LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 21 avril 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 371 F-D
Pourvoi n° B 21-14.322
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 AVRIL 2022
Le syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Raphaël, dont le siège est [Adresse 3], représenté par son syndic la société Gestion immobilière Bertrand Petit, dont le siège est [Adresse 6], a formé le pourvoi n° B 21-14.322 contre l'arrêt rendu le 28 janvier 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-5), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [S] [I], domicilié [Adresse 1],
2°/ à la société Immoda, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], exerçant sous l'enseigne Riviera Horizon,
défendeurs à la cassation.
M. [I] et la société Immoda ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Grandjean, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat du syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Raphaël à [Localité 5], de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de M. [I] et de la société Immoda, après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Grandjean, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 28 janvier 2021), M. [I] est propriétaire d'un lot à usage commercial au sein d'un immeuble soumis au statut de la copropriété.
2. L'assemblée générale des copropriétaires a, le 20 septembre 2013, refusé la pose, sur les parties communes, d'une enseigne lumineuse et d'une casquette de protection de la devanture du local commercial appartenant à M. [I], et exploité par la société Immoda dont il est le gérant.
3. M. [I] et la société Immoda ont assigné le syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Raphaël à [Localité 5] afin d'être autorisés à installer cette enseigne et cette casquette et d'obtenir sa condamnation à leur payer des dommages et intérêts.
Examen des moyens
Sur les premier et second moyens du pourvoi principal, ci-après annexés
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
5. M. [I] et la société Immoda font grief à l'arrêt de rejeter la demande de M. [I] en paiement de la somme de 6 415,25 euros en réparation du préjudice matériel subi, alors « que le juge qui constate la réunion des conditions de la responsabilité, et notamment l'existence d'un dommage ne peut priver la victime de réparation, au motif qu'il n'est pas en mesure de chiffrer le montant du préjudice réparable ; que la cour d'appel a retenu qu'il est admis que le local de M. [I] a subi des infiltrations d'eau en provenance de la façade et qu'en suite des rapports d'expertise des experts d'assurances intervenus dans les lieux, la copropriété l'a finalement autorisé à faire poser en façade une casquette de protection ; qu'elle a néanmoins rejeté sa demande indemnitaire aux motifs que le rapport d'expertise amiable de l'assureur en date du 26 avril 2016 ne renseigne aucunement sur la nature et l'ampleur des dommages et que le procès-verbal de constat du 20 mars 2017 ne le fait pas plus ; qu'en rejetant la demande indemnitaire, après avoir pourtant constaté la réunion des conditions de la responsabilité et particulièrement l'existence d'un dommage la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé l'article 4 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
6. Il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies.
7. Pour rejeter la demande en réparation de son dommage, l'arrêt retient que M. [I] ne justifie que d'un devis, émanant d'une entreprise radiée du registre du commerce et des sociétés un an avant son émission, que l'extrait de compte bancaire de la société Immoda pour la période du 1er au 30 juin 2016 ne porte pas la trace du paiement correspondant, que le rapport d'expertise amiable de l'assureur et que le procès verbal de constat ne renseignent aucunement sur la nature et l'ampleur des dommages.
