LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 23 novembre 2022
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 842 F-D
Pourvoi n° W 21-12.799
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 23 NOVEMBRE 2022
1°/ la société Clinique [4], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ la Société de la clinique Saint Antoine, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° W 21-12.799 contre l'arrêt n° RG : 20/04458 rendu le 28 janvier 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-1), dans le litige les opposant à Mme [E] [D], domiciliée [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kerner-Menay, conseiller, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de la société Clinique [4] et de la Société de la clinique Saint Antoine, de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de Mme [D], après débats en l'audience publique du 11 octobre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Kerner-Menay, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 28 janvier 2021), le 4 juillet 2010, Mme [D], médecin généraliste a conclu, d'une part avec la société Clinique [4] (la clinique [4]), un contrat d'exercice libéral à durée indéterminée avec effet rétroactif 1er novembre 1992 dont l'article 9 prévoyait un délai de préavis en fonction du temps réel d'exercice et qui était ainsi de trois ans au-delà de vingt-ans d'exercice, d'autre part, un contrat de prestation de service médical au sein de la division d'information médicale (contrat DIM), avec la clinique [4] et avec la société Clinique Saint Antoine, faisant partie du même groupe( les établissements de santé). Le contrat DIM conclu avec la clinique Saint-Georges mentionnait que sa dénonciation entraînait ipso facto la possibilité de dénoncer le contrat d'exercice libéral de Mme [D] avec un préavis réduit d'une durée maximale d'un an.
2. Le 12 mars 2019, le Groupe Kantys, nouveau gestionnaire de ces cliniques, a notifié à Mme [D] la rupture de son contrat d'exercice libéral et de l'ensemble des contrats DIM avec effet au 12 mars 2020.
3. Le 27 janvier 2020, Mme [D] a assigné les établissements de santé afin de voir constater la rupture de l'ensemble des contrats à leurs torts et obtenir leur condamnation à lui payer des indemnités de rupture et des dommages-intérêts, ainsi que de voir réparer le préjudice moral subi.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
4. Les établissements de santé font grief à l'arrêt de les condamner à payer à Mme [D] une indemnité de 240 566 euros pour non-respect du délais de préavis contractuel d'une durée de trois ans, alors : « que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; que la cour d'appel a constaté que les parties avaient expressément convenu que "la dénonciation de ce contrat de prestation de service par la clinique entraîne ipso facto la possibilité de dénonciation du contrat d'exercice professionnel médical du docteur [D] avec un préavis réduit d'une durée maximale de un an à compter de l'échéance du présent contrat" ; qu'en condamnant la société Clinique [4] au paiement d'une somme de 240 566 euros pour non-respect du délai de préavis de trois ans prévu par le contrat d'exercice libéral quand il résulte de ses propres constatations que la résiliation de cette convention avec un préavis d'un an, à la suite de la résiliation du contrat de médecin DIM, était conforme à l'accord des parties, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ».
Réponse de la Cour
5. Vu l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
6. Selon ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
7. Pour condamner la clinique à payer à Mme [D] une indemnité de 240 566 euros pour non-respect du délai de préavis contractuel d'une durée de trois ans, l'arrêt retient que la clinique ne démontre pas de corrélation entre les fonctions de médecin généraliste et celle de médecin chargé de la division d'information médicale, que la clinique ne peut donc invoquer une interdépendance contractuelle entre les contrats et qu'est applicable la clause insérée dans le contrat d'exercice libéral.
