LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CDS
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 décembre 2021
Cassation
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1400 F-D
Pourvoi n° R 19-26.034
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [Z].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 17 octobre 2019.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 DÉCEMBRE 2021
M. [S] [Z], domicilié chez Maître Larrea, avocat, [Adresse 2], a formé le pourvoi n° R 19-26.034 contre l'arrêt rendu le 14 juin 2018 par la cour d'appel de Pau (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Metal Improvement Company LLC, dont le siège est [Adresse 3]), ayant un établissement secondaire au [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Seguy, conseiller, les observations de la SCP Buk Lament-Robillot, avocat de M. [Z], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Metal Improvement Company LLC, après débats en l'audience publique du 19 octobre 2021 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Seguy, conseiller rapporteur, Mme Le Lay, conseiller et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 14 juin 2018), M. [Z] a été engagé par la société Metal Improvement Company LLC, en qualité d'opérateur machines, puis affecté au poste de chef d'équipe.
2. Il a été licencié pour faute grave le 6 juillet 2015.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de l'intégralité de ses demandes, alors « que les juges sont tenus de ne pas dénaturer les documents de la cause ; qu'en écartant l'argument par lequel le salarié faisait valoir qu'il avait signalé la non-conformité du 27 mai 2015, en retenant que le "rapport contrôle réception" portait "la date du 20 mai 2015, si bien qu'elle ne concerne pas les non-conformités du 27 mai, puis du 2 juin 2015, dont la dissimulation est reprochée par l'employeur dans la lettre de licenciement", quand ce rapport, produit par l'employeur indiquait en page 2 le 27 mai 2015 comme date d'opération tandis que le 20 mai 2015 correspondait à la date de commande, la cour d'appel a dénaturé ce document, violant ainsi le principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents qui lui sont soumis. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
4. Pour dire justifié le licenciement du salarié pour faute grave, l'arrêt retient que la pièce n° 10, invoquée par celui-ci pour justifier de ce qu'il avait signalé la non-conformité du 27 mai, porte la date du 20 mai 2015, si bien qu'elle ne concerne pas les non-conformités du 27 mai, puis 2 juin 2015, dont la dissimulation est reprochée par l'employeur dans la lettre de licenciement.
5. En statuant ainsi, alors que cette pièce portait comme date le 27 mai 2015, la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis de l'écrit qui lui était soumis, a violé le principe susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Agen ;
Condamne la société Metal Improvement Company LLC aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Metal Improvement Company LLC et la condamne à payer à la SCP Buk Lament-Robillot la somme de 3 000 euros.
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Buk Lament-Robillot, avocat aux Conseils, pour M. [Z]
M. [Z] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de l'intégralité de ses demandes ;
AUX MOTIFS QUE par la lettre de licenciement, l'employeur, au titre de la faute grave du salarié, lui reproche en substance la dissimulation, tant le 27 mai 2015, que le 2 juin 2015, de la non-conformité d'une pièce traitée par le salarié, à savoir un axe ou une tige de train d'atterrissage, et d'avoir remballé ces pièces pour expédition, au lieu d'en signaler leur non-conformité, alors même que cette non-conformité pouvait avoir des conséquences très graves pour le client (société Messier Bugatti Dowty, leader mondial dans la conception et fabrication des trains d'atterrissage d'avions), et subséquemment pour l'entreprise, en termes d'altération de son image, et d'exposition à de graves sanctions commerciales et financières ; que le salarié conteste la volonté de dissimulation qui lui est reprochée, faisant valoir qu'il ne l'aurait pas reconnue, contrairement à ce qu'affirme l'employeur dans la lettre de licenciement, puisqu'au contraire, la pièce n° 10 produite par l'employeur, s'agissant du rapport de contrôle du 20 mai 2015, démontrerait qu'il a signalé sur ce document la non-conformité par la mention « très léger débordement sur les deux premières pièces. Étiquette rouge » ; que s'agissant de fabrication de pièces non conformes, il fait valoir qu'il n'est pas le seul employé dans ce cas, et soutient que l'employeur a pris contre lui une sanction à titre d'exemple, et non pour la gravité des faits reprochés, ainsi qu'annoncé dans une note de service du 4 juin 2015, en ces termes (sa pièce n° 4) : « Nous en sommes à quatre non-conformités de grenaillage