LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 19 janvier 2022
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 56 F-D
Pourvoi n° V 20-22.109
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 JANVIER 2022
1°/ M. [P] [X], domicilié [Adresse 2],
2°/ la société Mutuelle des architectes français, dont le siège est [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° V 20-22.109 contre l'arrêt rendu le 19 juin 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 6), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [C] [N], domicilié [Adresse 3],
2°/ à M. [I] [N], domicilié [Adresse 4],
3°/ à la société Studio bande originale, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Boulloche, avocat de M. [X], de la société Mutuelle des architectes français, de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de MM. [C] et [I] [N] et de la société Studio bande originale, après débats en l'audience publique du 30 novembre 2021 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 juin 2020, rectifié par arrêt du 5 février 2021), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ.,14 février 2019, pourvoi n° 17-22.027), la société Studio bande originale (la société SBO), créée par MM. [C] et [I] [N], exploite une activité de location de studios d'enregistrement et de répétition.
2. Ayant souhaité agrandir ses locaux, elle a conclu un bail commercial dans un immeuble soumis au statut de la copropriété et a confié la maîtrise d'oeuvre des travaux d'aménagement et d'insonorisation des studios à M. [X], architecte assuré auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF).
3. A la suite de plaintes de voisins pour des nuisances sonores, la société SBO a fait réaliser une étude acoustique.
4. La réception est intervenue le 22 janvier 2010 avec une réserve relative à l'isolation acoustique.
5. La société SBO et MM. [C] et [I] [N] ont, après expertise, assigné M. [X] et son assureur en indemnisation de leurs préjudices.
Examen des moyens
Sur le second moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexé
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation. Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. M. [X] et son assureur font grief à l'arrêt de les condamner solidairement à payer à la société SBO certaines sommes au titre du coût des travaux de reprise, de maîtrise d'oeuvre, des études acoustiques à réaliser en cours de travaux et du contrôle technique, alors :
« 1°/ que la responsabilité de l'architecte ne peut être engagée sur le fondement de la garantie décennale que si le demandeur justifie d'un lien de causalité entre l'activité de l'architecte et son dommage ; qu'en l'espèce, dans leurs conclusions d'appel, M. [X] et la MAF ont soutenu que les sommes réclamées n'étaient pas la conséquence de l'activité de l'architecte et que les travaux nécessaires à l'exploitation des studios n'auraient jamais pu être réalisés en raison du règlement de copropriété et de l'absence d'autorisation du syndicat des copropriétaires ; que pour rejeter ce moyen, la cour d'appel a retenu que M. [X] et la MAF ne pouvaient opposer l'impossibilité pratique de procéder aux travaux de réparation ni le fait que la société SBO ne disposait pas de droits pour porter atteinte aux parties communes ; qu'elle a ainsi méconnu l'exigence de preuve d'un lien de causalité et violé l'article 1792 du code civil ;
2°/ que le propre de la responsabilité civile est de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si le dommage n'avait pas eu lieu, sans perte ni profit pour elle ; que dans leurs conclusions d'appel, les exposants ont soutenu que le préjudice matériel de la SBO ne pouvait être supérieur aux sommes payées au titre des travaux réalisés car cette société n'aurait pu financer les travaux si elle avait eu connaissance de leur coût exact ; que pour rejeter ce moyen pertinent et condamner les exposants à supporter le coût des reprises nécessaires pour remédier aux désordres, la cour a retenu que le préjudice de la SBO n'était pas une simple perte de chance d'obtenir des gains et que sa réparation ne saurait consister dans le remboursement des sommes engagées pour les travaux qui replacerait cette société dans une situation antérieure aux travaux affectés des malfaçons à réparer ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le principe de la réparation intégrale du préjudice et a violé les articles 1792 et 1147, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, du code civil. »
Réponse de la Cour
8. En premier lieu, dès lors que la cour d'appel a constaté que la responsabilité de plein droit de l'architecte sur le fondement de l'article 1792 du code civil en raison des désordres acoustiques, de caractère décennal, affectant les studios d'enregistrement que celui-ci s'était engagé à faire réaliser dans le local pris à bail par la société SBO, avait été irrévocablement retenue, M. [X] et la MAF étaient irrecevables à invoquer un moyen destiné à remettre en cause ce principe, tel que l'absence de lien de causalité entre l'intervention de l'architecte et les désordres dont la réparation matérielle était sollicitée.
9. En second lieu, la cour d'appel, qui a constaté que le caractère réalisable du projet faisait partie de la mission de l'architecte et qui a exactement énoncé que la réparation devait replacer la victime dans la situation qui aurait été la sienne si l'acte dommageable ne s'était pas produit, a pu en déduire, sans méconnaître le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit, que M. [X], garanti par son assureur décennal, devait supporter le coût des travaux de reprise nécessaires pour remédier aux désordres.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
11. M.[X] et son assureur font grief à l'arrêt de les condamner solidairement à payer à la société SBO une certaine somme en réparation de son préjudice financier, alors « que la responsabilité de l'architecte ne peut être engagée que si le demandeur justifie d'un lien de causalité entre l'activité de l'architecte et son dommage ; qu'en l'espèce, dans leurs conclusions d'appel, M. [X] et la MAF ont soutenu que la réalisation de travaux permettant l'exercice de l'activité souhaitée n'a jamais été possible et que l'intervention de M. [X], même fautive, n'était pas à l'origine de l'impossibilité d'exploitation et de la perte de chance d'obtenir des gains espérés dans le cadre de l'exercice de l'activité prévue ; que pour rejeter ce moyen, la cour d'appel a retenu que M. [X] et la MAF ne pouvaient opposer l'impossibilité pratique de procéder aux travaux de réparation et que le préjudice de la SBO n'était pas une simple perte de chance d'obtenir des gains ; qu'elle a ainsi méconnu l'exigence de preuve d'un lien de causalité et violé l'article 1792 du code civil. »
Réponse de la Cour
12. En premier lieu, dès lors que la cour d'appel a constaté que la responsabilité de plein droit de l'architecte sur le fondement de l'article 1792 du code civil en raison des désordres acoustiques, de caractère décennal, affectant les studios d'enregistrement, avait été irrévocablement retenue, M. [X] et la MAF étaient irrecevables à invoquer un moyen destiné à remettre en cause ce principe, tel que l'absence de lien de causalité entre l'intervention de l'architecte et le dommage résultant de l'impossibilité d'utiliser lesdits studios d'enregistrement.
