LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 22 juin 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 503 FS-D
Pourvoi n° B 21-12.022
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 22 JUIN 2022
Mme [J] [Y], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° B 21-12.022 contre l'arrêt rendu le 11 décembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 3), dans le litige l'opposant à M. [Z] [L], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Andrich, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de Mme [Y], de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de M. [L], et l'avis de Mme Morel-Coujard, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 mai 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Andrich, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, MM. Jessel, David, Jobert, Mme Grandjean, conseillers, M. Jariel, Mmes Schmitt, Aldigé, Gallet, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 décembre 2020), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 23 janvier 2020, pourvoi n° 19-11.349), [D] [L] a donné à bail à Mme [Y] un local à usage d'habitation.
2. M. [Z] [L], devenu propriétaire du local au décès de son père, a notifié à Mme [Y] un congé pour vendre, puis l'a assignée en validité de ce congé, en expulsion et en paiement d'un arriéré de loyer.
3. Mme [Y] l'a assigné en requalification du bail en bail de droit commun, soumis aux dispositions de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, et a sollicité, notamment, l'indemnisation d'un trouble de jouissance et le remboursement de loyers.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. Mme [Y] fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement de loyers, et de rejeter ses demandes de remboursement de loyers et d'indemnisation des préjudices subis du fait de son expulsion des lieux loués, alors :
« 1°/ que le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent ; qu'un logement décent doit disposer au moins d'une pièce principale ayant soit une surface habitable au moins égale à 9 mètres carrés et une hauteur sous plafond au moins égale à 2,20 mètres, soit un volume habitable au moins égal à 20 mètres cubes ; qu'en condamnant Mme [Y] à payer à M. [L] la somme de 17 530 euros et en la déboutant de sa demande tendant au remboursement des loyers versés, après avoir pourtant constaté que « le logement est inapte à la location en raison de ses dimensions et qu'il n'est pas possible d'y remédier », et que « le père de [Z] [L] a reçu des loyers en contrepartie de l'occupation par la preneuse à bail d'un logement qui n'était pas conforme aux dispositions de l'article 4 du décret 2002-120 du 30 janvier 2002 en ce qu'il mesurait en surface 8,11 m² au lieu de 9 m² et 18,73 m3 au lieu de 20 m3 », ce dont il résultait que le bailleur avait manqué à son obligation de délivrance d'un logement décent, la cour d'appel a violé l'article 1719 du code civil, ensemble l'article 4 du décret du 30 janvier 2002 ;
2°/ que, lorsque des locaux loués à usage d'habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l'expulsion de l'occupant ; que la reprise illicite d'un logement ouvre droit à réparation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément constaté que «le logement est inapte à la location en raison de ses dimensions et qu'il n'est pas possible d'y remédier », et que « le père de [Z] [L] a reçu des loyers en contrepartie de l'occupation par la preneuse à bail d'un logement qui n'était pas conforme aux dispositions de l'article 4 du décret 2002-120 du 30 janvier 2002 en ce qu'il mesurait en surface 8,11 m² au lieu de 9 m² et 18,73 m3 au lieu de 20 m3 » ; que dans ses conclusions d'appel, Mme [Y] sollicitait en conséquence de voir condamner M. [L] à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour les préjudices moral et matériel subis du fait de son expulsion des lieux loués ; qu'en déboutant cette dernière de sa demande, la cour d'appel a violé l'article 1719 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. Ayant retenu que, si les dimensions du local donné à bail à Mme [Y] étaient inférieures à celles requises par l'article 4 du décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 et qu'une mise en conformité était impossible, ce local, dans lequel la locataire, qui n'avait pas sollicité la résiliation du bail, s'était maintenue jusqu'au 29 mars 2019, date à laquelle elle avait abandonné les lieux, n'était pas inhabitable, la cour d'appel en a souverainement déduit que la locataire n'avait pas été expulsée et ne pouvait se prévaloir de l'exception d'inexécution pour se soustraire au paiement des loyers.
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. Mme [Y] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'indemnisation d'un préjudice de jouissance, alors « que les juges du fond ne peuvent refuser d'évaluer le montant d'un dommage dont ils constatent l'existence en son principe ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément relevé que la locataire demandait des dommages-intérêts résultant du fait qu'elle avait vécu dans un logement ne répondant pas aux normes , et que le fait que le logement n'ait été que de 8,11 m² au lieu de 9 m² selon les critères de la loi Carrez, lui avait occasionné un préjudice modéré ; qu'en déboutant Mme [Y] de sa demande de dommages-intérêts pour les préjudices de jouissance subis, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
7. Il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser d'évaluer le montant d'un dommage dont il a constaté l'existence en son principe.
8. Pour rejeter la demande de Mme [Y] en indemnisation d'un préjudice de jouissance, l'arrêt retient que le fait que la surface du logement dont elle était locataire ait été de 8,11 mètres carrés, au lieu de 9 mètres carrés, ne lui a occasionné qu'un préjudice modéré.
