LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 22 septembre 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 944 F-D
Pourvoi n° P 21-10.584
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 22 SEPTEMBRE 2022
Mme [V] [W], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 21-10.584 contre l'arrêt rendu le 15 janvier 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 13), dans le litige l'opposant à la caisse d'allocations familiales (CAF) de Paris, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dudit, conseiller référendaire, les observations de Me Soltner, avocat de Mme [W], et l'avis de M. Halem, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 28 juin 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Dudit, conseiller référendaire rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 janvier 2021), à la suite d'un contrôle, la caisse d'allocations familiales de Paris (la caisse) a, par décisions du 12 janvier 2016 puis du 26 juillet 2016, notifié à Mme [W] (l'allocataire) un indu au titre de l'allocation de logement sociale, ainsi que la suspension du versement des prestations sociales.
2. L'allocataire a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. L'allocataire fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa contestation et de la condamner à payer à la caisse une certaine somme, alors « que si la procédure de sécurité sociale comporte, en principe, une saisine préalable de la commission de recours amiable dont l'omission constitue une fin de non-recevoir qui peut être soulevée en tout état de cause, les actions en dommages-intérêts engagées contre les organismes de sécurité sociale échappent à cette règle ; qu'en l'espèce, l'allocataire sollicitait « En tout état de cause? » la condamnation de la Caisse au paiement de dommages intérêts en raison de son préjudice moral en faisant valoir « que depuis la décision rendue par le TASS, la CAF n'a toujours pas rétabli l'allocataire dans ses droits, alors même que la décision était assortie de l'exécution provisoire ; que cette situation a causé un lourd préjudice à l'allocataire qui s'est retrouvée à devoir constamment faire face à des difficultés financières et qu'elle a des répercussions sur la santé de l'allocataire comme en attestent les certificats versés aux débats qui précisent que l'assurée est suivie depuis 2016 pour dépression sévère » ; qu'elle soutenait encore « que même si le lien de causalité est particulièrement complexe à établir entre les actions de la CAF et l'état de santé de l'allocataire, on ne peut qu'admettre qu'au-delà des présomptions graves précises et concordantes, un tel acharnement de la caisse à l'égard de l'allocataire a contribué à l'aggravation de son état de santé ou fait obstacle à son amélioration ; qu'elle sollicitait en conséquence que la caisse d'allocations familiales de Paris soit condamnée à lui verser la somme de 10 000 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral ; qu'en déclarant « irrecevable la contestation de l'allocataire » faute pour celle-ci d'avoir préalablement porté sa contestation devant la commission de recours amiable, quand elle était saisie d'une demande qui ne requérait pas la saisine préalable de cette commission, la cour d'appel a violé les articles L. 142-1 et R. 142-1 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article R. 142-1 du code de la sécurité sociale :
4. Selon ce texte, si la procédure de sécurité sociale comporte, en principe, une saisine préalable de la commission de recours amiable dont l'omission constitue une fin de non-recevoir qui peut être soulevée en tout état de cause, les actions en dommages-intérêts engagées contre les organismes de sécurité sociale échappent à cette règle.
5. Pour déclarer la contestation de l'allocataire irrecevable, ayant constaté que la notification du 26 juillet 2016, qui rapportait celle du 12 janvier 2016, ne reprenait pas les mentions obligatoires relatives aux voies de recours, l'arrêt retient que cette omission n'entraîne que l'inopposabilité des délais de recours pour saisir la commission de recours amiable mais ne dispense pas l'allocataire de cette formalité préalable obligatoire.