sur les ressorts à lames pour Cousso. / Et la dernière malgré un outillage refait. / Les pièces non conformes sont systématiquement rebutées (150e pièce) et nous passons pour des incompétents. / Donc le prochain qui génère, fait un débordement de grenaillage sur ses pièces prendra la porte » ; qu'au cas particulier, il doit être constaté que le grief invoqué par l'employeur dans la lettre de licenciement, ne consiste pas à reprocher au salarié la fabrication de pièces non conformes, mais à lui reprocher, suite à une fabrication de pièces non conformes, de ne pas les avoir signalées comme telles, et au contraire, de les avoir dissimulées, et ce à deux reprises, les 27 mai 2015, puis à nouveau, le 2 juin 2015, alors même qu'entre-temps, et le 29 mai 2015, l'employeur, suite au premier manquement, avait remis au salarié en main propre et pour ce motif convocation à un entretien préalable à une éventuelle sanction ; qu'il est établi aux pièces du dossier, ce qui ne fait l'objet d'aucune contestation, qu'au titre des procédures relatives à la qualité et à la conformité des produits fabriqués, (pièce n° 7, 8, et 9 de l'employeur), il pèse sur le salarié, une obligation d'information en cas de problème avec les pièces en cours de grenaillage, une pièce non conforme devant être identifiée, séparée du reste du lot, placée dans une zone de mise en attente clairement identifiée, pour faire l'objet d'un contrôle qualité ; que le salarié ne l'ignorait pas, puisqu'il se prévaut d'avoir effectué un tel signalement, sur une fiche de « rapport contrôle réception » s'agissant de la pièce n° 10 produite par l'employeur ; que cependant, cette pièce n° 10, porte la date du 20 mai 2015, si bien qu'elle ne concerne pas les non-conformités du 27 mai, puis 2 juin 2015, dont la dissimulation est reprochée par l'employeur dans la lettre de licenciement ; qu'or, le salarié ne conteste pas les non-conformités qui lui sont reprochées à ces deux dates ; que par les attestations qu'il produit dans les formes légales, l'employeur démontre sous ses pièces n° 11, 13, et 15, que le 27 mai 2015 et le 2 juin 2015, le salarié a non seulement généré des pièces non conformes, mais surtout, ne les a pas signalées, puisqu'au contraire, ces pièces avaient été « emballées », c'est-à-dire mises en condition d'être expédiées au client ; que c'est ainsi que M. [X] (pièce n° 11), indique que le 27 mai 2015, au changement de poste, il a repris la production d'axes Messier Bugatti Dowty, entamée par M. [Z] [S], les a déballés, et a constaté avec le chef d'équipe, qu'une quinzaine de pièces non conformes avaient été rangées au fond du carton, ce salarié précisant qu'il a pensé que son collègue « avait cherché à les cacher », qu'il lui en a donc parlé, lequel « l'a reconnu », que « ce n'est pas la première fois que M [Z] cherche à dissimuler des non-conformités, je trouve que c 'est grave car j'aurais pu être tenu responsable de ces non-conformités... » ; qu'aucun élément ne permet de discréditer la portée de cette attestation ; qu'en effet, le salarié, pour soutenir qu'elle serait fausse, conteste avoir reconnu cette dissimulation auprès de son collègue, et conteste le nombre de pièces non conformes invoquées par le témoin ; qu'or, ses seules allégations de contestation de ses propres propos, ne font pas la démonstration de la fausseté de l'attestation ; que de même, pour contester le nombre de pièces non conformes citées par le témoin, l'appelant se prévaut toujours de la pièce n° 10 produite par l'employeur, dont il a déjà été dit, qu'elle ne se rapporte pas, au vu de sa date (21 mai 2015), aux faits qui lui sont reprochés le 27 mai 2015 ; que de même, M. [M] (pièce n° 13), après avoir rappelé que les opérations de contrôle s'effectuent sur la première pièce du lot, indique que le 2 juin 2015, M. [Z] l'a appelé pour faire ce contrôle, mais qu'il s'est rendu compte que ce n'était pas la première pièce du lot mais la seconde qui lui était présentée, ce qui lui a paru étrange, si bien qu'il a demandé à contrôler la première pièce, qui était déjà remballée, et qui s'est avérée être non conforme et non signalée, ce salarié indiquant qu'il était « méfiant car ce n'est pas la première fois que M [Z] essaye de cacher les non-conformités qu'il produit » ; que le salarié conteste également la véracité de cette attestation, au motif que la pièce adverse n° 12, s'agissant du rapport de contrôle, démontrerait que 23 pièces conformes ont été autorisées à l'expédition ; qu'il omet d'indiquer la mention portée sur ce document, par le contrôleur, selon laquelle « l'opérateur n° 6 ne m'a pas fait contrôler la première pièce mais la deuxième, débordement sur première pièce », mention qui corrobore les déclarations du témoin ; qu'il s'en déduit que les contestations émises par l'appelant, ne sont pas de nature à altérer la valeur probante de l'attestation produite ; que M. [V] (pièce