LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 mai 2022
Rejet
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 312 F-D
Pourvoi n° Z 21-11.146
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 18 MAI 2022
La société MJO, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], agissant en qualité de liquidateur de la société AMP Production, a formé le pourvoi n° Z 21-11.146 contre l'arrêt rendu le 17 novembre 2020 par la cour d'appel de Rennes (3e chambre commerciale), dans le litige l'opposant à M. [S] [Z], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire, les observations de la SARL Corlay, avocat de la société MJO, ès qualités, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. [Z], après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 17 novembre 2020), la société AMP Production (la société AMP), dont M. [Z] était le gérant depuis le 21 décembre 2016, a été mise en redressement judiciaire le 23 novembre 2016, un plan de redressement étant homologué le 31 janvier 2018. La société AMP a été mise en liquidation judiciaire sur résolution du plan le 17 octobre 2018.
2. La société MJO, désignée liquidateur, a demandé le prononcé de la faillite personnelle de M. [Z].
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première, deuxième, troisième et quatrième branches, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa cinquième branche
Enoncé du moyen
4. La société MJO, ès qualités, fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant au prononcé d'une mesure de faillite personnelle d'une durée de quinze ans à l'encontre de M. [Z], alors « que le tribunal peut prononcer la faillite personnelle d'un dirigeant qui a tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ; que le juge doit alors constater que le dirigeant a ou non produit des éléments attestant de la fiabilité de la comptabilité tenue ; qu'en l'espèce il était constaté que "par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 22 octobre 2018, la société MJO a demandé à M. [Z] de produire la liste des créanciers et de fournir certains renseignements ainsi que certaines pièces dont la liste était jointe à la lettre" et encore que "par lettre du 29 octobre 2018, la société MJO a demandé à M. [Z] la production du grand livre clients, des factures à recouvrer, du contrat de licence de marque Camelia, du contrat d'achat du laser appartenant à Proecowatt et du contrat de vente du laser qui appartenait à Probatiso" sans qu'il soit établi que M. [Z] ait coopéré et produit tous les éléments demandés ; que la cour d'appel, pour écarter l'application de l'article L. 653-6 6° du code de commerce, s'est contentée de déduire "que les autres pièces demandées auparavant avaient été produites au liquidateur, ou du moins qu'il avait pu se les procurer" ; que, ce faisant, elle n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations desquelles il ressortait que de nombreuses demandes de documents justificatifs de la comptabilité tenue par M. [Z] étaient restées sans réponse ; que la cour d'appel a ainsi violé l'article L. 653-5 6° du code de commerce. »
Réponse de la Cour
5. Après avoir constaté, par motifs propres et adoptés, que M. [Z] produisait les états financiers de la société pour l'exercice clos le 31 décembre 2017 et que les comptes de cet exercice avaient été établis par un expert-comptable le 12 juin 2018, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que, M. [Z] ayant été dessaisi de la gestion de la société par le prononcé de la liquidation judiciaire le 17 octobre 2018, il ne peut lui être reproché de ne pas fournir les comptes annuels pour l'année 2018. Il retient encore, par motifs propres, qu'il se déduit des termes de la lettre du liquidateur du 29 octobre 2018 que les pièces précédemment demandées au dirigeant ont été fournies au liquidateur ou qu'au moins ce dernier a pu se les procurer. De ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu écarter le grief relatif au caractère incomplet ou irrégulier de la comptabilité pour les années 2017 et 2018.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
Et sur le moyen, pris en sa sixième branche
7. La société MJO, ès qualités, fait le même grief à l'arrêt, alors « que le fait pour un dirigeant de faire obstacle au bon déroulement d'une procédure collective en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de cette procédure peut entraîner le prononcé de sa faillite personnelle ; qu'en l'espèce il était fait valoir que M. [Z] s'était gardé de répondre à de multiples courriers et sollicitations du liquidateur judiciaire, qu'il s'était gardé de produire de nombreux documents nécessaires au bon déroulé de la procédure, et notamment d'indiquer la situation des deux machines de découpe laser, outils de production indispensables de la société ; que pour toute réponse aux développements d'appel de l'exposante, la cour d'appel s'est contentée de relever trois occurrences de contact entre le liquidateur et M. [Z] ; qu'en en déduisant qu'il n'était "pas non plus établi que M. [Z] se soit abstenu volontairement de coopérer avec les organes de la procédure ni qu'il ait fait obstacle à son bon déroulement", elle a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 635-5 5° du code de commerce. »
Réponse de la Cour
8. Après avoir constaté que le liquidateur avait, par trois lettres successives du mois d'octobre 2018, demandé à M. [Z] de lui fournir des renseignements et documents, l'arrêt relève que la dernière lettre du 29 octobre 2018 fait mention d'une entrevue entre le liquidateur et le dirigeant à cette date et montre que plusieurs pièces antérieurement demandées ont été produites. Il retient encore que M. [Z] a, par un courrier électronique du 17 janvier 2019, demandé un rendez-vous au liquidateur mais s'est heurté à un refus.
9. Par ces seuls motifs dont elle a déduit qu'il n'était pas établi que M. [Z] se soit abstenu volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, ni qu'il avait fait obstacle à son bon déroulement, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société MJO, en qualité de liquidateur de la société AMP Production, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mai deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SARL Corlay, avocat aux Conseils, pour la société MJO, ès qualités.
