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24/11/2021 | FRANCE | N°20-10007

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 24 novembre 2021, 20-10007


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

LG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 24 novembre 2021

Cassation partielle

Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 1301 F-D

Pourvoi n° R 20-10.007

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 24 NOVEMBRE 2021

La société Solocal, soci

été anonyme, dont le siège est [Adresse 2], anciennement dénommée Pages jaunes, a formé le pourvoi n° R 20-10.007 contre l'arrêt rendu le 8 novem...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

LG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 24 novembre 2021

Cassation partielle

Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 1301 F-D

Pourvoi n° R 20-10.007

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 24 NOVEMBRE 2021

La société Solocal, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], anciennement dénommée Pages jaunes, a formé le pourvoi n° R 20-10.007 contre l'arrêt rendu le 8 novembre 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-3), dans le litige l'opposant à M. [G] [O], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Prache, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Solocal, de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de M. [O], après débats en l'audience publique du 5 octobre 2021 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Prache, conseiller référendaire rapporteur, M. Pietton, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 8 novembre 2019), M. [O], salarié de la société Pages jaunes, devenue Solocal (la société), a été licencié pour motif économique le 30 avril 2014 dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi contenu dans un accord collectif majoritaire signé le 20 novembre 2013 et validé par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France le 2 janvier 2014. Par arrêt du 22 octobre 2014, statuant sur le recours d'un autre salarié, la cour administrative d'appel de Versailles a annulé cette décision de validation, aux motifs que l'accord n'était pas conforme aux dispositions de l'article L. 1233-24-1 du code du travail comme ayant été signé pour le syndicat Force ouvrière par un délégué dont le mandat était expiré, et qu'il n'était pas établi que cet accord ait été signé par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50% des suffrages exprimés. Le Conseil d'Etat, par arrêt du 22 juillet 2015, a rejeté les pourvois du ministre et de la société. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 23 novembre 2015 pour voir juger sans cause réelle et sérieuse son licenciement pour motif économique.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en ses première à quatrième branches

Enoncé du moyen

2. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à verser au salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :

« 1°/ que la réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise constitue un motif économique de licenciement, sauf si la menace pesant sur la compétitivité de l'entreprise résulte d'une faute ou d'une légèreté blâmable de l'employeur ; que dès lors que le droit des sociétés donne aux actionnaires d'une société le droit de percevoir des dividendes sur le bénéfice distribuable et autorise une société à consentir des prêts à une autre société du groupe auquel elle appartient, seul un abus dans la distribution de dividendes ou l'octroi d'un prêt à une autre société du groupe peut caractériser une faute ; que, par ailleurs, aucune disposition légale n'interdit les opérations de rachat de société réalisées via le mécanisme de « leverage buy-out », consistant à acquérir une société cible par l'intermédiaire d'une holding qui, pour financer tout ou partie du rachat, contracte un emprunt dont elle assurera le remboursement grâce aux dividendes versés par la société cible sur les bénéfices réalisés par cette dernière ; que pour retenir qu'elle a commis une faute privant le licenciement de cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a essentiellement relevé qu'elle a été rachetée en 2006 dans le cadre d'une opération de LBO et qu'elle a « accepté de prendre des décisions permettant de nourrir les besoins de sa holding » pour payer les intérêts bancaires et rembourser la dette contractée par la holding, en mettant ses liquidités à la disposition de son actionnaire en 2006, en lui accordant deux emprunts d'un montant de 580 millions d'euros et en lui versant chaque année jusqu'en 2011 des dividendes à hauteur d'environ 300 millions d'euros ; qu'en se fondant sur ces seules considérations, sans jamais faire ressortir que les transferts financiers, sous forme de dividendes ou de prêts, vers la holding présentaient un caractère abusif pour intervenir dans des proportions manifestement anormales au regard de sa situation économique et financière, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail ;

2°/ que la réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise constitue un motif économique de licenciement, sauf si la menace pesant sur la compétitivité de l'entreprise résulte d'une faute ou d'une légèreté blâmable de l'employeur ; que le juge ne peut, ni pour apprécier la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise, ni pour apprécier l'existence d'une faute ou légèreté blâmable de l'employeur, se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion de l'employeur ; qu'en relevant, pour dire qu'elle a commis une faute privant le licenciement de cause réelle et sérieuse, que les différents apports financiers à la société holding ont « asséché la source de financement des investissements stratégiques indispensables nécessités par l'essor d'un marché on line surtout depuis 2008 », que selon l'expert-comptable du comité central d'entreprise, la société n'a pu financer « les évolutions nécessaires à la mise en place de barrières à l'entrée dans un marché évoluant très rapidement et faire les indispensables investissements en recherche et développement depuis 2008 » et que cet expert-comptable avait également souligné « la tardiveté et l'insuffisance » de la réorganisation lancée en 2011, la cour d'appel a outrepassé ses pouvoirs en prétendant pouvoir apprécier, à la place de l'employeur, les mesures de gestion à prendre face aux évolutions du marché ; qu'elle a en conséquence violé la liberté d'entreprendre protégée par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen et l'article L. 1233-3 du code du travail ;