6. En statuant ainsi, alors que, s'agissant de l'action en responsabilité dirigée contre la caisse, la procédure administrative amiable n'était pas requise de la part de l'allocataire, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a déclaré l'appel recevable, l'arrêt rendu le 15 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la caisse d'allocations familiales de Paris aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la caisse d'allocations familiales de Paris à payer à Mme [W] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux septembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Soltner, avocat aux Conseils, pour Mme [W]
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré irrecevable la contestation de Mme [V] [W], et de l'AVOIR condamnée sur demande reconventionnelle, au paiement à la Caisse d'allocations familiales de Paris de la somme de 5147,52 euros et débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires
1)° ALORS QUE si la procédure de sécurité sociale comporte, en principe, une saisine préalable de la commission de recours amiable dont l'omission constitue une fin de non-recevoir qui peut être soulevée en tout état de cause, les actions en dommages-intérêts engagées contre les organismes de sécurité sociale échappent à cette règle ; qu'en l'espèce, Mme [W] sollicitait « En tout état de cause? » la condamnation de la Caisse au paiement de dommages intérêts en raison de son préjudice moral en faisant valoir « que depuis la décision rendue par le TASS, la CAF n'a toujours pas rétabli Madame [W] dans ses droits, alors même que la décision était assortie de l'exécution provisoire ; que cette situation a causé un lourd préjudice à Madame [W] qui s'est retrouvée à devoir constamment faire face à des difficultés financières et qu'elle a des répercussions sur la santé de Madame [W] comme en attestent les certificats versés aux débats qui précisent que l'assurée est suivie depuis 2016 pour dépression sévère » ; qu'elle soutenait encore « que même si le lien de causalité est particulièrement complexe à établir entre les actions de la CAF et l'état de santé de Madame [W], on ne peut qu'admettre qu'au-delà des présomptions graves précises et concordantes, un tel acharnement de la caisse à l'égard de Madame [W] a contribué à l'aggravation de son état de santé ou fait obstacle à son amélioration ; qu'elle sollicitait en conséquence que la caisse d'allocations familiales de Paris soit condamnée à lui verser la somme de 10.000 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral ; qu'en déclarant « irrecevable la contestation de Mme [W] » faute pour celle-ci d'avoir préalablement porté sa contestation devant la commission de recours amiable, quand elle était saisie d'une demande qui ne requérait pas la saisine préalable de cette commission, la cour d'apple a violé les articles L 142-1 et R 142-1 du code de la sécurité sociale.
2°) ALOR QUE l'irrecevabilité de la demande de l'assuré faute de saisine préalable de la commission de recours amiable n'emporte aucune forclusion si la décision de la caisse ne mentionne pas les voies de recours, ni le délai dans lequel cette commission doit être saisie ; qu'en l'espèce la demande de la Caisse tendant à la condamnation de Mme [V] [W] à lui verser « reconventionnellement » la somme de 5147,22 euros, c'est-à-dire la somme réclamée aux termes des deux décisions du 12 janvier et du 26 juillet 2016 précisément contestées par l'exposante à l'occasion de la présente instance, consistait ni plus ni moins à demander au juge de valider définitivement ces décisions alors même que l'arrêt constate que Mme [W] était toujours dans les délais pour en contester le bien-fondé devant la Commission de recours amiable puisque lesdites décisions ne mentionnaient ni les délais de recours, ni la nécessité de saisir au préalable la Commission de recours amiable, commission que Mme [V] [W] justifie, au demeurant, avoir régulièrement saisi le 23 février 2021 postérieurement à l'arrêt attaqué; qu'en cet état, l'arrêt attaqué n'avait d'autre solution que de surseoir à statuer dans l'attente que les décisions de la Caisse contestées par Mme [W] soient devenues définitives, ou renvoyer la Caisse à mieux se pourvoir, mais ne pouvait conférer à ces décisions un caractère irrévocable en condamnant l'exposante à en payer les causes, sauf à priver de tout objet le recours qu'elle demeurait en droit d'exercer à leur encontre en saisissant la Commission de recours amiable aux fins d'en contester le bien-fondé ; qu'en condamnant pourtant Mme [W] à payer à la Caisse la somme de 5147,22 correspondant au montant réclamée dans des décisions dont l'arrêt constate que l'intéressée était toujours dans les délais pour en contester le bien-fondé au moyen d'un recours préalable, la cour d'appel a violé a violé l'articles 64 et 70 du code de procédure civile, ensembles les articles L 142-1 et R 142-1 du code de la sécurité sociale et l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
3°) ALORS QUE toute décision doit comporter des motifs ; qu'en l'espèce, Mme [W] expliquait dans ses conclusions qu'aucune ressource supplémentaire n'avait été occultée pouvant justifier que les prestations qu'elle percevait lui soient rétroactivement supprimées, que les justificatifs réclamés pour fonder la demande de restitution ne lui avaient jamais été adressées, que les décisions qu'elle contestait étaient dépourvues de tout motif, comme le tribunal l'avait lui-même constaté ; qu'en se contentant d'énoncer, pour faire doit à la demande reconventionnelle de la Caisse en restitution d'un prétendu indu « que la caisse justifie que compte tenu d'un droit à l'ALS de 118 euros accordé en 2015, Mme [W] a perçu de façon indue la somme de 5147,52 euros de février 2014 à décembre 2015 », la cour d'appel, qui s'est contentée d'affirmer que la créance de restitution était due, sans exercer le moindre contrôle sur le bien-fondé de cette créance, a privé sa décision de tout motif et violé l'article 455 du code de procédure civile ;