L'exposante fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Maître [V] [W] de la Selarl [W] Mjo, ès qualités, de sa demande visant à voir prononcer une mesure de faillite personnelle d'une durée de 15 ans à l'encontre de Monsieur [S] [Z] ;
Alors que 1°) tout ce qui n'a pas été revendiqué ou restitué dans le cadre d'une procédure collective est acquis à la liquidation judiciaire ; qu'en l'absence de publication d'un prétendu crédit-bail sur un matériel présent dans l'entreprise, il appartient à celui qui s'en prétend propriétaire de procéder par la voie de l'action en revendication ; que pour écarter le détournement d'actif et refuser de prononcer la faillite personnelle de Monsieur [Z], la cour d'appel s'est contentée de noter que « si cette machine (à découpe laser) a été un moment mise à la disposition de la société AMP, elle n'est pas entrée dans son patrimoine » ; qu'en se fondant pour ainsi statuer sur un contrat de crédit-bail non produit au débat sans constater qu'il aurait fait l'objet d'une quelconque publication au registre du commerce et des sociétés, ni d'une revendication dans le délai de trois mois de l'ouverture de la procédure issue de la résolution du plan de redressement par son propriétaire, la cour d'appel a violé les articles L. 624-9, L. 624-10, L. 626-27 et L. 641-14-1 du code de commerce, ensemble l'article L. 653-4 5° du même code ;
Alors que 2°) est sanctionné par la faillite personnelle du dirigeant le détournement ou la dissimulation tout ou partie de l'actif de la personne morale ; que cet actif est composé non seulement des biens de la société mais encore des contrats nécessaires à son activité ; que pour écarter le détournement d'actif la cour d'appel s'est contentée de noter que « si cette machine a été un moment mise à la disposition de la société AMP, elle n'est pas entrée dans son patrimoine » ; qu'elle a cependant constaté que Monsieur [Z] avait « participé à la revente », au travers de sa société Probatiso, d'une machine à découpe laser nécessaire à l'activité de la société Amp Production et dont cette dernière bénéficiait au titre d'un contrat de crédit-bail remis en cause par la dite vente, ce dont il s'évinçait que Monsieur [Z] avait participé à la perte d'un actif, le contrat de crédit-bail, nécessaire à l'activité de la société, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et violé l'article L. 653-4 5° du code de commerce ;
Alors que 3°) l'adoption d'un plan de redressement n'est pas exclusive de la possibilité d'une poursuite abusive d'une exploitation déficitaire ; qu'en l'espèce il était reproché à Monsieur [Z] d'avoir poursuivi l'activité déficitaire de la société Amp Production dans un but personnel ; que pour conclure à l'absence de caractère abusif de la poursuite de l'activité la cour d'appel s'est contentée de relever l'existence d'un plan de redressement et le contrôle d'un commissaire à l'exécution du plan ; qu'elle a ainsi manqué de base légale au regard de l'article L. 653-4 4° du code de commerce ;
Alors que 4°) l'intérêt personnel du dirigeant peut être caractérisé par tant les rémunérations qu'il perçoit que par la préservation des intérêts qu'il détient dans une société tierce ; que la poursuite même de l'activité d'une filiale bénéficie nécessairement à la valorisation de la société mère ; qu'il est établi en l'espèce que Monsieur [Z] et sa femme détenaient 55 % des titres de la société holding Probatiso dont faisait partie la société Amp Production ; qu'en considérant cependant qu'il n'est pas « établi que la poursuite de l'activité de la société AMP ait conduit à enrichir ou même à avantager d'autres sociétés dans lesquelles M. [Z] aurait été intéressé », la cour d'appel a violé l'article L. 653-4 4° du code de commerce ;
Alors que 5°) le tribunal peut prononcer la faillite personnelle d'un dirigeant qui a tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ; que le juge doit alors constater que le dirigeant a ou non produit des éléments attestant de la fiabilité de la comptabilité tenue ; qu'en l'espèce il était constaté que « par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 22 octobre 2018, la société Mjo a demandé à Monsieur [Z] de produire la liste des créanciers et de fournir certains renseignements ainsi que certaines pièces dont la liste était jointe à la lettre » et encore que « par lettre du 29 octobre 2018, la société Mjo a demandé à Monsieur [Z] la production du grand livre clients, des factures à recouvrer, du contrat de licence de marque Camelia, du contrat d'achat du laser appartenant à Proecowatt et du contrat de vente du laser qui appartenait à Probatiso » sans qu'il soit établi que Monsieur [Z] ait coopéré et produit tous les éléments demandés ; que la cour d'appel, pour écarter l'application de l'article L. 653-6 6° du code de commerce, s'est contentée de déduire « que les autres pièces demandées auparavant avaient été produites au liquidateur, ou du moins qu'il avait pu se les procurer » ; que, ce faisant, elle n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations desquelles il ressortait que de nombreuses demandes de documents justificatifs de la comptabilité tenue par Monsieur [Z] étaient restées sans réponse ; que la cour d'appel a ainsi violé l'article L. 653-5 6° du code de commerce ;
Alors que 6°) le fait pour un dirigeant de faire obstacle au bon déroulement d'une procédure collective en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de cette procédure peut entraîner le prononcé de sa faillite personnelle ; qu'en l'espèce il était fait valoir que Monsieur [Z] s'était gardé de répondre à de multiples courriers et sollicitations du liquidateur judiciaire, qu'il s'était gardé de produire de nombreux documents nécessaires au bon déroulé de la procédure, et notamment d'indiquer la situation des deux machines de découpe laser, outils de production indispensables de la société ; que pour toute réponse aux développements d'appel de l'exposante, la cour d'appel s'est contentée de relever trois occurrences de contact entre le liquidateur et Monsieur [Z] ; qu'en en déduisant qu'il n'était « pas non plus établi que Monsieur [Z] se soit abstenu volontairement de coopérer avec les organes de la procédure ni qu'il ait fait obstacle à son bon déroulement », elle a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 635-5 5° du code de commerce.