n° 15), indique quant à lui qu'à l'occasion de l'entretien préalable, le salarié a reconnu avoir généré des non-conformités sur les pièces, et les avoir remballées sans les signaler ; qu'il est en outre établi par l'employeur, que, (s'agissant des seuls avertissements relatifs au même comportement de non-déclaration de pièces non conformes, et à l'exclusion de l'avertissement pour non-respect des procédures de traitement des pièces) : - le 26 mars 2010, pour des faits du 18 décembre 2009, commis sur des axes, le salarié a fait l'objet d'un avertissement, pour manquement à ses obligations professionnelles, dont l'un d'entre eux consistait à s'être abstenu de solliciter contrôle de la première pièce, - le 9 avril 2013, pour des faits du 12 au 13 février 2013, le salarié a fait l'objet d'un nouvel avertissement, pour avoir endommagé une pièce aéronautique et tenté de masquer le défaut par une opération de ponçage manuel strictement interdite, au lieu d'en informer immédiatement le service qualité ; qu'il n'est ni contesté, ni sérieusement contestable, que le fait d'adresser à un client, une pièce destinée à équiper un train d'atterrissage sur avion, comportant un défaut de conformité, engendre un risque technique majeur, et subséquemment, celui de la mise en cause de la compétence de l'employeur, pouvant se traduire en termes de perte de marché ; qu'il est ainsi établi que les deux manquements reprochés au salarié par l'employeur dans la lettre de licenciement, sont constitués, et sont caractéristiques d'une faute grave, et ce d'autant que le salarié, informé par l'employeur de cette gravité dès le 29 mai 2015, a réitéré son comportement fautif quelques jours plus tard, alors même qu'il avait déjà fait l'objet de précédents avertissements pour des faits de même nature ; que c'est donc en vain, et de manière contraire aux éléments du dossier, que le salarié se prévaut de l'absence de motif réel et sérieux à son licenciement, de même que de l'absence de gravité des faits qui lui sont reprochés, pour prétendre qu'il aurait fait l'objet d'un licenciement « à titre d'exemple », dénué de cause réelle et sérieuse ; que le licenciement pour faute grave est justifié ; que le premier juge sera infirmé en ce qu'il a jugé contre ;
1°) ALORS QUE les juges sont tenus de ne pas dénaturer les documents de la cause ; qu'en écartant l'argument par lequel le salarié faisait valoir qu'il avait signalé la non-conformité du 27 mai 2015, en retenant que le « rapport contrôle réception » portait « la date du 20 mai 2015, si bien qu'elle ne concerne pas les non-conformités du 27 mai, puis du 2 juin 2015, dont la dissimulation est reprochée par l'employeur dans la lettre de licenciement » (arrêt, p. 5, al. 7), quand ce rapport, produit par l'employeur indiquait en page 2 le 27 mai 2015 comme date d'opération tandis que le 20 mai 2015 correspondait à la date de commande, la cour d'appel a dénaturé ce document, violant ainsi le principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents qui lui sont soumis ;
2°) ALORS QUE le juge ne peut trancher un litige sans examiner, même sommairement, les éléments de preuve qui lui sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en considérant, sur la foi d'une attestation produite par l'employeur, qu'il était établi que M. [Z] avait reconnu avoir dissimulé des non-conformités lors de l'entretien préalable, sans examiner l'attestation produite par M. [Z], rédigée par la personne qui l'a assistée à l'entretien préalable, et qui affirmait le contraire, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE les jugements doivent être motivés ; qu'en considérant comme établie la dissimulation de la non-conformité du 2 juin 2015, sur le fondement de l'attestation de M. [U] et de la mention portée par ce dernier en marge du rapport de contrôle produit par l'employeur en pièce 12, selon lesquels M. [Z] n'aurait pas fait porter le contrôle sur la première pièce du lot, laquelle comportait une non-conformité, sans répondre à l'argumentation du salarié selon laquelle, précisément , ce rapport de contrôle indiquait que toutes les pièces produites de ce lot avaient été contrôlées et expédiés, de sorte qu'il n'avait en réalité exister aucune non-conformité sur ce lot et donc aucune dissimulation, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QU'aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l'engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée à l'appui d'une nouvelle sanction ; qu'en retenant, pour décider que le licenciement pour faute grave de M. [Z] engagé le 29 mai 2015 était justifié, que le salarié avait déjà reçu un avertissement le 26 mars 2010 pour s'être, le 18 décembre 2009, abstenu de solliciter le contrôle d'une pièce (arrêt, p. 6, al. 7), quand ces faits remontaient à plus de trois ans de la procédure de licenciement, la cour d'appel a violé l'article L. 1332-5 du code du travail.