LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 25 mai 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 427 FS-B
Pourvoi n° F 21-18.098
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 MAI 2022
Mme [U] [K], domiciliée [Adresse 4], a formé le pourvoi n° F 21-18.098 contre l'arrêt rendu le 16 mars 2021 par la cour d'appel de Chambéry (chambre civile, 1re section), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Entreprise Dherbey Coux, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5],
2°/ à la société MMA IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
3°/ à la société Eco protect', société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 7],
4°/ à la société Generali IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
5°/ à la société Charpentes contemporaines, société par actions simplifiée,
dont le siège est [Adresse 7],
6°/ à la société mutuelle d'assurance du batiment et des travaux publics (SMABTP), société d'assurance mutuelle à cotisations variables, dont le siège est [Adresse 6], pris en qualité d'assureur de la société Charpentes contemporaines,
7°/ à la société BMCTP, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 8],
8°/ à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
9°/ à la société MMA assurances mutuelles, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de Mme [K], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Entreprise Dherbey Coux et des sociétés MMA IARD et MMA assurances mutuelles, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société Charpentes contemporaines et de la SMABTP, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat des sociétés Eco protect' et de la Generali IARD, et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 12 avril 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, MM. Jacques, Bech, Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mmes Djikpa, Brun, conseillers référendaires, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Désistement partiel
1. Il est donné acte à Mme [K] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre les sociétés BMCTP et Allianz IARD.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 16 mars 2021), rendu en référé, Mme [K] a fait construire une maison d'habitation dont elle a confié le lot gros oeuvre à la société Dherbey Coux, assurée auprès de la société MMA IARD assurances mutuelles (la société MMA), le lot étanchéité à la société Eco Protect, assurée auprès de la société Generali IARD (la société Generali), et le lot ossature bois – façades bardage – étanchéité revêtement terrasse extérieure à la société Charpente contemporaine, assurée auprès de la SMABTP.
3. Un incendie s'est déclaré dans l'ouvrage en construction, avant sa réception.
4. Mme [K] a assigné les constructeurs et leurs assureurs en référé aux fins d'expertise et de provisions.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. Mme [K] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes de provisions dirigées contre les sociétés Dherbey Coux, Eco Protect, Charpente contemporaine et leurs assureurs respectifs, à savoir les sociétés MMA, Generali et SMABTP, alors « que si la chose a péri avant d'avoir été livrée, l'entrepreneur est tenu de restituer les sommes perçues du maître d'ouvrage en exécution de sa prestation, peu important la cause de cette destruction et notamment le fait qu'il ait ou non commis une faute ; qu'en l'espèce, pour débouter Mme [K] de ses demandes de provision correspondant à la restitution d'une partie de ce qu'elle avait versées aux entrepreneurs, la cour a retenu que « l'article 1788 du code civil n'a pas vocation à s'appliquer dans le cas où la perte ou la détérioration de la chose est due à l'inexécution fautive des obligations de l'entrepreneur », avant d'ajouter qu'une expertise était en cours avec pour mission notamment donnée à l'expert de rechercher les causes de l'incendie et vérifier s'il n'était pas imputable à une faute d'imprudence de l'une des entreprises présentes sur le chantier le jour de l'incendie ; qu'en statuant, pour retenir une contestation sérieuse, par de tels motifs, inopérants dès lors que la seule perte de l'ouvrage autorisait Mme [K] à solliciter le remboursement des sommes versées aux entrepreneurs en contrepartie de leur travail, afin qu'ils répondent de la perte de leur ouvrage, la cour d'appel a violé l'article 1788 du code civil, ensemble l'article 835, alinéa 2, du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 835, alinéa 2, du code de procédure civile et 1788 du code civil :
6. Selon le premier de ces textes, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
7. Selon le second, dans le cas où l'ouvrier fournit la matière, si la chose vient à périr, de quelque manière que ce soit, avant d'être livrée, la perte en est pour l'ouvrier, à moins que le maître ne fût en demeure de recevoir la chose.
8. La charge du risque n'est pas diminuée ou supprimée si l'événement qui a causé la perte de l'ouvrage revêt le caractère de force majeure pour l'entrepreneur (1re Civ., 9 novembre 1999, pourvoi n° 97-16.306, 97-16.800, Bull. 1999, I, n° 293). De même, sauf son recours contre les constructeurs fautifs, l'entrepreneur non fautif qui a fourni la matière et dont l'ouvrage a péri avant la réception ne peut prétendre au paiement du prix des travaux qu'il n'est pas en mesure de livrer.
