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15/06/2022 | FRANCE | N°20-22165

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 15 juin 2022, 20-22165


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

DB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 15 juin 2022

Cassation

M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 401 F-D

Pourvoi n° F 20-22.165

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 15 JUIN 2022

1°/ M. [M

] [X],

2°/ Mme [I] [N], épouse [X],

domiciliés tous deux [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° F 20-22.165 contre l'arrêt rendu le 15 octobre 2...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

DB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 15 juin 2022

Cassation

M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 401 F-D

Pourvoi n° F 20-22.165

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 15 JUIN 2022

1°/ M. [M] [X],

2°/ Mme [I] [N], épouse [X],

domiciliés tous deux [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° F 20-22.165 contre l'arrêt rendu le 15 octobre 2020 par la cour d'appel de Versailles (3e chambre), dans le litige les opposant à la société JP Morgan Chase Bank National Association, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boutié, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. et Mme [X], de la SCP Spinosi, avocat de la société JP Morgan Chase Bank National Association, après débats en l'audience publique du 20 avril 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Boutié, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 15 octobre 2020), M. et Mme [X] ont, courant 2009, souscrit, par l'intermédiaire de la société JP Morgan Chase Bank National Association (la banque), deux contrats d'assurance-vie, ainsi qu'un concours, sous la forme d'un découvert en compte, ayant pour objet de financer les besoins de trésorerie du couple, dont le remboursement était garanti par le contrat d'assurance-vie de M. [X].

2. Le 19 décembre 2011, M. et Mme [X] ont rempli des formulaires de demande de rachat des deux contrats d'assurance-vie. Le 28 décembre 2011, ils ont confirmé à la banque leur souhait d'affecter les sommes résultant de ce rachat au remboursement de leur découvert en compte.

3. Considérant que la banque avait manqué à son devoir d'information et de conseil, M. et Mme [X] l'ont assignée en réparation de leur préjudice par acte du 17 octobre 2014.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

4. M. et Mme [X] font grief à l'arrêt de déclarer leur action contre la banque irrecevable comme prescrite, alors « que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que la prescription d'une action en responsabilité court à compter du jour où la victime a eu connaissance du préjudice subi dans toute son ampleur ; que pour dire que le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité de M. et Mme [X] contre la banque devait être fixé au 12 janvier 2009, date d'un courriel de M. [X] dans lequel ce dernier faisait part à la banque de son insatisfaction quant à la gestion de son portefeuille, la cour d'appel a retenu que la manifestation d'un dommage certain en son principe suffisait à faire courir la prescription quand bien même le préjudice ne serait pas encore chiffrable, peu important que l'ampleur exacte des pertes subies soit ignorée dès lors que l'intéressé avait pris conscience ''du caractère préjudiciable pour lui de la situation'' ; qu'en statuant de la sorte, quand le cours de la prescription n'avait pu commencer qu'à la date à laquelle M. et Mme [X] avaient eu effectivement connaissance du préjudice résultant de l'inadéquation du montage conseillé par la banque, laquelle ne pouvait être déduite de la seule survenance de pertes sur les contrats d'assurance-vie, mais ne pouvait être connu qu'au moment de la liquidation de l'opération, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil, ensemble l'article L. 110-4 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce :

5. Aux termes du second de ces textes, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes. Il résulte du premier que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.

6. Pour déclarer prescrite l'action en responsabilité engagée par M. et Mme [X] à l'encontre de la banque, l'arrêt, après avoir énoncé que suffisent à faire courir la prescription, d'une part, la manifestation d'un dommage certain en son principe, quand bien même le préjudice ne serait pas encore chiffrable, et, d'autre part, la prise de conscience par l'intéressé du caractère préjudiciable de la situation, peu important que soit ignorée l'ampleur exacte des pertes subies, retient que le dommage s'est manifesté lorsque les premières pertes substantielles au regard des sommes investies sont apparues et que M. [X] ayant fait part à la banque de son insatisfaction dans un courriel du 12 janvier 2019, c'est cette date qui constitue le point de départ de la prescription.

7. En statuant ainsi, sans constater qu'à cette date, antérieure de plusieurs mois au rachat de leurs contrats d'assurance-vie, le dommage invoqué par M. et Mme [X] tenant aux pertes subies sur les sommes investies dans ces contrats s'était déjà réalisé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Condamne la société JP Morgan Chase Bank National Association aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société JP Morgan Chase Bank National Association et la condamne à payer à M. et Mme [X] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quinze juin deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour M. [X] et Mme [N], épouse [X].

