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28/09/2022 | FRANCE | N°21-13058

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 28 septembre 2022, 21-13058


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CH9

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 28 septembre 2022

Cassation

Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 989 F-D

Pourvoi n° C 21-13.058

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 28 SEPTEMBRE 2022

Mme [C] [P], domiciliée [Adresse

1], a formé le pourvoi n° C 21-13.058 contre l'arrêt rendu le 2 décembre 2020 par la cour d'appel de Bordeaux (chambre sociale, section A), dans...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CH9

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 28 septembre 2022

Cassation

Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 989 F-D

Pourvoi n° C 21-13.058

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 28 SEPTEMBRE 2022

Mme [C] [P], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° C 21-13.058 contre l'arrêt rendu le 2 décembre 2020 par la cour d'appel de Bordeaux (chambre sociale, section A), dans le litige l'opposant à la société France maternité, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Pietton, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [P], après débats en l'audience publique du 28 juin 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Pietton, conseiller rapporteur, Mme Le Lay, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 2 décembre 2020) et les productions, Mme [P] a été engagée le 17 mars 2004 par la société France maternité (la société) en qualité de chef de produit junior et exerçait dans le dernier état des relations contractuelles les fonctions de directrice des marchés.

2. Par lettre recommandée du 2 mars 2016, la société, invoquant des difficultés économiques, a proposé à la salariée une modification de son contrat de travail consistant en une suppression d'une prime annuelle contractuelle et un changement de lieu de travail, de la commune de [Localité 3] à celle de [Localité 4].

3. Après que la salariée a refusé, par lettre recommandée du 25 mars 2016, cette proposition, la société l'a informée, par lettre du 12 mai 2016, de l'absence de modification de son contrat de travail et du fait que le nouveau lieu de travail ne constituait qu'un changement des conditions de travail.

4. La salariée a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail en reprochant à son employeur de lui avoir imposé unilatéralement la modification de son contrat de travail.

5. Ayant refusé de rejoindre le nouveau lieu de travail, elle a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement le 31 juillet 2016 et a été licenciée pour faute grave le 25 août 2016 pour absence injustifiée et perturbation de l'entreprise en découlant.

Examen du moyen

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur et de ses demandes indemnitaires afférentes, alors que « lorsque l'employeur envisage la modification d'un élément essentiel du contrat de travail pour l'un des motifs économiques énoncés à l'article L. 1233-3, il en fait la proposition au salarié par lettre recommandée avec avis de réception ; qu'il en résulte qu'en notifiant une telle proposition, l'employeur reconnaît qu'elle avait pour objet de modifier le contrat de travail ; qu'en retenant, pour débouter la salariée de ses demandes au titre de la résiliation judiciaire, par motifs adoptés, que peu importait que le changement de lieu de travail eut été dicté par la mise en oeuvre d'un licenciement économique puisque ledit licenciement économique n'avait pas été mené à son terme, et par motifs propres, que contrairement à ce que soutenait la salariée, la société avait renoncé, dès le 27 avril 2016, à supprimer la prime annuelle versée aux salariés, pour en déduire qu'aucune modification pour motif économique n'était intervenue en l'espèce, quand l'employeur n'avait en rien modifié ou mis un terme à son projet de réorganisation pour motif économique puisqu'il avait imposé notamment un changement de lieu de travail, au départ justifié par des raisons économiques, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-3 et L. 1222-6 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige, ensemble de l'article 1184 devenu 1224 et s. du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1233-3, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, L. 1222-6 du code du travail et 1184 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

7. Selon le deuxième de ces textes, lorsque l'employeur envisage la modification d'un élément essentiel du contrat de travail pour l'un des motifs économiques énoncés à l'article L. 1233-3, il en fait la proposition au salarié par lettre recommandée avec avis de réception. La lettre de notification informe le salarié qu'il dispose d'un mois à compter de sa réception pour faire connaître son refus. A défaut de réponse dans le délai d'un mois, le salarié est réputé avoir accepté la modification proposée. Il en résulte qu'en notifiant une telle proposition, l'employeur reconnaît qu'elle a pour objet de modifier le contrat de travail.

8. Pour débouter la salariée de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail et de ses demandes subséquentes, l'arrêt retient d'abord que la société avait renoncé dès le 27 avril 2016 à supprimer la prime annuelle versée aux salariés et ensuite que la mention du lieu de travail dans le contrat de travail a une simple valeur informative et n'empêche donc pas l'employeur de proposer une mutation au salarié lorsqu'elle intervient dans le même secteur géographique, ce qui est le cas en l'espèce. Il énonce enfin qu'il en résulte que la société n'était pas contrainte de recueillir préalablement l'accord de la salariée pour l'affecter à son nouveau lieu de travail de sorte que son refus d'accepter le changement de ses conditions de travail et de rejoindre les locaux de [Localité 4] est illégitime.

9. En statuant ainsi, alors qu'elle ne pouvait, en l'état de la proposition faite par l'employeur conformément à l'article L. 1222-6 du code du travail, dénier l'existence de la modification du contrat de travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;

Condamne la société France maternité aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société France maternité et la condamne à payer à Mme [P] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit septembre deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour Mme [P]

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Mme [P] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR déboutée de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur et de ses demandes indemnitaires afférentes ;

