LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 1er décembre 2021
Cassation partielle sans renvoi
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 789 FS-B
Pourvoi n° Z 20-12.315
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 1ER DÉCEMBRE 2021
M. [O] [K], domicilié [Adresse 22], a formé le pourvoi n° Z 20-12.315 contre l'arrêt rendu le 5 décembre 2019 par la cour d'appel de Limoges (chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [N] [A], épouse [U],
2°/ à Mme [I] [A], épouse [F],
domiciliées toutes deux [Adresse 22],
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Buat-Ménard, conseiller référendaire, les observations de la SAS Cabinet Colin - Stoclet, avocat de M. [K], de Me Balat, avocat de Mme [U], et l'avis de M. Poirret, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 3 novembre 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Buat-Ménard, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, M. Hascher, Mme Antoine, M. Vigneau, Mmes Poinseaux, Guihal, M. Fulchiron, Mme Dard, conseillers, Mmes Gargoullaud, Azar, Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, M. Poirret, premier avocat général, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Limoges, 5 décembre 2019), par un acte du 8 novembre 1986 il a été procédé au partage de la succession d'[L] [Y], décédée le 10 février 1986, entre ses trois enfants, Mme [U], Mme [F] et [D] [K]. Celle-ci a reçu des biens immobiliers, dont une partie en règlement d'une créance de salaire différé. Elle est décédée le 27 septembre 2011, en laissant pour lui succéder son époux, M. [K].
2. Lors du partage de cette succession, un litige est né entre le conjoint survivant et les soeurs de la défunte quant à l'assiette du droit de retour légal.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. M. [K] fait grief à l'arrêt de dire que l'ensemble des biens attribués à [D] [K] par l'acte de partage du 8 novembre 1986, présents en nature au jour de l'ouverture de sa succession, constitue l'assiette pour l'exercice du droit de retour sur le fondement de l'article 757-3 du code civil, alors « que le droit de retour légal des collatéraux privilégiés ne s'exerce que sur les biens que le défunt a reçus de ses ascendants par succession ou donation ; qu'en retenant que le droit de retour avait pour assiette l'intégralité des biens qui avaient été attribués à [D] [K] par l'acte de partage du 8 novembre 1986, cependant que ceux reçus en contrepartie d'une créance de salaire différée ne pouvaient faire l'objet de cette mesure, la cour d'appel a violé l'article 757-3 du code civil. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
4. Mme [U] conteste la recevabilité du moyen au motif que M. [K] n'a pas conclu devant la cour d'appel.
5. Cependant, aux termes de l'article 954, dernier alinéa, du code de procédure civile relatif à la procédure devant la cour d'appel, la partie qui ne conclut pas est réputée s'approprier les motifs du jugement.
6. Le jugement du 8 juin 2018 a retenu qu'il convenait d'exclure de l'assiette du droit de retour légal des collatéraux privilégiés les biens immobiliers reçus par [D] [K] au titre du paiement de sa créance de salaire différé.
7. M. [K], n'ayant pas conclu devant la cour d'appel, est réputé s'approprier les motifs de ce jugement.
8. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 757-3 du code civil et l'article L. 321-17, alinéa 1, du code rural et de la pêche maritime :
9. Aux termes du premier de ces textes, par dérogation à l'article 757-2, en cas de prédécès des père et mère, les biens que le défunt avait reçus de ses ascendants par succession ou donation et qui se retrouvent en nature dans la succession sont, en l'absence de descendants, dévolus pour moitié aux frères et soeurs du défunt ou à leurs descendants, eux-mêmes descendants du ou des parents prédécédés à l'origine de la transmission.
10. Aux termes du second, le bénéficiaire d'un contrat de salaire différé exerce son droit de créance après le décès de l'exploitant et au cours du règlement de la succession ; cependant l'exploitant peut, de son vivant, remplir le bénéficiaire de ses droits de créance, notamment lors de la donation-partage à laquelle il procéderait.
11. Il en résulte que les biens reçus de son ascendant par le défunt en règlement d'une créance de salaire différé échappent au droit de retour légal des collatéraux privilégiés.
