LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 26 octobre 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 771 F-D
Pourvoi n° Q 21-16.450
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 26 OCTOBRE 2022
1°/ la société Olivia, société civile immobilière,
2°/ la société C2B68, société à responsabilité limitée,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° Q 21-16.450 contre l'arrêt rendu le 16 février 2021 par la cour d'appel de Besançon (1re chambre civile et commerciale), dans le litige les opposant à la société Fidal, société d'exercice libéral par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Mornet, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat des sociétés Olivia et C2B68, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Fidal, et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Mornet, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 16 février 2021), en vue de la restructuration économique du groupe de transport et de logistique « transports Alain Buffa et Cie », la société Fidal (la société d'avocats) a rédigé les actes nécessaires à l'acquisition, par la société C2B68, de parts de la société Evo détenant des actifs immobiliers et de la SCI Olivia, puis à la conclusion d'un bail commercial consenti à la société Visteon par la SCI Olivia, enfin à la conclusion d'un accord entre ces sociétés emportant résiliation amiable du bail commercial contre le versement par la société Visteon d'une indemnité.
2. Reprochant à la société d'avocats d'avoir manqué à son obligation d'information et de conseil en rédigeant un contrat de bail comportant des stipulations incohérentes et contraires entre elles, en négociant une solution amiable les conduisant à accepter une indemnisation lésionnaire et en n'informant pas la société C2B68 de la valeur réelle des actifs immobiliers de la société Evo, les sociétés C2B68 et SCI Olivia l'ont assignée en responsabilité et indemnisation.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. Les sociétés Olivia et C2B68 font grief à l'arrêt de rejeter leur demande en distraction des pièces n° 13, 15, 16, 17, 21, 22, 23, 25 et 26 produites par l'avocat, alors « qu'en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères, à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention "officielle", les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel ; que sous réserve des strictes exigences de sa propre défense et des cas de déclaration ou de révélation prévus ou autorisés par la loi, l'avocat ne peut commettre aucune divulgation contrevenant au secret professionnel ; qu'en admettant la production par l'avocat des correspondances soumises au secret professionnel dans le cadre d'une instance judiciaire au seul motif que "ces documents sont tous en relation directe avec les faits invoqués", la cour d'appel, qui n'a pas recherché si chacun de ces documents était strictement nécessaire à la défense de celui-ci, a privé sa décision de base légale au regard des articles 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 4 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005. »
Réponse de la Cour
5. Si, aux termes de l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères, à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention « officielle », les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel, l'avocat peut cependant, selon l'article 4 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, être délié du secret professionnel auquel il est tenu lorsque les strictes exigences de sa propre défense devant toute juridiction le justifient.
6. Après avoir rappelé que le secret professionnel de l'avocat est général, absolu et illimité dans le temps, sous réserve des strictes exigences de sa propre défense devant toute juridiction, la cour d'appel a retenu qu'afin d'assurer sa défense, la société d'avocats était en droit de verser aux débats les correspondances qu'elle avait échangées avec les autres parties ou leur conseil dans la mesure où ces documents étaient tous en relation directe avec les faits invoqués au soutien de l'action engagé à son encontre.
7. Elle a ainsi fait ressortir la nécessité pour la société d'avocats de produire ces pièces afin d'assurer sa défense.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les sociétés Olivia et C2B68 aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Olivia et C2B68 et les condamne à payer à la société Fidal la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour les sociétés Olivia et C2B68
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Les sociétés Olivia et C2B68 font grief à l'arrêt attaqué, infirmatif sur ce point, de les avoir déboutées de leur demande en distraction des pièces n°13, 15, 16, 17, 21, 22, 23, 25 et 26 produites par la société Fidal ;
ALORS QU'en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères, à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention « officielle », les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel ; que sous réserve des strictes exigences de sa propre défense et des cas de déclaration ou de révélation prévus ou autorisés par la loi, l'avocat ne peut commettre aucune divulgation contrevenant au secret professionnel ; qu'en admettant la production par l'avocat des correspondances soumises au secret professionnel dans le cadre d'une instance judiciaire au seul motif que « ces documents sont tous en relation directe avec les faits invoqués » (arrêt, p. 5), la cour d'appel, qui n'a pas recherché si chacun de ces documents était strictement nécessaire à la défense de celui-ci, a privé sa décision de base légale au regard des articles 66-5 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 et 4 du décret n°2005-790 du 12 juillet 2005.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Les sociétés Olivia et C2B68 font grief à l'arrêt attaqué de les avoir déboutées de leur demande en dommages et intérêts formée contre la société Fidal ;
1°/ ALORS QUE la charge de la preuve de la parfaite exécution d'une obligation de résultat pèse sur le débiteur qui est présumé fautif en cas d'échec de l'opération projetée ; qu'en reprochant à la société Olivia d'être « totalement défaillante dans l'administration de la preuve qui lui incombe » (arrêt, p. 6), après avoir pourtant constaté que l'avocat rédacteur d'acte était tenu à une obligation de résultat, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l'article 1315 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause ;
2°/ ALORS QU'en énonçant que « il est contradictoire pour la SCI Olivia d'imputer la résiliation du bail commercial à la Fidal tout en reprochant à celle-ci de l'avoir poussée à accepter une transaction lésionnaire de ses intérêts puisque, ce faisant, elle reconnait nécessairement que cette résiliation était imputable à son cocontractant » (arrêt, p. 6, §2), la cour d'appel s'est prononcée par des motifs impropres à exclure toute faute de la part de l'avocat, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause ;
3°/ ALORS QU'en retenant que le manquement reproché au bailleur quant à son obligation de délivrance d'un local conforme n'était qu'un « prétexte » à la résiliation du bail et que sa réelle cause résidait en la situation financière obérée du preneur, la cour d'appel, qui a ainsi constaté que le levier de négociation mis en oeuvre par le preneur résultait des obligations contractuelles des parties, et donc du bail rédigé par l'avocat, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en excluant tout lien de causalité, et ce en violation de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause ;
4°/ ALORS QUE le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en jugeant que « les appelantes, en acceptant d'acquérir ces terrains pour un prix médian de 650 000 euros, étaient animées d'une volonté spéculatrice de sorte qu'elles doivent assumer le risque qu'elles ont pris en toute connaissance de cause » (arrêt, p. 7, 3ème §), sans répondre au moyen des exposantes selon lequel l'avocat, tenu à une obligation de conseil, aurait dû « pour tenir compte d'une évolution du plan local d'urbanisme susceptible de rendre les terrains constructibles, préconiser de fixer un complément de prix susceptible d'être versé par les acquéreurs, si cet événement se réalisait » (conclusions des exposantes, p. 32, §7), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.