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02/02/2022 | FRANCE | N°20-16054

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 02 février 2022, 20-16054


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

LG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 2 février 2022

Cassation partielle

M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 161 F-D

Pourvoi n° P 20-16.054

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [B].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 16 mars 2020.

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

________________________

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 2 FÉVRIER 2022

Mme [T] [B], div...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

LG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 2 février 2022

Cassation partielle

M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 161 F-D

Pourvoi n° P 20-16.054

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [B].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 16 mars 2020.

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 2 FÉVRIER 2022

Mme [T] [B], divorcée [S], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° P 20-16.054 contre l'arrêt rendu le 31 janvier 2019 par la cour d'appel de Douai (chambre sociale), dans le litige l'opposant à l'établissement public Centre communal d'action sociale (CCAS) de [Localité 3], dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Rinuy, conseiller, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de Mme [B], après débats en l'audience publique du 8 décembre 2021 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rinuy, conseiller rapporteur, Mme Pécaut-Rivolier, conseiller, Mme Laulom, avocat général, et Mme Lavigne, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 31 janvier 2019), par délibération du 29 octobre 1987, le centre communal d'action sociale de [Localité 3] (le CCAS) a créé un service mandataire de garde à domicile, afin de faciliter l'emploi de travailleurs en difficultés sociales par des personnes âgées. Dans ce cadre, il avait pour mission de placer des travailleurs auprès de particuliers et effectuait toutes les démarches afférentes à l'emploi de ces salariés que ce soit l'immatriculation à la sécurité sociale, la déclaration URSSAF, l'élaboration de fiches de paie ou les attestations de salaires. Par courrier du 5 mars 2012, le conseil de Mme [B] a sollicité du CCAS la transmission des contrats de travail et bulletins de salaire de sa cliente au titre des années 1991 à 1993, cette période d'activité n'ayant pas été prise en compte dans le calcul de sa retraite.

2. Le 30 avril 2014, Mme [B] a attrait le CCAS devant la juridiction prud'homale afin d'obtenir sa condamnation à lui verser diverses indemnités au titre de la rupture de ses contrats de travail.

Examen du moyen

Sur le moyen, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de constater l'irrecevabilité des demandes en dommages-intérêts pour rupture abusive des contrats de travail et harcèlement moral

Enoncé du moyen

3. Mme [B] fait grief à l'arrêt de constater que son action est prescrite et de dire que ses demandes sont irrecevables, alors « que le délai de prescription de l'action fondée sur l'obligation pour l'employeur d'affilier son personnel à un régime de retraite et de régler les cotisations qui en découlent ne court qu'à compter de la liquidation par le salarié de ses droits à la retraite, jour où le salarié titulaire de la créance à ce titre a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action, sans que puissent y faire obstacle les dispositions de l'article 2232 du code civil ; qu'en déclarant prescrite l'action de Mme [B] en réparation du préjudice causé par la perte de ses droits à la retraite consécutive à l'absence de déclaration de son emploi entre 1991 et 1993, au motif que plus de vingt ans se sont écoulés entre la fin de la relation contractuelle et la saisine de la juridiction prud'homale, quand l'exposante a liquidé ses droits à la retraite en 2012, de sorte que son action en réparation n'était pas prescrite lorsqu'elle a saisi la juridiction prud'homale le 30 avril 2014, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil, ensemble l'article 2232 du même code interprété à la lumière de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

4. Le moyen tiré de la règle selon laquelle le délai de prescription de l'action fondée sur l'obligation pour l'employeur d'affilier son personnel à un régime de retraite et de régler les cotisations qui en découlent ne court qu'à compter de la liquidation par le salarié de ses droits à la retraite est insusceptible d'entraîner la cassation de l'arrêt en ce qu'il déclare irrecevables comme prescrites les demandes de dommages-intérêts pour rupture abusive des contrats de travail et de dommages-intérêts pour harcèlement moral.

5. Le moyen est dès lors inopérant.

Mais sur le moyen, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de constater l'irrecevabilité des autres demandes

6. Mme [B] fait grief à l'arrêt de constater que son action est prescrite et de dire que ses demandes sont irrecevables, alors « que le délai de prescription de l'action fondée sur l'obligation pour l'employeur d'affilier son personnel à un régime de retraite et de régler les cotisations qui en découlent ne court qu'à compter de la liquidation par le salarié de ses droits à la retraite, jour où le salarié titulaire de la créance à ce titre a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action, sans que puissent y faire obstacle les dispositions de l'article 2232 du code civil ; qu'en déclarant prescrite l'action de Mme [B] en réparation du préjudice causé par la perte de ses droits à la retraite consécutive à l'absence de déclaration de son emploi entre 1991 et 1993, au motif que plus de vingt ans se sont écoulés entre la fin de la relation contractuelle et la saisine de la juridiction prud'homale, quand l'exposante a liquidé ses droits à la retraite en 2012, de sorte que son action en réparation n'était pas prescrite lorsqu'elle a saisi la juridiction prud'homale le 30 avril 2014, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil, ensemble l'article 2232 du même code interprété à la lumière de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2224 du code civil et l'article 2232 du même code interprété à la lumière de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

7. En application du premier de ces textes, le délai de prescription de l'action en dommages-intérêts fondée sur le défaut d'affiliation par l'employeur du salarié à un régime de retraite et de règlement des cotisations qui en découlent ne court qu'à compter de la liquidation par le salarié de ses droits à la retraite, jour où le salarié titulaire de la créance à ce titre a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action, sans que puissent y faire obstacle les dispositions de l'article 2232 du code civil.

