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18/05/2022 | FRANCE | N°20-87272

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 18 mai 2022, 20-87272


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° Z 20-87.272 FS-D

N° 00356

GM
18 MAI 2022

REJET

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 18 MAI 2022

Mme [D] [B], Mme [K] [R], Mme [J] [W], Mme [N] [X], Mme [F] [O] et M. [Y] [A] et M. [C] [T] ont formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 4-11, e

n date du 10 décembre 2020, qui, pour vols aggravés, les a condamnés chacun, à 500 euros d'amende avec sursis et a ordonné ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° Z 20-87.272 FS-D

N° 00356

GM
18 MAI 2022

REJET

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 18 MAI 2022

Mme [D] [B], Mme [K] [R], Mme [J] [W], Mme [N] [X], Mme [F] [O] et M. [Y] [A] et M. [C] [T] ont formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 4-11, en date du 10 décembre 2020, qui, pour vols aggravés, les a condamnés chacun, à 500 euros d'amende avec sursis et a ordonné une mesure de confiscation.

Un mémoire, commun aux demandeurs, et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de Mme Slove, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat des demandeurs, et les conclusions de M. Valat, avocat général, l'avocat des demandeurs ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 16 février 2022 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Slove, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, Mme Leprieur, Mme Sudre, Mme Issenjou, M. Turbeaux, M. Laurent, conseillers de la chambre, Mme Barbé, M. Mallard, conseillers référendaires, M. Valat, avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Les 21 et 28 février 2019, des portraits officiels du Président de la République accrochés dans trois mairies d'arrondissement de [Localité 1] ont été dérobés par plusieurs groupes de personnes agissant à visage découvert, qui se sont ensuite fait photographier, tenant le portrait et présentant une banderole où figurait l'inscription « climat, justice sociale, sortons Macron » et ont diffusé ces photographies sur les réseaux sociaux.

3. L'enquête a permis d'identifier Mmes [D] [B], [K] [R], [J] [W], [N] [X], [F] [O] et MM. [Y] [A] et [C] [T] comme ayant pris part à ces faits.

4. Les juges du premier degré les ont déclarés coupables de vols en réunion et les ont condamnés, chacun, à 500 euros d'amende.

5. Les prévenus et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré Mmes [B], [R], [W], [X], [O] et MM. [A], [T], coupables de vols en réunion et a statué sur la peine, alors :

« 1°/ que constitue une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la liberté d'expression l'incrimination du vol d'un portrait du Président de la République réalisé dans le but politique de contester l'inaction des pouvoirs publics face à la crise climatique ; qu'en retenant, pour déclarer les prévenus coupables de vol, que les éléments constitutifs de cette infraction étaient réunis puisqu'ils ne s'étaient pas contentés de décrocher le portrait du Président de la République mais se l'étaient appropriés et ne l'avaient pas restitué, quand l'existence du fait justificatif prétorien tiré de l'exercice de la liberté d'expression politique privait l'infraction de son élément légal, la cour d'appel a méconnu l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble les articles 311-1 et 311-4, 1° du code pénal ;

2°/ qu'en excluant le mobile politique des prévenus au motif qu'ils ne s'étaient pas contentés de décrocher les portraits du Président de la République mais avaient ensuite refusé de les restituer, cependant que l'expression de leur protestation politique passait par la rétention symbolique de ces objets, pour contraindre les pouvoirs publics à agir face à l'urgence climatique, la cour d'appel a de nouveau méconnu l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble les articles 311-1 et 311-4, 1°du code pénal . »

Réponse de la Cour

7. Selon l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, toute personne a droit à la liberté d'expression, et l'exercice de cette liberté peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, notamment à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui.

8. Ainsi que le juge la Cour de cassation, l'incrimination d'un comportement constitutif d'une infraction pénale peut, dans certaines circonstances, constituer une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la liberté d'expression, compte tenu de la nature et du contexte de l'agissement en cause (Crim., 26 octobre 2016, pourvoi n° 15-83.774, Bull. crim. 2016, n° 278 ; Crim., 26 février 2020, pourvoi n° 19-81.827, publié au Bulletin ; Crim., 22 septembre 2021, pourvoi n° 20-85.434, publié au Bulletin).

9. Lorsque le prévenu invoque une atteinte disproportionnée à sa liberté d'expression, il appartient au juge, après s'être assuré, dans l'affaire qui lui est soumise, du lien direct entre le comportement incriminé et la liberté d'expression sur un sujet d'intérêt général, de vérifier le caractère proportionné de la condamnation. Ce contrôle de proportionnalité requiert un examen d'ensemble, qui doit prendre en compte, concrètement, entre autres éléments, les circonstances des faits, la gravité du dommage ou du trouble éventuellement causé.

10. Dans le cas particulier d'une poursuite du chef de vol, doivent être notamment prises en compte la valeur matérielle du bien, mais également, le cas échéant, sa valeur symbolique, ainsi que la réversibilité ou l'irréversibilité du dommage causé à la victime.

11. Il résulte des pièces de procédure que, devant les juges du fond, les prévenus ont fait valoir que les faits poursuivis, qu'ils ont reconnu avoir commis, s'inscrivaient dans l'exercice de la liberté d'expression et obéissaient à un mobile politique, car ils visaient à contraindre les pouvoirs publics à agir face à l'urgence climatique. Ils ont soutenu qu'une sanction pénale constituerait une atteinte disproportionnée à l'exercice de cette liberté, protégée par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.

12. Pour déclarer les prévenus coupables et prononcer à leur encontre une condamnation, la cour d'appel énonce que le mouvement de protestation dans lequel les demandeurs indiquent inscrire leur action peut constituer un mode de communication participant d'un débat d'intérêt général, au sens de l'article 10 précité, en raison des caractéristiques suivantes qu'il présente : le décrochage du portrait du Président de la République, afin de faire apparaître un vide symbolique sur le mur d'une mairie, la prise de photographies avec ce portrait décroché, à l'intérieur et à l'extérieur de la mairie et en présence d'un journaliste, et la diffusion de ces images sur les réseaux sociaux.

13. La cour d'appel ajoute qu'après ce décrochage, cette prise de clichés et leur diffusion, les prévenus se sont approprié frauduleusement les portraits, qu'ils ont conservés, refusant de les restituer tant qu'il ne leur serait pas donné satisfaction, ce qui crée une incertitude sur la portée de leur action, laquelle ne tend pas seulement à provoquer ou stimuler un débat d'intérêt général, nécessaire dans une société démocratique, mais constitue le délit de vol, aggravé par la circonstance de réunion, dont la répression ne constitue pas en l'espèce une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la liberté d'expression.

14. Elle souligne, enfin, pour assortir du sursis les amendes prononcées par les premiers juges, que le contexte de l'infraction, commise dans un cadre politique et militant, doit être pris en compte dans la détermination de la sanction.

15. En prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision.

16. En effet, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que, bien que l'action menée par les prévenus se soit inscrite dans le cadre d'une démarche militante et puisse être considérée comme une expression au sens de l'article 10 précité, la condamnation n'était pas disproportionnée au regard de la valeur symbolique du portrait du Président de la République et du refus de le restituer tant que leurs revendications ne seraient pas satisfaites, ainsi que de la circonstance que le vol a été commis en réunion.

17. Dès lors, le moyen doit être écarté.

18. Par ailleurs, l'arrêt attaqué est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-huit mai deux mille vingt-deux.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 20-87272
Date de la décision : 18/05/2022
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 10 décembre 2020


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 18 mai. 2022, pourvoi n°20-87272


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2022:20.87272
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