LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 13 juillet 2022
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 599 F-D
Pourvoi n° X 21-10.040
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 13 JUILLET 2022
1°/ Mme [O] [Y], divorcée [V],
2°/ Mme [W] [V], agissant en qualité de curatrice de Mme [O] [Y],
domiciliées toutes deux [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° X 21-10.040 contre l'arrêt rendu le 3 novembre 2020 par la cour d'appel de Versailles (1re chambre, 1re section), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme [H] [Y], veuve [E], domiciliée [Adresse 2],
2°/ à Mme [D] [I], domiciliée [Adresse 1], mandataire judiciaire à la protection des majeurs, prise en de curateur ad hoc de Mme [O] [Y],
défenderesses à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dard, conseiller, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de Mme [O] [Y] et de Mme [V], ès qualités, de la SCP de Nervo et Poupet, avocat de Mme [H] [Y], et l'avis de M. Sassoust, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 juin 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Dard, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 3 novembre 2020) et les productions, un arrêt du 22 octobre 2019 a ordonné le partage de la communauté et des successions confondues de [J] [Y] et de son épouse, [X] [K], respectivement décédés les 5 mai « 1995 » et 10 mars 1997, en laissant pour leur succéder leurs filles, [O] et [H], et dit que « la succession » détenait sur Mme [H] [Y] une créance d'un montant de 346 450 francs, soit 52 815,96 euros, au titre d'un prêt à elle consenti le 28 septembre 1982.
2. Mme [O] [Y] a saisi la cour d'appel d'une requête en omission de statuer.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens et sur le troisième moyen, en ce qu'il est dirigé contre le chef de dispositif déclarant irrecevables les demandes de Mme [O] [Y] tendant à l'application des intérêts légaux à compter du 5 mai 1988 ou du 5 mai 1993, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen et sur le troisième moyen, en ce qu'il est dirigé contre le chef du dispositif déclarant irrecevables les demandes de Mme [O] [Y] tendant à l'application des intérêts légaux à compter du 5 mai 1988 ou du 5 mai 1993, qui sont irrecevables, et sur le deuxième moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche, en ce qu'il est dirigé contre le chef du dispositif rejetant la demande de Mme [O] [Y] tendant à voir juger que la succession détient une créance de 346 450 francs (52 815,96 euros) envers Mme [H] [Y], outre les intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 1985
Enoncé du moyen
4. Mme [O] [Y] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir juger que la succession détient une créance de 346 450 francs (52 815,96 euros) sur Mme [H] [Y] outre les intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 1985, alors « qu'en refusant de juger que la dette de Mme [H] [Y] à l'égard de la succession au titre du prêt qui lui a été consenti produirait intérêts au taux légal à compter du 5 mai 1993, date d'ouverture de la succession, la cour d'appel a violé l'article 856 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 23 juin 2006. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 829 et 856 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi du 23 juin 2006 :
5. Selon le premier de ces textes, chaque cohéritier fait rapport à la masse des sommes dont il est débiteur.
6. Selon le second, les intérêts des dettes sujettes à rapport sont dus de plein droit à compter du jour de la succession.
7. Pour rejeter la demande de Mme [O] [Y], l'arrêt retient qu'elle n'est pas justifiée.
8. En statuant ainsi, alors que les intérêts de la dette, qui était sujette à rapport, étaient dus de plein droit à compter du jour de l'ouverture de la succession, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de Mme [O] [Y] tendant à voir juger que la succession détient une créance de 346 450 francs (52 815,96 euros) outre intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 1985 sur Mme [H] [Y], l'arrêt rendu le 3 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne Mme [H] [Y] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [H] [Y] et la condamne à payer à Mme [O] [Y] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize juillet deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat aux Conseils, pour Mme [O] [Y] et Mme [V], ès qualités
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Mme [O] [Y] divorcée [V], assistée de sa curatrice, Mme [W] [V], FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir constaté que, dans l'arrêt du 22 octobre 2019, il a été omis de statuer « sur la demande formée par Mme [O] [Y] tendant ‘‘subsidiairement'' qu'il soit dit que ‘‘la succession détient une créance de 346 450 francs sur [H] [E] née [Y] outre les intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 1985'' » ;
1/ ALORS QUE, dans ses motifs, l'arrêt attaqué énonce « qu'il convient? de compléter l'arrêt litigieux [du 22 octobre 2019] et de statuer sur la demande relative aux intérêts », admettant ainsi une omission de statuer limitée à la demande tendant à ce qu'il soit dit que la dette de Mme [E] à l'égard de la succession produirait intérêts au taux légal ; qu'en constatant, dans le dispositif de son arrêt, qu'il avait été omis de statuer « sur la demande formée par Mme [O] [Y] tendant ‘‘subsidiairement'' qu'il soit dit que ‘‘la succession détient une créance de 346 450 francs sur [H] [E] née [Y] outre les intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 1985'' », la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction et violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2/ ALORS QUE l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 22 octobre 2019 a confirmé « en toutes ses dispositions » le jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 17 mars 2016 matériellement rectifié le 24 novembre 2016 qui avait « dit que la succession détient sur Mme [H] [Y] une créance d'un montant de 346 450 francs soit 52 815,96 euros au titre du prêt à elle consenti le 28 septembre 2012 », de sorte qu'elle n'a pas omis de statuer sur la demande de reconnaissance d'une dette de Mme [Y] à l'égard de la succession pour un montant en principal de 346 450 francs soit 52 815,96 euros ;qu'en ne retenant pas, dans le dispositif de son arrêt, que l'omission de statuer affectant l'arrêt du 22 octobre 2019 portait uniquement sur la demande tendant à ce que la créance de la succession soit assortie des intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 1985, la cour d'appel a violé l'article 463 du code de procédure civile ;
