LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° N 20-86.594 F-B
N° 00551
ECF
11 MAI 2022
CASSATION
Mme DE LA LANCE conseiller doyen faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 11 MAI 2022
La société [1] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Dijon, chambre correctionnelle, en date du 2 juillet 2020, qui, pour infractions à la législation sur les contributions indirectes, l'a condamnée à des amendes et pénalités fiscales et au paiement des droits fraudés.
Des mémoires, en demande et en défense, et des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de Mme Pichon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société [1], les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la direction générale des douanes et droits indirects de Bourgogne, et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 30 mars 2022 où étaient présents Mme de la Lance, conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Pichon, conseiller rapporteur, M. Wyon, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 23 juin 2011, l'administration des douanes et des droits indirects a initié un contrôle sur le fondement de l'article L. 34 du livre des procédures fiscales dans les locaux de la société [1], spécialisée dans la fabrication et le commerce de boissons alcoolisées, entrepositaire agréé au sens de l'article 302 G du code général des impôts.
3. Le 10 septembre 2013, un procès-verbal d'infraction à la réglementation sur les contributions indirectes a été établi et la société [1] a été citée devant le tribunal correctionnel pour avoir en 2008, 2009, 2010 et 2011, procédé à la tenue irrégulière de sa comptabilité matières, liquidé de manière non conforme les droits d'accises et fait circuler des produits ou biens relevant de la législation des contributions indirectes sans documents d'accompagnement ou marque fiscale conforme.
4. Par jugement en date du 25 octobre 2018, le tribunal correctionnel a constaté la prescription de l'ensemble des faits de la prévention antérieurs au 10 septembre 2010, relaxé partiellement la société pour les faits de circulation de produits ou biens relevant de la législation des contributions indirectes sans documents d'accompagnement ou marque fiscale conforme et pour certains des manquements relatifs à la tenue de la comptabilité matières, déclaré la prévenue coupable pour le surplus de la prévention et condamné celle-ci au paiement de six amendes fiscales d'un montant unitaire de 15 euros et à deux pénalités fiscales d'un montant unitaire de 530 432 euros.
5. La direction générale des douanes et droits indirects et la prévenue ont formé appel principal de cette décision, le procureur de la République, appel incident.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens
6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à retenir la prescription pour l'ensemble des infractions visées par la prévention, a déclaré la société [1] coupable du chef de liquidation non conforme d'impôts et de taxes : accises sur l'alcool, boisson ou produit alcoolique pour l'ensemble de la période de prévention soit pour les années 2008, 2009, 2010 et 2011 et l'a condamnée au paiement de la somme de 1 334 664 euros au titre de la pénalité fiscale et au paiement de la somme de 1 334 664 euros au titre des droits fraudés, alors « que l'action fiscale en matière de contributions indirectes devant le juge pénal se prescrit par un délai de trois ans, lequel est susceptible d'être interrompu par tout acte d'instruction ou de poursuite ; que tel n'est pas le cas du procès-verbal d'intervention visé par l'article L. 34 du livre des procédures fiscales, applicable en l'absence de tout soupçon de fraude, qui se borne à constater la remise des documents permettant l'exercice du contrôle ; qu'en retenant que le procès-verbal du 23 juin 2011 constatant la remise par le prévenu de différents documents permettant l'exercice du contrôle prévu par l'article L. 34 du livre des procédures fiscales était un acte interruptif de la prescription de l'action fiscale, la cour d'appel a méconnu les articles L. 235, et L. 236 du livre des procédures fiscales, 7 et 8 du code de procédure pénale, dans leur rédaction issue de la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 7 du code de procédure pénale, dans sa rédaction applicable à l'époque des faits :
8. Il résulte de ce texte que seul peut être regardé comme un acte d'instruction ou de poursuite le procès-verbal dressé par les agents de l'administration des douanes dans l'exercice de leurs attributions de police judiciaire et à l'effet de constater les infractions, à l'exclusion des actes de l'enquête administrative qui en ont constitué le prélude.
9. Pour rejeter l'exception de prescription soulevée par la prévenue, l'arrêt attaqué retient que l'action fiscale ayant le caractère d'une action publique son régime obéit à celui de cette dernière chaque fois qu'il n'y est pas dérogé, l'action publique et l'action fiscale se prescrivant en principe conformément au droit commun.
10. Après avoir indiqué que le délai de prescription est susceptible d'être interrompu par tout acte d'instruction ou de poursuite, il énonce que sont interruptifs de prescription les procès-verbaux de constat établis par l'administration des douanes dans la mesure où ils visent à établir l'existence d'une infraction et asseoir l'assiette des droits à recouvrer.
11. Les juges ajoutent qu'il en va ainsi également de tous les procès-verbaux portant saisies de documents et auditions de sachant dès lors qu'ils émanent d'agents compétents et qu'en application de ces principes, sont interruptifs de prescription les procès-verbaux d'intervention, d'audition et de réception de documents qui ont été notifiés et remis en copie au cours du contrôle.
12. Ils en déduisent qu'en l'espèce le procès-verbal du 23 juin 2011 d'audition et d'intervention qui constate la remise par le prévenu de différents documents permettant l'exercice du contrôle est un acte interruptif de prescription et que par suite la période de prévention qui sera examinée pour statuer sur l'éventuelle culpabilité de la prévenue concernera bien les années 2008, 2009, 2010 et 2011.
13. En statuant ainsi la cour d'appel a méconnu le texte précité et le principe susvisé.
14. En effet, le procès-verbal d'intervention établi par les agents des services des douanes, qui ne constatait aucune infraction, ni ne relatait aucun acte d'enquête portant sur une infraction préalablement révélée, n'était pas interruptif de prescription.
15. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens de cassation proposés, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Dijon, en date du 2 juillet 2020, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Dijon, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Dijon, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le onze mai deux mille vingt-deux.