LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° S 21-81.864 FP-B
N° 01387
SL2
15 DÉCEMBRE 2021
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 15 DÉCEMBRE 2021
M. [J] [G] [L] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Reims, chambre correctionnelle, en date du 15 décembre 2020, qui, pour faux et usage, escroquerie, banqueroute et abus de biens sociaux, l'a condamné à trois ans d'emprisonnement, à une interdiction définitive de gérer, et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Fouquet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de M. [J] [G] [L], les observations de la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat de M. [I] [Y] et de Mme [Z] [S], épouse [Y], et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, les avocats ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 14 octobre 2021 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. Bonnal,
M. de Larosière de Champfeu, Mmes Ingall-Montagnier, Planchon, M. Bellenger, Mme Slove, M. d'Huy, Mmes Labrousse, Leprieur, MM. Seys, Samuel, conseillers de la chambre, Mme Barbé, MM. Violeau, Leblanc, conseillers référendaires, M. Petitprez, avocat général, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 23 octobre 2009, M. [R] [V], notaire à [Localité 2], a porté plainte pour faux et usage de faux. Il a expliqué qu'une fausse attestation datée du 27 juillet 2007 au nom de son étude avait été présentée au mandataire judiciaire de la société [3] (la société [3]), aux termes de laquelle des fonds, détenus pour le compte de M. [G] [L], étaient disponibles pour désintéresser les créanciers de ladite société.
3. Le 14 juin 2010, M. [I] [Y] et son épouse Mme [Z] [S], associés de la société [3], ont également porté plainte pour escroquerie, faux et usage de faux auprès du procureur de la République. Ils ont déclaré avoir cédé au début de l'année 2008 les cinq cents parts sociales qu'ils détenaient dans cette société à la SARL [1] (la société [1]) ainsi qu'à son gérant. Ils ont précisé que les négociations avaient été menées par un intermédiaire disant se nommer [J] [G] [L], représentant une société belge. A titre de garantie du paiement du prix, fixé à 125 000 euros, ce dernier leur avait remis deux attestations certifiant que M. [R] [V] détenait la somme de 181 000 euros pour le compte de la société [1], qui se sont révélées fausses, ainsi qu'un certificat de dépôt de la somme de 61 000 euros sur un compte ouvert à leur nom dans les livres d'un établissement bancaire suisse, qui n'existait pas à l'adresse mentionnée.
4. A l'issue de l'information judiciaire, M. [G] [L] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel notamment des chefs de faux et usage de faux pour avoir falsifié les deux attestations notariées datées du 27 juillet 2007 ainsi que le certificat de dépôt fiduciaire et fait usage desdits faux au préjudice notamment de M. et Mme [Y] et du notaire, M. [V].
5. Il a également été poursuivi du chef d'escroquerie pour avoir, en employant des manoeuvres frauduleuses, en l'espèce notamment en produisant de fausses attestations notariales ainsi qu'un faux certificat de dépôt fiduciaire visant à établir la solvabilité de l'acquéreur, trompé M. et Mme [Y] pour les déterminer à vendre leurs parts dans la société [3] sans réelle garantie de recevoir paiement de l'intégralité du prix de vente.
6. Les juges du premier degré ont déclaré M. [G] [L] coupable de ces infractions et l'ont condamné à deux ans d'emprisonnement ainsi qu'à dix ans d'interdiction de gérer.
7. Le prévenu, le procureur de la République et certaines parties civiles ont formé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième, troisième, pris en sa première branche, quatrième et cinquième moyens
8. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
9. Le moyen, en sa seconde branche, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement entrepris sur la requalification partielle et la déclaration de culpabilité de M. [G] [L] notamment du chef d'escroquerie et l'a condamné à la peine de trois ans d'emprisonnement sans aménagement ainsi qu'à la peine complémentaire d'interdiction définitive d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, une entreprise commerciale ou industrielle, ou une société commerciale et de s'être prononcé sur les intérêts civils, alors :
« 2°/ que les faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent elles concomitantes ; qu'en retenant, pour déclarer M. [J] [G] [L] coupable d'escroquerie, qu'en produisant des documents établis par ses soins, en l'occurrence de fausses attestations ainsi qu'un faux certificat de dépôt fiduciaire, visant à établir la solvabilité de l'acquéreur, faits constitutifs de manoeuvres frauduleuses, le prévenu avait ainsi trompé les époux [Y] pour les déterminer, à leur préjudice, à vendre leurs parts dans la société [3], sans s'acquitter de l'intégralité du prix de vente, quand il résultait de ses propres constatations que les infractions de faux et usage de faux et celle retenue d'escroquerie procédaient, de manière indissociable, d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable, la cour d'appel a violé le principe « ne bis in idem » et les articles 591 à 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
10. Dans le cas de poursuites successives, le principe ne bis in idem a pour objet de garantir la sécurité juridique en assurant qu'une personne ne puisse être poursuivie ou punie pénalement en raison d'une infraction pour laquelle elle a déjà été acquittée ou condamnée par un jugement définitif.
11. Ce principe est garanti en droit conventionnel par les articles 4 du protocole 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
12. Il est également consacré en droit interne par l'article 6 du code de procédure pénale, qui dispose que l'action publique s'éteint par l'autorité de la chose jugée et par l'article 368 du même code, aux termes duquel aucune personne acquittée légalement ne peut être reprise ou accusée à raison des mêmes faits, même sous une qualification différente.
13. Dans le cas de poursuites concomitantes, en l'absence de texte définissant l'office du juge pénal dans l'hypothèse d'un concours de qualifications pour une même action répréhensible, la Cour de cassation, au visa du principe ne bis in idem, a jugé qu'un même fait autrement qualifié ne peut donner lieu à plusieurs déclarations de culpabilité (Crim., 13 janvier 1953, Bull. crim. 1953, n° 12). L'application de cette règle n'a pas donné lieu à une jurisprudence constante et uniforme, d'autres critères, comme celui des intérêts sociaux protégés, ayant ultérieurement été pris en compte.
14. Afin de rationaliser le droit applicable, la Cour de cassation a posé le principe selon lequel des faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes (Crim., 26 octobre 2016, pourvoi n° 15-84.552, Bull. crim. 2016, n° 276).
15. Cette règle prétorienne pose un cadre général de règlement des conflits de qualification.
16. Elle permet d'assurer le même traitement aux personnes poursuivies pour un comportement répréhensible sous plusieurs qualifications, que ce soit à l'occasion d'une même procédure ou lors de procédures successives.
17. Elle s'inspire de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui, dans l'hypothèse de poursuites successives, a jugé que l'article 4 du Protocole n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être compris comme interdisant de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde « infraction » pour autant que celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes (CEDH, gde ch., arrêt du 10 février 2009, Serguei Zolotoukhine c. Russie, n° 14939/03).
18. Cependant, la Cour de cassation ayant jugé que les droits de la partie civile ne peuvent être exercés que par les personnes justifiant d'un préjudice résultant de l'ensemble des éléments constitutifs de l'infraction visée à la poursuite (Crim., 21 novembre 2018, pourvoi n° 17-81.096, Bull. crim. 2018, n° 193), l'application de la jurisprudence citée au paragraphe 14 peut conduire à ce que certains plaignants, qui étaient recevables à se constituer partie civile pour l'un des faits poursuivis, ne puissent obtenir réparation en l'absence de préjudice en relation avec la seule qualification retenue.
19. Cette jurisprudence ne permet pas non plus de toujours réprimer l'action délictueuse de la façon la plus adaptée aux faits de l'espèce et à la situation personnelle de l'auteur des faits. Elle fait obstacle à ce que le juge individualise la peine en prononçant une peine complémentaire réprimant une infraction non retenue, telle la confiscation du patrimoine ou une peine d'interdiction professionnelle permettant de prévenir la récidive de l'infraction.
20. Enfin, le choix d'une seule qualification ne permet pas toujours d'appréhender l'action délictueuse dans toutes ses dimensions. En effet, l'abandon de l'une des qualifications en présence peut avoir pour conséquence d'occulter un intérêt auquel l'action délictueuse a porté atteinte ou une circonstance de cette action, alors que la volonté de protéger cet intérêt ou de réprimer cette circonstance a déterminé le législateur à incriminer le comportement considéré.
21. Cette dernière considération a d'ores et déjà conduit la Cour de cassation à infléchir sa jurisprudence dans des hypothèses où seul le cumul des chefs de poursuite permet d'appréhender l'action délictueuse dans toutes ses dimensions (Crim., 16 avril 2019, pourvoi n° 18-84.073, Bull. crim. 2019, n° 77 ; Crim., 31 mars 2020, pourvoi n° 19-83.938).
22. Au demeurant, la Cour européenne des droits de l'homme admet que des faits identiques puissent faire l'objet de poursuites successives dès lors que celles-ci, prévisibles, unies par un lien matériel et temporel suffisamment étroit, s'inscrivent dans une approche intégrée et cohérente du méfait en question et permettent de réprimer les différents aspects de l'acte répréhensible, à condition qu'elles ne génèrent pas d'inconvénient supplémentaire pour la personne poursuivie, ne conduisent pas à lui faire supporter une charge excessive, et se limitent à ce qui est strictement nécessaire au regard de la gravité de l'infraction (CEDH, arrêt du 8 octobre 2020, Bajcic c. Croatie, n°67334/13 ; CEDH, arrêt du 31 août 2021, Galovic c. Croatie n° 45512/11).
23. A cet égard, il convient d'observer que, d'une part, en prévoyant plusieurs qualifications susceptibles de s'appliquer à un même fait, le législateur entend réprimer différents aspects de l'action délictuelle, de telle sorte que, sauf exception, leur cumul au cours d'une même procédure permet d'appréhender cette action dans toutes ses dimensions. Ce cumul est prévisible dès lors que les éléments constitutifs de chaque infraction sont définis par la loi.
24. D'autre part, en vertu de l'article 132-3 du code pénal, lorsque plusieurs peines de même nature sont encourues, il ne peut être prononcé qu'une seule peine de cette nature dans la limite du maximum légal le plus élevé. Seules les peines d'amende pour contraventions se cumulent entre elles et avec celles encourues ou prononcées pour des délits en concours, en application de l'article 132-7 du code pénal.
25. Enfin, la Cour de cassation, dont la jurisprudence a été consacrée par la création de l'article 485-1 du code de procédure pénale, exige désormais que les peines principales et complémentaires prononcées par les juges soient motivées au regard de la gravité des faits, de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale de leur auteur en tenant compte des éléments concrets de l'espèce (Crim., 8 mars 2017, pourvoi n° 15-87.422, Bull. crim. 2017, n° 66 ; Crim., 27 juin 2018, pourvoi n° 16-87.009, Bull. crim. 2018, n° 128 ; Crim., 11 mai 2021, pourvoi n° 20-85.576, Bull. 2021).
26. Ce corps de règles est dès lors de nature à permettre le prononcé de peines nécessaires, proportionnées et adaptées dans l'hypothèse où plusieurs qualifications sont susceptibles de recevoir application à l'occasion d'une même poursuite.
27. En conséquence, la jurisprudence rappelée au paragraphe 14 doit être infléchie.
28. L'interdiction de cumuler les qualifications lors de la déclaration de culpabilité doit être réservée, outre à la situation dans laquelle la caractérisation des éléments constitutifs de l'une des infractions exclut nécessairement la caractérisation des éléments constitutifs de l'autre, aux cas où un fait ou des faits identiques sont en cause et où l'on se trouve dans l'une des deux hypothèses suivantes.
29. Dans la première, l'une des qualifications, telles qu'elles résultent des textes d'incrimination, correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l'autre, qui seule doit alors être retenue.
30. Dans la seconde, l'une des qualifications retenues, dite spéciale, incrimine une modalité particulière de l'action répréhensible sanctionnée par l'autre infraction, dite générale.
31. En l'espèce, pour confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré le prévenu coupable d'escroquerie, de faux et d'usage de faux, l'arrêt, après avoir énoncé que ces délits sanctionnent ici la violation d'intérêts distincts et comportent des éléments constitutifs différents, retient que le prévenu, en produisant de fausses attestations notariales ainsi qu'un faux certificat de dépôt fiduciaire établis par ses soins, visant à faire croire à la solvabilité de l'acquéreur, faits constitutifs de manoeuvres frauduleuses, a trompé M. et Mme [Y] pour les déterminer, à leur préjudice, à vendre leurs parts dans la société [3], sans s'acquitter de l'intégralité du prix de vente.
32. En statuant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
33. En effet, d'une part la caractérisation des éléments constitutifs de l'une des infractions n'exclut pas la caractérisation des éléments constitutifs de l'autre.
34. D'autre part, il résulte des articles 313-1 et 441-1 du code pénal qu'aucune de ces infractions n'est un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l'une des autres. En effet, l'article 313-1, qui incrimine l'escroquerie, vise les manoeuvres frauduleuses et non spécifiquement le faux ou l'usage de faux comme élément constitutif de ce délit.
35. Ainsi, le moyen doit être écarté.
36. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que M. [G] [L] devra payer aux parties représentées par la SCP Chaisemartin-Doumic-Sellier, avocat à la Cour, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quinze décembre deux mille vingt et un.