3/ ALORS QUE, dans sa requête en réparation d'omission de statuer, Mme [V], assistée de sa curatrice, demandait à la cour d'appel de constater qu'il n'avait pas été statué sur sa demande « tendant à l'application des intérêts légaux sur le prêt de 346 450 francs consenti à Mme [E] » ; qu'en constatant une omission de statuer « sur la demande formée par Mme [O] [Y] tendant ‘‘subsidiairement'' qu'il soit dit que ‘‘la succession détient une créance de 346 450 francs sur [H] [E] née [Y] outre les intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 1985 », la cour d'appel a méconnu les termes du litige en violation de l'article 4 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Mme [O] [Y] divorcée [V], assistée de sa curatrice, Mme [W] [V], FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir, en réparant l'omission de statuer affectant l'arrêt du 22 octobre 2019, rejeté « la demande formée par Mme [O] [Y] tendant à juger que ‘‘la succession détient une créance de 346 450 francs sur [H] [E] née [Y] outre les intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 1985'' » ;
1/ ALORS QUE, dans les motifs de leurs conclusions du 22 mai 2019, Mme [V] et sa curatrice, après avoir exposé que, « pour caractériser la réalité de ce prêt [de 346 450 francs], Mme [E] fait état d'une reconnaissance de dette du 28 septembre 1982 par laquelle elle s'engageait à rembourser à partir de 1985 et au fur et à mesure de ses possibilités » (p. 17), faisaient valoir que la cour d'appel devait confirmer le jugement entrepris « en ce qu'il a dit que la succession disposait d'une créance à l'encontre de Mme [E] à hauteur de 346 450 francs » et y ajouter « le paiement des intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 1985, date supposée du début du remboursement des sommes » ; qu'elles soutenaient donc que la succession pouvait prétendre au règlement des intérêts au taux légal à compter de la date à laquelle le prêt consenti à Mme [E] aurait dû, selon son propre engagement, commencer à être remboursé ; qu'en affirmant qu'elles n'expliquaient pas en quoi les intérêts au taux légal devaient courir à compter du 1er janvier 1985 et que leurs conclusions n'articulaient aucun moyen de fait et de droit à l'appui de leur demande, la cour d'appel a dénaturé les conclusions du 22 mai 2019 en violation de l'interdiction faite au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
2/ ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE, lorsque les intérêts sont dus de plein droit, ce qui est le cas des intérêts des dettes sujettes à rapport à succession, la formulation des moyens de fait et de droit sur lesquels est fondée la prétention tendant à voir reconnaître une dette sujette à rapport vaut nécessairement pour la demande tendant à voir juger que cette dette est productive d'intérêts au taux légal ; qu'en rejetant la demande de Mme [V] faute pour elle d'avoir articulé un moyen spécifique de fait et de droit justifiant que la créance de la succession à l'égard de Mme [E] au titre du prêt qui lui a été consenti soit assortie des intérêts au taux légal, la cour d'appel a violé l'article 954 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret du 6 mai 2017 ensemble l'article 856 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 23 juin 2006.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Mme [O] [Y] divorcée [V], assistée de sa curatrice, Mme [W] [V], FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir, en réparant l'omission de statuer affectant l'arrêt du 22 octobre 2019, rejeté « la demande formée par Mme [O] [Y] tendant à juger que ‘‘la succession détient une créance de 346 450 francs sur [H] [E] née [Y] outre les intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 1985'' » et déclaré « ‘irrecevables les demandes de Mme [O] [Y] qui sollicite que la cour applique les intérêts au taux légaux à compter du 5 mai 1988 ou du 5 mai 1993 » ;
1/ ALORS QUE les intérêts des dettes sujettes à rapport sont dus de plein droit à compter du jour de l'ouverture de la succession ou, lorsque la dette est née postérieurement, de la date de sa naissance ; que, lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à ce qu'il soit dit qu'une dette sujette à rapport portera intérêts au taux légal, le juge doit statuer sur cette demande au regard des dispositions de l'article 856 du code civil même si le demandeur se prévaut d'une date de point de départ des intérêts autre que la date d'ouverture de la succession ou la date de naissance de la dette si elle est né postérieurement ; qu'il le doit également lorsqu'il répare une omission de statuer sur les intérêts au taux légal ; qu'en déclarant Mme [V], assistée de sa curatrice, irrecevables à inviter subsidiairement la cour d'appel, après avoir réparé l'omission de statuer affectant l'arrêt du 22 octobre 2019, à dire que la dette de Mme [E] au titre du prêt qui lui a été consenti du vivant de son père, porterait intérêt au taux légal à compter du 5 mai 1993, date d'ouverture de la succession, la cour d'appel a violé les articles 12 et 463 du code de procédure civile ensemble l'article 856 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 23 juin 2006 ;
2/ ALORS QU'en refusant de juger que le dette de Mme [E] à l'égard de la succession au titre du prêt qui lui a été consenti produirait intérêts au taux légal à compter du 5 mai 1993, date d'ouverture de la succession, la cour d'appel a violé l'article 856 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 23 juin 2006.