8. En statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que le local de M. [I] subissait des infiltrations d'eau, la cour d'appel, qui a refusé d'évaluer un préjudice dont elle avait constaté l'existence, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande en remboursement de la somme de 6 415,25 euros de M. [I], l'arrêt rendu le 28 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne le syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Raphaël à [Localité 5] aux dépens du pourvoi principal et du pourvoi incident ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Raphaël à [Localité 5] et le condamne à payer à M. [I] et la société Immoda la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un avril deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits au pourvoi principal par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour le syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Raphaël à [Localité 5]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le syndicat des copropriétaires de l'immeuble « Le Raphaël » fait grief à l'arrêt d'avoir accordé à la société Immoda exerçant sous l'enseigne « Riviera Horizon » et à M. [I] l'autorisation de poser une enseigne et une vitrine sur le côté latéral du local commercial loué par la société Immoda à M. [I], copropriétaire dans l'immeuble Le Raphaël ;
Alors que seul un copropriétaire peut demander au tribunal d'être autorisé à faire des travaux qui ont été refusés par l'assemblée générale des copropriétaires ; que le preneur à bail non copropriétaire ne peut saisir le tribunal d'une contestation du refus de l'assemblée générale des copropriétaires aux fins d'être autorisé à exécuter les travaux refusés ; qu'en l'espèce, seul le preneur à bail commercial, la société Immoda, a demandé au tribunal l'autorisation de faire les travaux litigieux refusés par l'assemblée générale des copropriétaires ; que le copropriétaire bailleur, M. [I], n'a demandé que l'indemnisation de son préjudice (cf. conclusions de première instance de la société Immoda et M. [I]) ; qu'en refusant de déclarer irrecevable la demande d'autorisation judiciaire formée par le seul preneur à bail non copropriétaire en se fondant sur les motifs inopérants pris de ce que le copropriétaire bailleur était le gérant de la société preneuse et qu'il avait demandé l'autorisation des travaux à l'assemblée générale des copropriétaires, quand cette double circonstance ne pouvait régulariser la demande irrecevable formée par la société preneuse non-copropriétaire, la cour d'appel a violé l'article 30 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965 et l'article 31 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Le syndicat des copropriétaires de l'immeuble « Le Raphaël » fait grief à l'arrêt d'avoir accordé à la société Immoda exerçant sous l'enseigne « Riviera Horizon » et à M. [I] l'autorisation de poser une enseigne et une vitrine sur le côté latéral du local commercial loué par la société Immoda à M. [I], copropriétaire ;
1° Alors que les travaux affectant les parties communes de l'immeuble telle la façade sont nécessairement soumis à l'autorisation préalable de l'assemblée générale des copropriétaires, peu important les mentions du règlement de copropriété ; qu'en affirmant que la pose d'une enseigne et d'une vitrine dans les parties communes de l'immeuble ne requérait pas l'autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires, la cour d'appel a violé les articles 25 B et 30 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965 ;
2° Alors que le juge ne peut dénaturer les éléments soumis à son examen ; qu'en l'espèce, l'article 37 du règlement de copropriété du 8 mai 1978 stipulait expressément que l'atteinte à l'aspect des parties communes de l'immeuble était soumise à l'approbation de l'assemblée générale des copropriétaires et que la pose d'une enseigne sur la façade des locaux commerciaux du rez-de-chaussée devait au surplus être soumise à une autorisation administrative ; qu'en retenant « qu'au regard de ces stipulations, le principe est l'interdiction des enseignes, hormis, notamment, pour les locaux commerciaux du rez-de-chaussée, pour lesquels seule l'autorisation administrative ad hoc est exigée préalablement à la pose », quand le règlement de copropriété exigeait tant l'autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires que l'autorisation de l'autorité administrative compétente, la cour d'appel a dénaturé l'article 37 du règlement de copropriété et violé l'article 1192 du code civil ;