8. En statuant ainsi, alors que les parties avaient lié les contrats en prévoyant, dans le cas de leur dénonciation, une réduction du délai de préavis, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevables les conclusions d'irrecevabilité notifiées le 9 novembre 2020 par Mme [D] et recevables les conclusions et pièces communiquées le 8 octobre 2020 des sociétés Clinique [4] et Clinique Saint Antoine, l'arrêt rendu le 28 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne Mme [D] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SARL Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour la société Clinique [4] et la Société de la clinique Saint Antoine
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
La société CLINIQUE [4] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de l'avoir condamnée à payer au docteur [E] [D] la somme de 240.566 € à titre d'indemnité pour non-respect des délais de préavis contractuellement conclus ;
1°) ALORS QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que les parties s'accordaient sur le fait que la clause stipulée au contrat de médecin DIM par laquelle elles ont convenu que la résiliation de cette convention ouvrait droit à résiliation du contrat d'exercice libéral avec un délai de préavis d'un an « a pour effet de lier les deux contrats conclus avec la société CLINIQUE [4] et ainsi de les rendre indivisibles » (concl. Mme, [D], p. 3 §4. – dans le même sens, concl. Clinique [4], p. 12 §6), Madame [D] se bornant à objecter qu'elle serait la seule bénéficiaire l'indivisibilité ainsi prévue (concl. Mme [D], p. 3 §4) alors que l'exposante rappelait que cette clause était stipulée au profit des deux parties (concl. p. 12 § 10 et s.) ; qu'en décidant que l'absence de corrélation entre les prestations prévues par chacune de ces conventions excluait que la CLINIQUE [4] puisse invoquer une interdépendance entre les deux contrats, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; que la cour d'appel a constaté que les parties avaient expressément convenu que « la dénonciation de ce contrat de prestation de service [médecin DIM] par la clinique entraîne ipso facto la possibilité de dénonciation du contrat d'exercice professionnel médical du docteur [D] avec un préavis réduit d'une durée maximale de un an à compter de l'échéance du présent contrat » ; qu'en condamnant la société CLINIQUE [4] au paiement d'une somme de 240.566 € pour non-respect du délai de préavis de trois ans prévu par le contrat d'exercice libéral quand il résulte de ses propres constatations que la résiliation de cette convention avec un préavis d'un an, à la suite de la résiliation du contrat de médecin DIM, était conforme à l'accord des parties, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
3°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QU'en refusant de faire application de cette clause dérogatoire au délai de préavis prévu à l'article 9 du contrat d'exercice libéral, par des motifs impropres à justifier qu'elle devait être réputée non écrite, la cour d'appel a privé sa décision de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
4°) ALORS QUE la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; que pour condamner la CLINIQUE [4] au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, le premier juge avait retenu qu'en notifiant la rupture du contrat d'exercice libéral avec un an de préavis, elle avait violé son article 9 qui prévoyait un préavis de trois ans ; qu'en affirmant d'un côté que c'est à juste titre que le tribunal avait condamné la CLINIQUE [4] au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis en se fondant sur la clause insérée au contrat de médecine libérale tout en jugeant, d'un autre côté, que « Madame [E] [D] n'établit pas l'existence d'une faute dans la rupture du contrat de médecine libérale conclu avec la SA CLINIQUE [4] qui n'a fait qu'exécuter les termes de la convention pour notifier la rupture », la cour d'appel, qui a statué par des motifs contradictoires, a violé l'article 455 du code de procédure civile.
DEUXIÈ
ME MOYEN DE CASSATION :
La société CLINIQUE [4] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir ordonné la rupture simultanée de l'ensemble des contrats au 12 mars 2020 ;
ALORS QUE, sauf impossibilité d'exécution qu'il incombe au juge de caractériser, une partie ne peut être dispensée d'effectuer le préavis qui avait été convenu pour la résiliation de la convention ; que la cour d'appel a constaté, par motifs adoptés, qu'après la survenance du litige, les parties s'étaient accordées pour fixer le terme du préavis au 12 mars 2021 ; qu'en réponse à la demande de la CLINIQUE [4] tendant à ce qu'il soit fait injonction à Madame [D] d'exécuter le contrat d'exercice libéral jusqu'à cette date (concl. p. 17 et s et p. 21), celle-ci se bornait à exciper une prétendue impossibilité d'exécution à compter du 12 mars 2020 sans étayer ses affirmations par aucun élément de preuve (concl. adv. p. 14 et 15) ; qu'en dispensant Madame [D] d'effectuer la dernière année du préavis qui avait ainsi été convenue (du 12 mars 2020 au 12 mars 2021) à la faveur d'une affirmation générale, adoptée du premier juge, selon laquelle « il résulte dudit contentieux un antagonisme patent entraînant une perte de confiance réciproque », la cour d'appel, qui s'est déterminée par des motifs impropres à caractériser une impossibilité d'exécution du contrat d'exercice libéral, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, ensemble l'article 1184 du même code, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.