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Les époux [X] font grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré leur action contre la société JP Morgan Chase Bank National Association (société JP Morgan) irrecevable comme étant prescrite ;

Alors 1°) que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter de la date à laquelle le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt que le 27 avril 2007 (arrêt, p. 2, 4ème § ; jugement de première instance, p. 2, avant-dernier §), la société JP Morgan a recommandé à M. [X], qui devait percevoir le prix de cession des parts qu'il détenait dans la société Persee Medica, un montage consistant à placer les fonds perçus sur des contrats d'assurance-vie, auxquels était adossée une ligne de crédit pouvant aller jusqu'à 10 millions d'euros, destinée à financer le train de vie de M. [X] ainsi que l'impôt sur la plus-value de cession et les risques liés à la garantie de passif stipulée dans le contrat de cession de parts, l'ouverture de crédit étant garantie par une délégation totale des contrats d'assurance-vie ; que, pour déclarer irrecevable comme prescrite l'action en responsabilité des époux [X] contre la société JP Morgan, fondée sur un manquement de cette dernière à son devoir d'information et de conseil à raison du caractère inadapté de ce montage, la cour d'appel a retenu que la manifestation d'un dommage certain en son principe suffisait à faire courir la prescription quand bien même le préjudice ne serait pas encore chiffrable, peu important que l'ampleur exacte des pertes subies soit ignorée dès lors que l'intéressé a pris conscience « du caractère préjudiciable pour lui de la situation », et a estimé que le point de départ de la prescription devait être fixé au 12 janvier 2009, date d'un courrier de M. [X] dans lequel ce dernier faisait part à la société JP Morgan de son insatisfaction quant à la gestion de son portefeuille ; qu'en statuant de la sorte, par des motifs impropres à établir que les époux [X], qui le contestaient (leurs conclusions d'appel, not. p. 13), avaient connaissance à cette date du caractère inadapté à leur situation du montage que leur avait recommandé la société JP Morgan, et donc des éléments pertinents leur permettant d'engager la responsabilité de cette banque, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil, ensemble l'article L. 110-4 du code de commerce ;

Alors 2°) et en tout état de cause, que les époux [X] faisaient valoir (leurs conclusions d'appel, not. p. 13 ; également p. 2-3 ; p. 24-27) que le montage recommandé par la banque JP Morgan comprenait le placement des fonds issus de la cession des parts de la société Persee Medica sur des contrats d'assurance-vie dont la gestion était confiée à la banque, articulé avec l'ouverture d'une ligne de crédit pouvant aller jusqu'à 10 millions d'euros, destinée à assurer les dépenses et le train de vie de la famille [X], et que l'ouverture de crédit était garantie par une délégation totale des contrats d'assurance-vie ; qu'ils soulignaient (p. 13) que la banque avait engagé sa responsabilité à leur égard pour leur avoir conseillé un montage qui s'était révélé inadapté à leur situation ; qu'en retenant que la prescription de l'action en responsabilité des époux [X] contre la banque JP Morgan avait commencé à s'écouler à la date à laquelle M. [X] avait pris connaissance des « premières pertes substantielles » des contrats d'assurance-vie, qu'elle a fixée au 12 janvier 2009, date d'un courrier de M. [X] dans lequel ce dernier faisait part à la société J Morgana de son insatisfaction quant à la gestion de son portefeuille, quand il lui incombait de rechercher, comme elle y était invitée, à quelle date les époux [X] avaient eu connaissance du caractère inadapté du montage qui leur avait été conseillé, laquelle ne pouvait résulter de la seule survenance de pertes sur leurs contrats d'assurance-vie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce ;