9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de Mme [Y] en indemnisation d'un préjudice de jouissance, l'arrêt rendu le 11 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;
Condamne M. [L] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux juin deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour Mme [Y]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné Mme [Y] à payer à M. [L] la somme de 17.530 euros, en deniers ou quittances, compte-tenu des sommes déposées au compte Carpa, ordonné la libération de ces fonds au profit de ce dernier, et rejeté toutes autres demandes ;
1°/ ALORS QUE le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent ; qu'un logement décent doit disposer au moins d'une pièce principale ayant soit une surface habitable au moins égale à 9 mètres carrés et une hauteur sous plafond au moins égale à 2,20 mètres, soit un volume habitable au moins égal à 20 mètres cubes ; qu'en condamnant Mme [Y] à payer à M. [L] la somme de 17.530 euros et en la déboutant de sa demande tendant au remboursement des loyers versés, après avoir pourtant constaté que « le logement est inapte à la location en raison de ses dimensions et qu'il n'est pas possible d'y remédier », et que « le père de [Z] [L] a reçu des loyers en contrepartie de l'occupation par la preneuse à bail d'un logement qui n'était pas conforme aux dispositions de l'article 4 du décret 2002-120 du 30 janvier 2002 en ce qu'il mesurait en surface 8,11 m² au lieu de 9 m² et 18,73 m3 au lieu de 20 m3 » (cf. arrêt, p. 4), ce dont il résultait que le bailleur avait manqué à son obligation de délivrance d'un logement décent, la Cour d'appel a violé l'article 1719 du code civil, ensemble l'article 4 du décret du 30 janvier 2002 ;
2°/ ALORS QUE, lorsque des locaux loués à usage d'habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l'expulsion de l'occupant ; que la reprise illicite d'un logement ouvre droit à réparation ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a expressément constaté que « le logement est inapte à la location en raison de ses dimensions et qu'il n'est pas possible d'y remédier », et que « le père de [Z] [L] a reçu des loyers en contrepartie de l'occupation par la preneuse à bail d'un logement qui n'était pas conforme aux dispositions de l'article 4 du décret 2002-120 du 30 janvier 2002 en ce qu'il mesurait en surface 8,11 m² au lieu de 9 m² et 18,73 m3 au lieu de 20 m3 » (cf. arrêt, p. 4) ; que dans ses conclusions d'appel, Mme [Y] sollicitait en conséquence de voir condamner M. [L] à lui verser la somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts pour les préjudices moral et matériel subis du fait de son expulsion des lieux loués (cf. p. 13) ; qu'en déboutant cette dernière de sa demande, la Cour d'appel a violé l'article 1719 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Mme [Y] de sa demande de dommages-intérêts ;
1°/ ALORS QUE les juges du fond ne peuvent refuser d'évaluer le montant d'un dommage dont ils constatent l'existence en son principe ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a expressément relevé que « la locataire demand(ait) des dommages-intérêts résultant du fait qu'elle a(vait) vécu dans un logement ne répondant pas aux normes », et que « le fait que le logement n'ait été que de 8,11 m² au lieu de 9 m² selon les critères de la loi « Carrez », lui avait occasionné « un préjudice modéré » (cf. arrêt, p. 5) ; qu'en déboutant Mme [Y] de sa demande de dommages-intérêts pour les préjudices de jouissance subis, la Cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
2°/ ALORS QUE le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent, d'entretenir celle-ci en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée, et d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ; qu'en l'espèce, Mme [Y] faisait expressément valoir, dans ses conclusions d'appel, qu'elle avait subi depuis le mois de juillet 2018 deux troubles de jouissance majeurs, dont « une invasion de punaises situées sous le papier peint en provenance de la chambre 16 (?), ce qui a nécessité qu'il soit décollé par la société Hygiène Habitat depuis le mail du syndic du 17 juillet 2018 jusqu'au 15 novembre 2018 » (cf. p. 11) ; qu'en déboutant Mme [Y] de sa demande de dommages-intérêts pour le préjudice de jouissance subi, aux motifs que « l'apparition des punaises de lit et parasites qui n'avait pas été signalée au début du bail ne peut trouver sa cause du fait du propriétaire » (cf. arrêt, p. 15), la Cour d'appel a violé l'article 1719 du code civil, ensemble l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989 ;
3°/ ALORS QUE tout jugement doit être motivé, à peine de nullité, et que le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, Mme [Y] faisait expressément valoir, dans ses conclusions d'appel, qu'elle avait subi depuis le mois de juillet 2018 deux troubles de jouissance majeurs, dont « un dégât des eaux qui a nécessité l'intervention du syndic pour réparer la tuyauterie des parties communes, étant observé que le syndic a demandé à M. [L] de réparer et mettre aux normes l'installation de plomberie privée fuyarde par mail du 23 novembre 2018 (pièce 56) » (cf. p. 11) ; qu'en omettant de répondre à ce moyen, de nature à établir le préjudice de jouissance causé à Mme [Y] par la faute de M. [L], la Cour d'appel a violé l'article 455 du code civil.