12. Pour dire que l'ensemble des biens attribués à [D] [K] par l'acte de partage du 8 novembre 1986, présents en nature au jour de l'ouverture de sa succession, constitue l'assiette du droit de retour légal de Mmes [U] et [F], l'arrêt relève que cet acte a attribué à [D] [K] des parcelles à concurrence des trois-cinquièmes au titre de sa créance de salaire différé et des deux-cinquièmes au titre de ses droits dans l'actif net de succession de sa mère et retient que, si le droit de retour légal ne peut porter, en valeur, que sur la moitié des biens que [D] [K] a recueillis dans l'actif net de succession et non au titre de la créance de salaire différé, il doit pouvoir s'exercer sur l'intégralité des biens qui ont été attribués à celle-ci, sans que le juge ne puisse, en l'état et en l'absence d'accord entre les parties, se prononcer sur l'attribution de lots indivis entre le conjoint survivant et les collatéraux privilégiés.
13. En statuant ainsi, alors que le droit de retour légal ne pouvait porter sur les biens attribués à [D] [K] en règlement de sa créance de salaire différé, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
14. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
15. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que l'ensemble des biens attribués à [D] [A] épouse [K] par l'acte de partage du 8 novembre 1986, présents en nature au jour de l'ouverture de sa succession, constitue l'assiette pour l'exercice du droit de retour sur le fondement de l'article 757-3 du code civil, l'arrêt rendu le 5 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Dit que l'assiette du droit de retour légal de Mmes [U] et [F] est constituée des deux-cinquièmes des biens qui ont été attribués à [D] [K] par l'acte de partage du 8 novembre 1986 et qui se retrouvent en nature dans la succession ;
Condamne Mmes [U] et [F] aux dépens ;
Dit n'y avoir lieu de modifier la charge des dépens exposés devant les juges du fond ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier décembre deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SAS Cabinet Colin - Stoclet, avocat aux Conseils, pour M. [K]
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir dit que l'ensemble des biens attribués à [D] [K] par l'acte de partage du 8 novembre 1986, présents en nature au jour de l'ouverture de sa succession, constitue l'assiette pour l'exercice du droit au retour sur le fondement de l'article 757-3 du code civil ;
AUX MOTIFS QUE par l'acte de partage du 8 novembre 1986, il a été attribué à [D] [A] épouse [K] les parcelles cadastrées à [Localité 24] section CX n° [Cadastre 5], à [Localité 26] section CY n° [Cadastre 18], à [Localité 23] section CY n° [Cadastre 1], [Cadastre 2], [Cadastre 3], à [Localité 25] section CY n° [Cadastre 4], à [Localité 21] section DO n° [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 11], [Cadastre 12], [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15], [Cadastre 16], [Cadastre 19], [Cadastre 20] et [Cadastre 6] et section DS n° [Cadastre 17], pour une valeur de 500.000 francs, dont à concurrence de 300.000 francs au titre de sa créance de salaire différé et de 200.000 francs au titre de ses droits dans l'actif net de succession de sa mère, [L] [Y] décédée le 10 février 1986, retenu pour 600.000 francs ; que l'intégralité des biens attribués à [D] [A] épouse [K] s'est retrouvée en nature dans sa succession au jour de son ouverture ; que si le droit de retour prévu à l'article 757-3 du code civil ne peut porter, en valeur, que sur la moitié des biens qu'elle a recueillis dans l'actif net de succession et non au titre de la créance de salaire différé, l'exercice du droit de retour doit pouvoir s'exercer sur l'intégralité des biens qui lui ont été attribués, sans que le juge ne puisse, en l'état et en l'absence d'accord entre les parties, se prononcer sur l'attribution de lots qui en indivision au conjoint survivant plutôt qu'aux collatéraux privilégiés ; que le jugement sera donc réformé de ce chef.
ALORS QUE le droit de retour légal des collatéraux privilégiés ne s'exerce que sur les biens que le défunt a reçus de ses ascendants par succession ou donation ; qu'en retenant que le droit de retour avait pour assiette l'intégralité des biens qui avaient été attribués à [D] [K] par l'acte de partage du 8 novembre 1986, cependant que ceux reçus en contrepartie d'une créance de salaire différée ne pouvaient faire l'objet de cette mesure, la cour d'appel a violé l'article 757-3 du code civil.