Alors 3°) que la prescription d'une action en responsabilité court à compter du jour où la victime a eu connaissance du préjudice subi ; qu'en l'espèce, ainsi que le rappelaient les époux [X] (leurs conclusions d'appel, notre. p. 13) et que l'a constaté la cour d'appel (arrêt, p. 2, 4ème § ; jugement de première instance, p. 2, avant-dernier §), la société J Morgana a recommandé à M. [X], qui devait percevoir le prix de cession des parts qu'il détenait dans la société Perse Medica, un montage consistant à placer les fonds perçus sur des contrats d'assurance-vie, auxquels était adossée une ligne de crédit pouvant aller jusqu'à 10 millions d'euros, destinée à financer le train de vie de M. [X] ainsi que l'impôt sur la plus-value de cession et les risques liés à la garantie de passif stipulée dans le contrat de cession de parts, l'ouverture de crédit étant garantie par une délégation totale des contrats d'assurance-vie ; qu'en fixant le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité des époux [X] contre la banque JP Morgan à la date à laquelle M. [X] avait pris connaissance des « premières pertes substantielles » des contrats d'assurance-vie, qu'elle a fixée au 12 janvier 2009, date d'un courrier de M. [X] dans lequel ce dernier faisait part à la société JP Morgan de son insatisfaction quant à la gestion de son portefeuille, quand, en présence d'un montage financier reposant sur des engagements interdépendants, le produit attendu des placements gérés étant censé couvrir les frais du crédit parallèlement souscrit, ce n'était qu'au moment du débouclage de l'opération, en l'occurrence lorsqu'ils ont pris la décision de racheter leurs contrats d'assurance-vie et de rembourser par anticipation la ligne de crédit qui leur avait été accordée, que les époux [X] avaient pu avoir connaissance du caractère inadapté du montage que leur avait conseillé la banque et qu'ils avaient ainsi été en mesure de rechercher sa responsabilité, la cour d'appel a encore violé l'article 2224 du code civil, ensemble l'article L. 110-4 du code de commerce ;

Alors 4°) que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que la prescription d'une action en responsabilité court à compter du jour où la victime a eu connaissance du préjudice subi dans toute son ampleur ; que pour dire que le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité des époux [X] contre la société JP Morgan devait être fixé au 12 janvier 2009, date d'un courrier de M. [X] dans lequel ce dernier faisait part à la société JP Morgan de son insatisfaction quant à la gestion de son portefeuille, la cour d'appel a retenu que la manifestation d'un dommage certain en son principe suffisait à faire courir la prescription quand bien même le préjudice ne serait pas encore chiffrable, peu important que l'ampleur exacte des pertes subies soit ignorée dès lors que l'intéressé avait pris conscience « du caractère préjudiciable pour lui de la situation » ; qu'en statuant de la sorte, quand le cours de la prescription n'avait pu commencer qu'à la date à laquelle les époux [X] avaient eu effectivement connaissance du préjudice résultant de l'inadéquation du montage conseillé par la banque JP Morgan, laquelle ne pouvait être déduite de la seule survenance de pertes sur les contrats d'assurance-vie, mais ne pouvait être connu qu'au moment de la liquidation de l'opération, la cour d'appel a encore violé l'article 2224 du code civil, ensemble l'article L. 110-4 du code de commerce.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

Mme [X] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré son action contre la société JP Morgan Chase Bank National Association irrecevable comme étant prescrite ;

Alors que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter de la date à laquelle le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que, pour dire que l'action en responsabilité engagée le 17 octobre 2014 par les époux [X] était prescrite, la cour d'appel a fixé le point de départ de la prescription au 12 janvier 2009, date à laquelle M. [X] avait adressé un courrier à la société JP Morgan, pour lui faire part de son mécontentement sur la gestion de son portefeuille ; qu'elle a également relevé que « s'il est certain que les échanges avec la banque ont lieu pour l'essentiel avec M. [X], qui était initialement le détenteur des fonds à placer, les contrats ont été signés également par son épouse laquelle a, tout comme son mari, procédé à la demande de liquidation de son assurance-vie », ce dont elle a conclu qu'il ne pouvait être sérieusement soutenu que la prescription n'avait pas couru à son égard ; qu'en statuant par de tels motifs, impropres à établir la date à laquelle Mme [X] avait effectivement eu connaissance des faits lui permettant d'exercer l'action en responsabilité contre la société JP Morgan, la cour d'appel a méconnu l'article 2224 du code civil, ensemble l'article L. 110-4 du code de commerce.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 20-22165
Date de la décision : 15/06/2022
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 15 octobre 2020


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 15 jui. 2022, pourvoi n°20-22165


Composition du Tribunal
Président : M. Mollard (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SARL Cabinet Rousseau et Tapie, SCP Spinosi

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2022:20.22165
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