8. Pour juger que l'action de l'intéressée était prescrite et que ses demandes au titre du travail dissimulé et tendant à enjoindre au CCAS de faire les déclarations adéquates et payer les cotisations nécessaires pour qu'elle puisse bénéficier de la part de retraite correspondant étaient irrecevables, l'arrêt retient que les éléments figurant au dossier permettent de dater la cessation de son activité de garde à domicile à fin juillet 1993, que, s'agissant des faits de travail dissimulé reprochés, l'intéressée soutient avoir découvert seulement en 2012, en obtenant les duplicatas de ses fiches de paie ainsi que les informations relatives au montant de sa future retraite (relevé de reconstitution de carrière, notification de retraite par la caisse d'assurance retraite) que son activité de garde à domicile n'aurait pas été déclarée par le CCAS, que toutefois, sa demande se heurte en tout état de cause à la prescription, dans la mesure où la loi du 16 juin 2008, bien que mentionnant que le délai de prescription court à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer a, néanmoins, instauré un délai butoir pour agir en énonçant que le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit, que plus de vingt ans s'étant écoulés entre la fin de la relation contractuelle et la saisine de la juridiction prud'homale, il y a lieu de déclarer la demande irrecevable.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il constate que les demandes en dommages-intérêts pour rupture abusive des contrats de travail et harcèlement moral de Mme [B] sont irrecevables, l'arrêt rendu le 31 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée ;

Condamne le Centre communal d'action sociale de [Localité 3] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne le Centre communal d'action sociale de [Localité 3] à payer à la SCP Boutet-Hourdeaux la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du deux février deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat aux Conseils, pour Mme [B]

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR constaté que l'action de Mme [T] [B] épouse (divorcée) [S] était prescrite et dit que toutes ses demandes étaient irrecevables ;

AUX MOTIFS QUE Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action de Madame [S]
Madame [S] formule plusieurs demandes en dommages et intérêts en invoquant successivement, la rupture abusive de ses différents contrats de travail, une situation de travail dissimulé et un « mobbing socio-professionnel ».
Les éléments figurant au dossier permettent de dater la cessation de son activité de garde à domicile à fin juillet 1993.
L'article 2262 du code civil applicable à cette époque, prévoyait un délai de 30 ans pour la mise en oeuvre des actions tant réelles que personnelles.
La loi du 17 juin 2008 est cependant venue réduire ce délai à 5 ans, en prévoyant que pour les prescriptions en cours, ce nouveau délai s'appliquerait à compter du jour de son entrée en vigueur, soit le 19 juin 2008, sans, cependant que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi ancienne.
Il s'ensuit que Madame [S], qui invoque notamment des manquements intervenus au cours de l'exécution des contrats de travail ou liés aux circonstances de la rupture de celui-ci, avait jusqu'au 19 juin 2013 pour porter en justice sa contestation.
Force est de constater qu'elle a saisi le conseil de prud'hommes de Tourcoing le 30 avril 2014.
Son action en dommages et intérêts pour rupture injustifiée de ses contrats de travail et pour les faits de harcèlement moral (ou « mobbing socio-professionnel ») qui seraient intervenus notamment durant sa période d'activité, est donc prescrite.
De même, les faits que Madame [S] évoque sous le terme de « mobbing socioprofessionnel » et qui concernent des événements privés intervenus, pour les plus récents en 2005, outre qu'ils ne présentent aucun lien avec la relation de travail sont également, au vu des dispositions précitées, également prescrits.
Les demandes formulées à ce titre, sont donc irrecevables.
S'agissant des faits de travail dissimulé reprochés, Madame [S] soutient avoir découvert seulement en 2012, en obtenant les duplicatas de ses fiches de paie ainsi que les informations relatives au montant de sa future retraite (relevé de reconstitution de carrière, notification de retraite par la caisse d'assurance retraite) que son activité de garde à domicile n'aurait pas été déclarée par le CCAS.
Toutefois, là encore, sa demande se heurte en tout état de cause à la prescription, dans la mesure où la loi du 16 juin 2008, bien que mentionnant que le délai de prescription court « à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer » a, néanmoins instauré un délai butoir pour agir en énonçant que « le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit. »
Plus de 20 ans s'étant écoulés entre la fin de la relation contractuelle et la saisine de la juridiction prud'homale, il y aura lieu de déclarer la demande en dommages et intérêts au titre du travail dissimulé, irrecevable.
Le jugement entrepris ayant implicitement écarté la prescription soulevée en statuant au fond sur les demandes pour les dire mal fondées, sera donc réformé sauf dans ses dispositions relatives aux dépens.

ALORS QUE le délai de prescription de l'action fondée sur l'obligation pour l'employeur d'affilier son personnel à un régime de retraite et de régler les cotisations qui en découlent ne court qu'à compter de la liquidation par le salarié de ses droits à la retraite, jour où le salarié titulaire de la créance à ce titre a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action, sans que puissent y faire obstacle les dispositions de l'article 2232 du code civil ; qu'en déclarant prescrite l'action de Mme [T] [B], épouse (divorcée) [S], en réparation du préjudice causé par la perte de ses droits à la retraite consécutive à l'absence de déclaration de son emploi entre 1991 et 1993, au motif que plus de vingt ans se sont écoulés entre la fin de la relation contractuelle et la saisine de la juridiction prud'homale, quand l'exposante a liquidé ses droits à la retraite en 2012, de sorte que son action en réparation n'était pas prescrite lorsqu'elle a saisi la juridiction prud'homale le 30 avril 2014, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil, ensemble l'article 2232 du même code interprété à la lumière de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20-16054
Date de la décision : 02/02/2022
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Douai, 31 janvier 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 02 fév. 2022, pourvoi n°20-16054


Composition du Tribunal
Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Boutet et Hourdeaux

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2022:20.16054
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