9. Par ailleurs, le maître de l'ouvrage peut agir sur le fondement de l'article 1788 du code civil, en dehors de toute recherche de responsabilité, même lorsque la cause des dommages demeure inconnue et même s'il est établi qu'elle réside dans une mauvaise exécution, par l'entrepreneur, de ses obligations contractuelles, dès lors que la demande ne porte que sur la reconstruction de l'ouvrage dans les conditions du marché initial ou sur la restitution du prix payé.
10. Pour rejeter les demandes de provisions à valoir sur le remboursement des acomptes versés aux entrepreneurs dont l'ouvrage avait été détruit avant la réception, l'arrêt retient que l'article 1788 du code civil n'a pas vocation à s'appliquer dans le cas où la perte ou la détérioration de la chose est due à l'inexécution fautive des obligations de l'entrepreneur et qu'en l'espèce, l'application ou non des dispositions de ce texte est subordonnée au résultat des investigations de l'expert quant à la cause du sinistre, inconnue ou imputable à une entreprise, de sorte que la demande prématurée formée par Mme [K] se heurte à une contestation sérieuse.
11. En statuant ainsi, alors que les fautes éventuellement commises par les constructeurs et qui avaient pu être à l'origine de la destruction de la maison, n'empêchaient pas le maître de l'ouvrage de réclamer aux entrepreneurs, en dehors de toute recherche de responsabilité, la restitution par provision du prix des travaux qu'ils n'étaient pas en mesure de livrer, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
12. La cassation prononcée ne s'étend pas au rejet des demandes de provision ad litem.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de provision, à l'exception de celle ad litem, de Mme [K], l'arrêt rendu le 16 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne les sociétés Charpentes contemporaines, SMABTP, Eco Protect, Generali IARD, Dherbey Coux, MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne les sociétés Charpentes contemporaines, SMABTP, Eco Protect, Generali IARD, Dherbey Coux et MMA IARD assurances mutuelles à payer à Mme [K] la somme globale de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq mai deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat aux Conseils, pour Mme [K]
Mme [U] [K] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de sa demande en paiement de provisions dirigées contre les sociétés Dherbey Coux, Eco Protect, et Charpente Contemporaine, et leurs assureurs respectifs, à savoir les compagnies Mma Iard Assurances Mutuelles, Generali Iard et Smabtp ;
1/ Alors que si la chose a péri avant d'avoir été livrée, l'entrepreneur est tenu de restituer les sommes perçues du maître d'ouvrage en exécution de sa prestation, peu important la cause de cette destruction et notamment le fait qu'il ait ou non commis une faute ; qu'en l'espèce, pour débouter Mme [K] de ses demandes de provision correspondant à la restitution d'une partie de ce qu'elle avait versées aux entrepreneurs, la cour a retenu que « l'article 1788 du code civil n'a pas vocation à s'appliquer dans le cas où la perte ou la détérioration de la chose est due à l'inexécution fautive des obligations de l'entrepreneur », avant d'ajouter qu'une expertise était en cours avec pour mission notamment donnée à l'expert de rechercher les causes de l'incendie et vérifier s'il n'était pas imputable à une faute d'imprudence de l'une des entreprises présentes sur le chantier le jour de l'incendie ; qu'en statuant, pour retenir une contestation sérieuse, par de tels motifs, inopérants dès lors que la seule perte de l'ouvrage autorisait Mme [K] à solliciter le remboursement des sommes versées aux entrepreneurs en contrepartie de leur travail, afin qu'ils répondent de la perte de leur ouvrage, la cour d'appel a violé l'article 1788 du code civil, ensemble l'article 835, alinéa 2, du code de procédure civile ;
2/ Alors, en tout état de cause, que le juge ne doit pas méconnaître les termes du litige ; qu'en l'espèce, la cour a retenu, pour débouter Mme [K] de ses demandes de provision, que l'article 1788 du code civil instituait « un régime spécial à la charge des risques de la chose fournie par l'entrepreneur, lequel perd seulement ce qu'il a fourni, sans pour autant devoir nécessairement des dommages-intérêts au maître de l'ouvrage pour le préjudice qui en résulte », et qu'il « n'a pas vocation à s'appliquer dans le cas ou la perte ou la détérioration de la chose est due à l'inexécution fautive des obligations de l'entrepreneur », avant d'ajouter qu'une expertise étant en cours avec pour rechercher les causes de l'incendie, les demandes se heurtaient à une contestation sérieuse ; qu'en statuant de la sorte, quand Mme [K] ne sollicitait pas la condamnation des entrepreneurs à lui verser des dommages-intérêts pour le préjudice résultant de la perte de l'ouvrage, mais entendait seulement qu'ils répondent de la perte de leur ouvrage en restituant les sommes qu'ils avaient perçues, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile.