LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Z 19-84.301 FS-P+B+I
N° 1520
EB2
9 SEPTEMBRE 2020
CASSATION PARTIELLE
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 9 SEPTEMBRE 2020
CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par Mme B... M... contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 5-14, en date du 21 mai 2019, qui pour escroquerie, faux et usage, l'a condamnée à trois ans d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve devenu sursis probatoire et cinq ans d'interdiction professionnelle, a ordonné une mesure de confiscation et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires et des observations complémentaires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Pichon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme B... M..., les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris, et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l'audience publique du 24 juin 2020 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Pichon, conseiller rapporteur, Mmes de la Lance, Planchon, Zerbib, MM. d'Huy, Wyon, Pauthe, Turcey, conseillers de la chambre, M. Ascensi, Mme Fouquet, conseillers référendaires, M. Valat, avocat général, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Des caisses d'assurance maladie et des mutuelles, alertées par une forte progression d'activité, ont porté plainte contre Mme M..., infirmière libérale, après avoir constaté la déclaration d'actes fictifs ou surcotés en vue d'obtenir le remboursement indu de prestations et ce, via un système de transmission dématérialisée ou l'établissement de feuilles de soins papier, pour un montant global de l'ordre d'un million d'euros.
3. A l'issue d'une information judiciaire, Mme M... a été renvoyée devant le tribunal correctionnel pour y être jugée des chefs d'escroquerie, de faux et d'usage.
4. Le tribunal correctionnel l'a déclarée coupable des faits reprochés et condamnée notamment à des mesures de confiscation. Il a prononcé sur les intérêts civils.
5. La prévenue et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
7. Le moyen, pris en sa seconde branche, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement ayant déclaré Mme B... M... coupable de faux et escroquerie, alors :
« 2°/ que des faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes ; qu'en déclarant Mme M... coupable de faux « constitués de fausses ordonnances et leur usage » et d'escroquerie « grâce à des manoeuvres frauduleuses constituées
par des fausses ordonnances », au préjudice des mêmes caisses, la cour d'appel a violé la règle ne bis in idem. »
Réponse de la Cour
8. Il se déduit du principe ne bis in idem que des faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes.
9. Il n'en est pas ainsi en cas de double déclaration de culpabilité pour faux et escroquerie, faute d'action et intention coupable uniques, lorsque l'infraction de faux consiste en une altération de la vérité dans un support d'expression de la pensée qui se distingue de son utilisation constitutive du délit d'usage de faux et, le cas échéant, d'un élément des manoeuvres frauduleuses de l'infraction d'escroquerie. Dans cette hypothèse, seuls les faits d'usage sont de nature à procéder des mêmes faits que ceux retenus pour les manoeuvres frauduleuses.
10. En l'espèce, pour confirmer la déclaration de culpabilité des chefs d'escroquerie, faux et usage, l'arrêt attaqué énonce notamment que la prévenue a facturé, au préjudice de diverses caisses d'assurance maladie et mutuelles, un grand nombre d'actes infirmiers fictifs, surcotés ou comportant une modification du taux de prise en charge.
11. Il relève, pour caractériser l'escroquerie, que l'utilisation de la carte vitale d'un assuré tend à accréditer et conforter la réalité de soins fictifs facturés et constitue une manoeuvre frauduleuse, que, dans un premier temps, Mme M... a demandé le remboursement des soins par le réseau SESAME grâce aux cartes vitales des patients, qu'elle a aussi récupéré les cartes vitales pour établir sa facturation sans que les intéressés ne soient en mesure de vérifier la réalité des prestations, cette captation des cartes vitales participant à la manoeuvre et qu'après le blocage de son compte, elle a sollicité le paiement direct des assurés qui devaient solliciter un remboursement, l'envoi de feuilles de soins papier étant constitutif d'une manoeuvre frauduleuse. Il ajoute que Mme M... a commis d'autres manoeuvres frauduleuses, en modifiant le taux de prise en charge des malades et en surcotant des actes réalisés, et qu'elle a eu recours à plusieurs fausses ordonnances médicales ayant pour seul objet de permettre des facturations fictives.
12. Les juges retiennent, pour les délits de faux et d'usage, la réalisation et l'utilisation de fausses prescriptions censées avoir été rédigées par des médecins.
13. En prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître, s'agissant du cumul critiqué de qualifications de faux et d'escroquerie, le principe ne bis in idem.
14. En effet, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que les juges se sont fondés, au titre du faux, sur des faits de falsification d'ordonnances médicales qui sont distincts des faits d'utilisation de ces documents retenus comme élément de l'escroquerie à des fins de facturation de soins fictifs.
15. Dès lors, le grief doit être écarté.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
16. Le moyen critique l'arrêt attaqué d'avoir confirmé la confiscation de la créance du contrat d'assurance-vie ouvert auprès de la société Swiss Life, du local commercial détenu par la SCI Odig sise 12 rue Ernest Cresson 75014 Paris en la cantonnant à la somme de 331 000 euros, de l'appartement sis [...] à Chatenay-Malabry ainsi que celle des scellés et des biens meubles saisis, alors « qu'en énonçant d'une part, que la peine complémentaire de confiscation, fondée sur le produit de l'infraction, ordonnée en valeur, est justifiée en ce qu'elle a pour seule conséquence de priver la prévenue du produit de l'infraction évalué à 750 000 euros, et en ordonnant d'autre part, outre la confiscation en valeur du contrat d'assurance vie et des immeubles à hauteur de 750 000 euros, celle des scellés et des biens meubles saisis comprenant notamment 4 véhicules, un violoncelle et des bouteilles de vins, la cour d'appel s'est contredite, la valeur de l'ensemble des biens ainsi confisqués excédant nécessairement le produit constaté de l'infraction ; qu'elle a ainsi violé les articles 131-21 alinéa 3 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 131-21 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :
17. Il résulte du premier de ces textes que la peine complémentaire de confiscation porte notamment sur les biens qui sont l'objet ou le produit direct ou indirect de l'infraction, à l'exception des biens susceptibles de restitution à la victime et que la confiscation peut être ordonnée en valeur.
18. Il résulte du second que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
19. Pour confirmer partiellement le jugement et prononcer, pour un montant global de 750 000 euros, la confiscation en valeur de la créance inscrite sur un contrat d'assurance vie d'un montant de 73 000 euros, d'un appartement sis à Chatenay Malabry d'une valeur de 346 000 euros, tous deux propriété de la prévenue, et d'un local commercial détenu par la SCI Odig cantonnée à la somme de 331 000 euros, l'arrêt attaqué retient que le préjudice causé par les escroqueries s'établit de manière certaine à 750 000 euros, qu'il constitue le montant du produit de l'infraction et qu'il convient de respecter le principe de la limitation de la confiscation en valeur à ce montant.
20. Les juges confirment également la confiscation de biens meubles placés sous main de justice, à savoir quatre véhicules de marque Saab, Jaguar, Toyota et Smart, un violoncelle et des bouteilles de vins et ordonnent leur remise à l'AGRASC en vue de leur cession.
21. En prononçant ainsi par des énonciations dont il résulte que la valeur de l'ensemble des biens confisqués au titre de la confiscation en valeur du produit de l'infraction ne pouvait qu'excéder celle du produit de l'infraction, la cour d'appel, qui s'est contredite, a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés.
22. La cassation sera encourue de ce chef et limitée aux peines prononcées.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 21 mai 2019, mais en ses seules dispositions relatives aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le neuf septembre deux mille vingt.