévolutif opère, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision de ce chef.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
7. Le bâtonnier fait grief à l'arrêt de dire que M. [T] n'a commis aucun manquement aux principes essentiels de la profession d'avocat et au règlement intérieur national, alors :
« 1°/ que constitue un manquement à ses obligations déontologiques et aux principes essentiels de la profession d'avocat le fait, pour un avocat, d'opter pour l'exercice à titre individuel après la clôture de la liquidation judiciaire de sa précédente structure d'exercice pour insuffisance d'actif, quand il reste tenu du passif de la structure liquidée en vertu d'un engagement de caution obérant irrémédiablement sa solvabilité ; qu'en se bornant à retenir, pour exclure toute faute disciplinaire de M. [T], que le passif de la seconde procédure de liquidation judiciaire était principalement composé des dettes de la Selas [T] et Partners, liquidée, dont M. [T] s'était porté caution et que l'activité de M. [T] générait des bénéfices, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la dette de caution de M. [T] n'avait pas d'emblée obéré sa solvabilité, dès lors qu'il exerçait à titre individuel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1 et 3 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat, de l'article 183 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat et des articles 1.3 et 1.4 du règlement intérieur national ;
2°/ qu'en toute hypothèse, le bâtonnier faisait valoir, en cause d'appel, pour démontrer que M. [T] avait manqué à ses obligations déontologiques et aux principes essentiels de la profession d'avocat en laissant s'accumuler un passif pour la seconde fois, que, « même en neutralisant le passif lié à la première procédure collective, le passif de la seconde procédure est supérieur à l'actif de plus de 150 000 euros, pour un exercice strictement individuel » ; qu'en se bornant à énoncer, pour exclure toute faute disciplinaire de la part de M. [T], que le passif de la nouvelle structure était principalement composé des dettes de la première procédure collective et que l'activité de M. [T] générait des bénéfices, sans répondre à ce chef de conclusions pertinent, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
8. Ayant analysé les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, la cour d'appel a retenu, que les frais de la première structure étaient trop élevés, ce qui avait conduit à une accumulation rapide des dettes, que la seconde procédure résultait principalement des dettes accumulées par la société pour lesquelles M. [T] s'était porté caution personnelle solidaire, engagement qui ne pouvait lui être reproché, que, s'il n'avait pas su gérer correctement la société, sa mauvaise gestion ne constituait pas à elle seule un manquement aux principes déontologiques régissant la profession d'avocat et qu'il n'était pas établi que celui-ci aurait sciemment laissé s'accumuler le second passif, puisque le passif de la nouvelle structure était principalement composé des dettes de la première procédure collective et que la seconde liquidation était la conséquence de la première.
9. Elle a pu en déduire que M. [T] n'avait commis aucun manquement aux principes essentiels de la profession ni aucune atteinte aux dispositions de l'article 1.3 du règlement intérieur national.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Paris aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour le bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Paris reproche à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la cour d'appel était saisie en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, d'avoir infirmé la décision du conseil de l'ordre, statuant comme conseil de discipline, du 5 novembre 2018 et, statuant à nouveau, d'avoir dit que M. [T] n'avait commis aucun manquement aux principes essentiels de la profession d'avocat et au règlement intérieur national,
ALORS QUE le recours formé devant la cour d'appel contre une décision du conseil de l'ordre les avocats statuant en matière disciplinaire doit, pour produire un effet dévolutif, d'une part, indiquer s'il tend à son annulation ou à sa réformation et, d'autre part, dans l'hypothèse où il tend à sa réformation, préciser les chefs de dispositif qu'il critique expressément ; qu'en se bornant à énoncer, pour dire qu'elle était régulièrement saisie en vertu de l'effet dévolutif du recours, que M. [T] avait relevé appel de la décision du 5 novembre 2018 « sur l'ensemble des articles du dispositif de l'arrêté », en sorte qu'il avait précisé les chefs de dispositif qu'il entendait critiquer, sans rechercher, comme elle y était invitée par les conclusions du bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Paris, si le fait que M. [T] n'ait pas indiqué si son recours tendait à l'annulation ou à la réformation de la décision critiquée n'avait pas fait obstacle à la dévolution, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 23 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, 16 et 197 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat et 542 et 562 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Paris reproche à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la cour d'appel était saisie en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, d'avoir infirmé la décision du conseil de l'ordre statuant comme conseil de discipline du 5 novembre 2018 et, statuant à nouveau, d'avoir dit que M. [T] n'avait commis aucun manquement aux principes essentiels de la profession d'avocat et au règlement intérieur national,
1) ALORS QUE constitue un manquement à ses obligations déontologiques et aux principes essentiels de la profession d'avocat le fait, pour un avocat, d'opter pour l'exercice à titre individuel après la clôture de la liquidation judiciaire de sa précédente structure d'exercice pour insuffisance d'actif, quand il reste tenu du passif de la structure liquidée en vertu d'un engagement de caution obérant irrémédiablement sa solvabilité ; qu'en se bornant à retenir, pour exclure toute faute disciplinaire de M. [T], que le passif de la seconde procédure de liquidation judiciaire était principalement composé des dettes de la Selas [T] et Partners, liquidée, dont M. [T] s'était porté caution et que l'activité de M. [T] générait des bénéfices, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la dette de caution de M. [T] n'avait pas d'emblée obéré sa solvabilité, dès lors qu'il exerçait à titre individuel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1 et 3 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat, de l'article 183 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat et des articles 1.3 et 1.4 du règlement intérieur national ;
2) ALORS QU' en toute hypothèse, le bâtonnier faisait valoir, en cause d'appel, pour démontrer que M. [T] avait manqué à ses obligations déontologiques et aux principes essentiels de la profession d'avocat en laissant s'accumuler un passif pour la seconde fois, que, « même en neutralisant le passif lié à la première procédure collective, le passif de la seconde procédure est supérieur à l'actif de plus de 150 000 euros, pour un exercice strictement individuel » (conclusions du bâtonnier, p. 13) ; qu'en se bornant à énoncer, pour exclure toute faute disciplinaire de la part de M. [T], que le passif de la nouvelle structure était principalement composé des dettes de la première procédure collective et que l'activité de M. [T] générait des bénéfices, sans répondre à ce chef de conclusions pertinent, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.