13. En second lieu, ayant relevé que l'architecte s'était engagé à créer des studios d'enregistrement insonorisés, elle a pu en déduire que le préjudice financier résultant de l'impossibilité de les utiliser, en raison des désordres acoustiques les rendant impropres à leur destination, ne s'analysait pas en une perte de chance, mais en un gain manqué dont elle a souverainement évalué le montant.
14. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [X] et la Mutuelle des architectes français aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf janvier deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Boulloche, avocat aux Conseils, pour M. [X] et la société Mutuelle des architectes français
Premier moyen de cassation
Monsieur [P] [X] et la Mutuelle des Architectes Français font grief à l'arrêt attaqué de les avoir condamnés solidairement à payer à la SBO les sommes de 1 094 238,15 € HT au titre des travaux de reprise, 39 280,80 € HT au titre des frais d'investigation exposés dans le cadre de l'expertise judiciaire, 87 539,05 € HT pour la maîtrise d'oeuvre des travaux de reprise, 35 800 € HT au titre des études acoustiques à réaliser en cours de travaux et 8 000 € au titre du contrôle technique ;
1/ Alors que la responsabilité de l'architecte ne peut être engagée sur le fondement de la garantie décennale que si le demandeur justifie d'un lien de causalité entre l'activité de l'architecte et son dommage ; qu'en l'espèce, dans leurs conclusions d'appel (pp. 9 et 10), M. [X] et la Maf ont soutenu que les sommes réclamées n'étaient pas la conséquence de l'activité de l'architecte et que les travaux nécessaires à l'exploitation des studios n'auraient jamais pu être réalisés en raison du règlement de copropriété et de l'absence d'autorisation du syndicat des copropriétaires ; que pour rejeter ce moyen, la cour d'appel a retenu que M. [X] et la Maf ne pouvaient opposer l'impossibilité pratique de procéder aux travaux de réparation ni le fait que la société SBO ne disposait pas de droits pour porter atteinte aux parties communes ; qu'elle a ainsi méconnu l'exigence de preuve d'un lien de causalité et violé l'article 1792 du Code civil ;
2/ Alors que le propre de la responsabilité civile est de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si le dommage n'avait pas eu lieu, sans perte ni profit pour elle ; que dans leurs conclusions d'appel (p. 11 et 12), les exposants ont soutenu que le préjudice matériel de la SBO ne pouvait être supérieur aux sommes payées au titre des travaux réalisés car cette société n'aurait pu financer les travaux si elle avait eu connaissance de leur coût exact ; que pour rejeter ce moyen pertinent et condamner les exposants à supporter le coût des reprises nécessaires pour remédier aux désordres, la cour a retenu que le préjudice de la SBO n'était pas une simple perte de chance d'obtenir des gains et que sa réparation ne saurait consister dans le remboursement des sommes engagées pour les travaux qui replacerait cette société dans une situation antérieure aux travaux affectés des malfaçons à réparer (arrêt p. 10, pénult §) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le principe de la réparation intégrale du préjudice et a violé les articles 1792 et 1147, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, du Code civil.
Second moyen de cassation
Monsieur [P] [X] et la Mutuelle des Architectes Français font grief à l'arrêt attaqué de les avoir condamnés solidairement à payer à la SBO la somme de 600.000 € en réparation de son préjudice financier ;
1/ Alors que la responsabilité de l'architecte ne peut être engagée que si le demandeur justifie d'un lien de causalité entre l'activité de l'architecte et son dommage ; qu'en l'espèce, dans leurs conclusions d'appel (p. 13), M. [X] et la Maf ont soutenu que la réalisation de travaux permettant l'exercice de l'activité souhaitée n'a jamais été possible et que l'intervention de M. [X], même fautive, n'était pas à l'origine de l'impossibilité d'exploitation et de la perte de chance d'obtenir des gains espérés dans le cadre de l'exercice de l'activité prévue ; que pour rejeter ce moyen, la cour d'appel a retenu que M. [X] et la Maf ne pouvaient opposer l'impossibilité pratique de procéder aux travaux de réparation et que le préjudice de la SBO n'était pas une simple perte de chance d'obtenir des gains (arrêt p. 10) ; qu'elle a ainsi méconnu l'exigence de preuve d'un lien de causalité et violé l'article 1792 du Code civil ;
2/ Alors que subsidiairement, le juge ne peut entacher sa décision d'une contradiction entre motifs et dispositif ; qu'en l'espèce, dans les motifs de son arrêt, la cour d'appel a évalué le préjudice immatériel de la SBO à la somme de 540 000 € (arrêt p. 12 § 1er), mais dans le dispositif, elle a condamné les exposants à payer à ce titre à la SBO la somme de 600 000€ ; qu'ainsi, son arrêt est entaché d'une violation de l'article 455 du code de procédure civile.