TROISIÈ
ME MOYEN DE CASSATION :
(Subsidiaire)La société CLINIQUE [4] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir ordonné la rupture simultanée de l'ensemble des contrats au 12 mars 2020 et de l'avoir condamnée à payer au docteur [E] [D] la somme de 240.566 € à titre d'indemnité pour non-respect des délais de préavis contractuellement conclu ;
1°) ALORS QUE la résiliation d'un contrat à durée indéterminée ne saurait ouvrir droit à indemnisation au profit de l'une des parties en l'absence de tout manquement de l'autre partie à son obligation de bonne foi ; qu'en affirmant, pour condamner la CLINIQUE [4] au paiement d'une indemnité de 240.566 €, qu'elle n'avait pas respecté le délai de préavis de trois ans prévu par l'article 9 du contrat d'exercice libéral sans rechercher, comme il lui était demandé (concl. p. 14 et s.), si la clinique n'avait pas appliqué de bonne foi de la clause dérogatoire qui réduisait le délai de préavis à un an en cas de résiliation concomitante des contrats d'exercice libéral et de médecin DIM, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 1134 et 1147 du code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE le préjudice doit être réparé intégralement sans perte ni profit pour la victime ; que le docteur [D] faisait valoir qu'à partir du moment où « un an de préavis a été effectué » (concl. p. 15 avant dern. §), il y avait lieu de condamner la CLINIQUE [4] à lui verser une indemnité compensatrice couvrant les deux dernières années de préavis, soit du 12 mars 2020 au 12 mars 2022 (concl. p. 15 in fine) ; qu'en condamnant la CLINIQUE [4] au paiement d'une indemnité compensatrice couvrant deux ans de préavis après avoir jugé, par motifs adoptés des premiers juges, que la volonté des parties était de ramener le terme du préavis au 12 mars 2021, ce dont il résulte que l'indemnité n'était au plus due que pour une durée d'un an, du 12 mars 2020 au 12 mars 2021, la cour d'appel a violé le principe de réparation intégrale sans perte ni profit, ensemble les articles 1134 et 1147 du code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
3°) ALORS, PLUS SUBSIDIAIREMENT, QUE sauf impossibilité d'exécution qu'il incombe au juge de caractériser, une partie ne peut être dispensée d'effectuer le préavis qui avait été convenu pour la résiliation de la convention ; que pour justifier sa demande de condamnation de Madame [D] à l'exécution du contrat de médecine libérale jusqu'au 12 mars 2021, la CLINIQUE [4] demandait à la cour d'appel de constater, comme le premier juge, que les parties avaient convenu de fixer la date de résiliation au 12 mars 2021 (concl. p. 14 et p. 20-21) ; qu'en se bornant à affirmer, pour rejeter cette demande et condamner l'exposante au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis pour la période du 12 mars 2020 au 12 mars 2022, que « la résiliation du contrat de médecine libérale étant intervenue à l'initiative de la SA CLINIQUE [4] qui a fixé sa date au 12 mars 2020, c'est à juste que le tribunal, en se fondant sur la clause insérée au contrat de médecine libérale, a condamné la clinique au paiement de la somme de 240.566 € », sans rechercher, ainsi qu'il lui était demandé, si les parties n'avaient pas convenu de fixer le terme du préavis au 12 mars 2021, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134, 1147 et 1184 du code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.