3° Alors que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et que les stipulations contractuelles s'imposent ainsi au juge en charge de les faire appliquer ; qu'en l'espèce, l'article 34 du règlement de copropriété stipulait expressément qu' « aucune tolérance ne pourra, même avec le temps, devenir un droit acquis », de sorte que la circonstance que l'enseigne et la vitrine lumineuses reprises par la société Immoda avaient été installées en 2003 par la société Bourniquel Yachts sur la façade latérale du local ne conférait aucun droit à l'occupant de celui-ci dès lors que cette installation avait été réalisée sans autorisation du syndicat des copropriétaires ; qu'en retenant qu'il était justifié d'une tolérance décennale concernant l'installation d'une enseigne et d'une vitrine lumineuses sur la façade latérale du local commercial pour faire droit à la demande de la société Immoda, la cour d'appel a violé l'article 1103 du code civil ;
4° Alors que la preuve de la conformité à l'aspect extérieur et à l'esthétique de l'immeuble des modifications apportées aux parties communes de celui-ci doit être rapportée par le demandeur à l'autorisation judiciaire de réaliser les travaux après refus de l'assemblée générale des copropriétaires ; qu'en retenant que le syndicat des copropriétaires ne démontrait pas en quoi l'enseigne et la vitrine telles que proposées seraient contraires à l'harmonie de la façade de l'immeuble « Le Raphaël », quand il appartenait au demandeur d'établir la conformité de sa demande à l'esthétique et à l'aspect extérieur de l'immeuble, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1353 du code civil et l'article 30 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 ;
5° Alors que le juge ne peut dénaturer les éléments soumis à son examen ; qu'il ressortait du constat d'huissier réalisé le 4 mars 2013 par Me [C] que local commercial de M. [K] (lot n°99), situé à droite du local commercial de M. [I] (n°98), n'était aucunement exploité par l'agence « Raphaël Immobilier Gestion », gérée par la fille de M. [K] et situé dans l'immeuble voisin du [Adresse 2] ; que le local commercial de M. [K] (lot n°99) n'exposait aucune enseigne d'un bleu vif et n'était équipé que d'une vitrine en aluminium anodisée couleur champagne parfaitement intégrée à la façade de l'immeuble dépourvue de toute couleur criarde ; qu'en retenant toutefois que les aménagements de la société Immoda étaient « identiques dans leurs couleurs et consistance à ceux de l'agence immobilière voisine exploitée dans l'immeuble par la famille [K] », la cour d'appel a dénaturé le procès-verbal de constat d'huissier du 4 mars 2013 réalisé à la demande de M. [I] et violé le principe selon lequel le juge ne peut pas dénaturer les éléments de preuve soumis à son examen ;
6° Alors que le juge saisi d'une demande d'autorisation judiciaire de réaliser des travaux dans les parties communes refusés par l'assemblée générale des copropriétaires doit caractériser la conformité ou la non-conformité des travaux litigieux à l'esthétique et à l'aspect extérieur de l'immeuble ; qu'en se bornant à constater que les aménagements en façade étaient identiques dans les couleurs et consistance à ceux de l'agence immobilière voisine située dans l'immeuble voisin, la cour d'appel n'a pas caractérisé la conformité des travaux à l'esthétique et à l'aspect extérieur de l'immeuble, privant sa décision de base légale au regard de l'article 30 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965. Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat aux Conseils, pour M. [I] et la société Immoda
Le pourvoi incident soulève la difficulté de l'office du juge, qui constate la réunion des conditions de la responsabilité, notamment l'existence d'un dommage, mais n'en tire pas les conséquences en refusant d'indemniser la victime au motif que les éléments soumis ne lui permettraient pas d'évaluer le montant du préjudice réparable.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement du tribunal de Grasse, en ce qu'il a rejeté la demande de Monsieur [I] de paiement de la somme de 6.425,15 euros, en réparation du préjudice matériel subi ;
Alors que le juge qui constate la réunion des conditions de la responsabilité, et notamment l'existence d'un dommage ne peut priver la victime de réparation, au motif qu'il n'est pas en mesure de chiffrer le montant du préjudice réparable ; que la cour d'appel a retenu qu'« il est admis que le local de M. [S] [I] a subi des infiltrations d'eau en provenance de la façade et qu'en suite des rapports d'expertise des experts d'assurances intervenus dans les lieux, la copropriété a finalement autorisé M. [S] [I] à faire poser en façade une casquette de protection » (arrêt attaqué, p. 8) ; qu'elle a néanmoins rejeté la demande indemnitaire de Monsieur [I], aux motifs que « le rapport d'expertise amiable de l'assureur en date du 26 avril 2016 (cf pièce n° 19) ne renseigne aucunement sur la nature et l'ampleur des dommages ; le procès-verbal de constat du 20 mars 2017 (pièce n° 20) ne le fait pas plus » (arrêt attaqué, p. 8) ; Qu'en rejetant la demande indemnitaire, après avoir pourtant constaté la réunion des conditions de la responsabilité et particulièrement l'existence d'un dommage la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé l'article 4 du code civil ;