1) ALORS d'abord QUE lorsque l'employeur envisage la modification d'un élément essentiel du contrat de travail pour l'un des motifs économiques énoncés à l'article L. 1233-3, il en fait la proposition au salarié par lettre recommandée avec avis de réception ; qu'il en résulte qu'en notifiant une telle proposition, l'employeur reconnaît qu'elle avait pour objet de modifier le contrat de travail ; qu'en retenant, pour débouter la salariée de ses demandes au titre de la résiliation judiciaire, par motifs adoptés, que peu importait que le changement de lieu de travail eut été dicté par la mise en oeuvre d'un licenciement économique puisque ledit licenciement économique n'avait pas été mené à son terme, et par motifs propres, que contrairement à ce que soutenait la salariée, la société avait renoncé, dès le 27 avril 2016, à supprimer la prime annuelle versée aux salariés, pour en déduire qu'aucune modification pour motif économique n'était intervenue en l'espèce, quand l'employeur n'avait en rien modifié ou mis un terme à son projet de réorganisation pour motif économique puisqu'il avait imposé notamment un changement de lieu de travail, au départ justifié par des raisons économiques, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-3 et L. 1222-6 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige, ensemble de l'article 1184 devenu 1224 et s. du code civil ;

2) ALORS au surplus QUE constitue une modification du contrat de travail le fait pour un employeur de modifier unilatéralement les conditions d'attribution d'une prime prévue au contrat ; qu'en retenant en l'espèce que les modalités de calcul de la prime n'avaient pas été modifiées aux motifs que seuls les salariés présents à la fin de l'année et pour lesquels l'atteinte des objectifs fixés pouvait être mesurée pouvaient en bénéficier, et que c'était en raison de la sortie de la salariée de l'entreprise en cours d'année que la prime ne lui avait pas été versée, quand il ressortait précisément des conditions prévues au contrat pour le versement de la prime d'objectifs que celle-ci serait versée au prorata du temps de présence de la salariée, et non pas sous condition de présence en fin d'année civile, la cour d'appel a violé l'article 1134 devenu 1103 du code civil, ensemble de l'article 1184 devenu 1224 et s. du code civil ;

3) ALORS encore QUE le juge est tenu de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en retenant que les modalités de calcul de la prime n'avaient pas été modifiées aux motifs que seuls les salariés présents à la fin de l'année et pour lesquels l'atteinte des objectifs fixés pouvait être mesurée pouvaient en bénéficier, et que c'était en raison de la sortie de la salariée en cours d'année que la prime ne lui avait pas été versée, quand il ressortait précisément de l'avenant du 20 janvier 2014 (production 5 – avenant au CDI du 20 janvier 2014) que la prime serait versée au prorata du temps de présence de la salariée, sans qu'aucune condition de présence en fin d'année ne soit prévue, la cour d'appel a violé l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui était soumis ;

4) ALORS enfin QU'en retenant que si aucune prime n'avait été versée au titre de 2016, c'était en raison de la sortie de la salariée en cours d'année et des mauvais résultats enregistrées sur son activité au cours des mois pendant lesquels elle avait été présente, quand l'employeur ne produisait aucun élément de preuve confirmant les prétendus mauvais résultats de la salarié, la cour d'appel a statué par des motifs insuffisants à justifier sa décision, la privant en conséquence de base légale au regard de l'article 1134 devenu 1103 du code civil, ensemble de l'article 1184 devenu 1224 et s. du code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)

Mme [P] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté la salariée de sa demande de requalification de son licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;

1) ALORS d'abord QUE lorsqu'est alléguée une atteinte au droit du salarié à une vie personnelle et familiale, le juge est tenu de rechercher si la décision d'affectation sur un nouveau lieu de travail ne portait pas une atteinte au droit de la salariée à une vie personnelle et familiale et si une telle atteinte pouvait être justifiée par la tâche à accomplir et était proportionnée au but recherché ; qu'en l'espèce, il ressortait tant des écritures d'appel de la salariée (écritures d'appel de la salariée, p. 31) que des pièces produites par elle (production 6 – courrier du 26 mai 2016) que la salariée s'était prévalue de son droit à une vie personnelle et familiale pour justifier son refus de changer de lieu de travail (écritures d'appel p. 8 et s.) ; qu'en retenant cependant, par motifs adoptés, que l'absence avérée de la salariée sur son nouveau lieu de travail, après mise en garde de l'employeur, justifiait la nécessité de se séparer immédiatement de la salariée et constituait bien une faute grave, et par motifs propres que l'absence de la salariée, compte tenu de son niveau de responsabilité dans l'entreprise, a nécessairement perturbé l'organisation et le fonctionnement de la société et constituait une faute grave, sans rechercher ainsi qu'il lui était demandé, si la décision d'affectation de la salariée ne portait pas atteinte au droit à une vie personnelle et familiale et si une telle atteinte pouvait être justifiée par la tâche à accomplir et était proportionnée au but recherché, la cour d'appel a privé à sa décision de base légale au regard de l'article L. 1121-1 du code du travail ;

2) ALORS ensuite QUE l'employeur est tenu d'exécuter de bonne foi le contrat de travail ; que manque à la loyauté contractuelle l'employeur qui a obstinément ignoré les refus répétés d'une salariée dans la mise en oeuvre d'un changement d'affectation ; qu'en l'espèce, la salariée avait, à quatre reprises, expressément signifié son refus de changer de lieu de travail, cela pour des raisons légitimes et circonstanciées ; que l'employeur, de manière obstinée, a insisté auprès de la salariée pour lui imposer un changement de lieu de travail, sans aucune considération pour les refus répétés et justifiés de la salariée ; qu'en retenant l'existence d'une faute grave, sans aucune considération pour les circonstances dans lesquels le changement de lieu de travail était intervenu, et sans notamment considérer l'obstination de l'employeur exclusive de la loyauté contractuelle, la cour d'appel a violé les articles 1103 et 1104 du code civil, et L. 1222-1 du code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21-13058
Date de la décision : 28/09/2022
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Bordeaux, 02 décembre 2020


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 28 sep. 2022, pourvoi n°21-13058


Composition du Tribunal
Président : Mme Mariette (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 04/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2022:21.13058
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