3°/ en toute hypothèse, que la faute de l'employeur privant le licenciement pour motif économique de cause réelle et sérieuse résulte, au-delà de la simple erreur de gestion, de la violation d'une prescription légale ou d'une décision prise de manière inconsidérée en dépit des conséquences graves qu'elle peut entraîner ; qu'en relevant, pour lui reprocher d'avoir commis une faute qui « ne se confond pas avec une simple erreur de gestion », que ses différents apports financiers à la société holding ont « asséché la source de financement des nécessaires et incontournables investissements stratégiques » alors que l'essor du marché « online » nécessitait de proposer des prestations spécialisées et adaptées, sans même préciser le montant des investissements réalisés, ni expliquer en quoi les investissements opérés étaient manifestement insuffisants face aux évolutions du marché, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail ;

4°/ que la faute de l'employeur privant le licenciement pour motif économique de cause réelle et sérieuse résulte, au-delà de la simple erreur de gestion, de la violation d'une prescription légale ou d'une décision prise de manière inconsidérée en dépit des conséquences graves qu'elle peut entraîner ; qu'en relevant encore, pour considérer qu'elle a commis une faute que, selon l'expert-comptable du comité central d'entreprise, elle était dans l'incapacité de financer « les évolutions nécessaires à la mise en place de barrières à l'entrée dans un marché évoluant », sans s'expliquer sur la nature de ces « barrières à l'entrée » dont l'absence de mise en oeuvre aurait présenté un caractère incontournable compte tenu des évolutions du marché, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1233-3 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

3. Si la faute de l'employeur à l'origine de la menace pesant sur la compétitivité de l'entreprise rendant nécessaire sa réorganisation est de nature à priver de cause réelle et sérieuse les licenciements consécutifs à cette réorganisation, l'erreur éventuellement commise dans l'appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion ne caractérise pas à elle seule une telle faute.

4. Pour la condamner à verser au salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que la société se garde bien de répondre au moyen soulevé par le salarié quant à la faute qu'elle aurait commise caractérisée par des décisions récurrentes de mises à disposition de liquidités au profit du seul groupe. Il ajoute que la société Pages jaunes est une filiale à 100 % au sens de l'article L. 233-1 du code de commerce de Pages jaunes groupe, aujourd'hui dénommée Solocal, que dans le cadre d'une opération de rachat d'entreprise par endettement dite « LBO » pour « leverage buy-out », l'utilisation des ressources financières du groupe, constituées essentiellement par les ressources financières de la société Pages jaunes, n'a été possible que parce que cette dernière a accepté de prendre des décisions permettant de nourrir les besoins de sa holding, laquelle a ainsi asséché la source de financement des nécessaires et incontournables investissements stratégiques, alors même que l'essor d'un marché « online » et la multiplication d'entreprises au modèle innovant ou spécialisées ayant une activité concurrentielle nécessitaient de proposer des prestations spécialisées et adaptées. Il souligne que si une ébauche de transformation et d'adaptation a été lancée en 2011 avec le projet « Jump », pour répondre au besoin de spécialisation du marché, force est de relever la tardiveté et l'insuffisance de cette restructuration. Il considère que la société Pages jaunes ne met pas la cour en mesure de considérer que l'inadaptation de son organisation à la nouvelle configuration du marché de la publicité et la dégradation de la situation économique qui s'en est suivie ne résulte pas de l'incapacité dans laquelle elle se trouvait depuis 2006 et l'opération dite « LBO », du fait de la mise à disposition de ses liquidités en 2006 et des versements continus de dividendes opérés jusqu'en 2011, de financer les évolutions nécessaires à la mise en place de barrières à l'entrée dans un marché évoluant très rapidement et de faire les indispensables investissements en recherche et développement depuis 2008. Il en conclut que, dès lors, le péril encouru en 2014 par la compétitivité de l'entreprise au moment de la mise en oeuvre de la procédure de licenciement n'est pas dissociable de la faute de la société Pages jaunes, caractérisée par des décisions de mise à disposition de liquidités empêchant ou limitant les investissements nécessaires, ces décisions pouvant être qualifiées de préjudiciables comme prises dans le seul intérêt de l'actionnaire, et ne se confondant pas avec une simple erreur de gestion.

5. En statuant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser la faute de l'employeur à l'origine de la menace pesant sur la compétitivité de l'entreprise, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevables les demandes de M. [O] fondées sur les articles L. 1235-10, L. 1235-11 et L. 1235-16 du code du travail comme étant prescrites en application de l'article L. 1235-7 du même code, l'arrêt rendu le 8 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne M. [O] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre novembre deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Solocal

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le licenciement économique de M. [O] est dépourvu de cause réelle et sérieuse et d'avoir condamné la société Solocal à payer à M. [O] la somme de 80.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

AUX MOTIFS QUE « En application de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable à l'espèce, constitue un licenciement économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification refusée par le salarié d'un élément essentiel de son contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques. De principe, le licenciement économique justifié par la sauvegarde de la compétitivité repose sur une cause réelle et sérieuse à moins que la nécessité de cette sauvegarde ait pour origine la fraude, la légèreté blâmable, ou la faute de l'employeur dès lors que celle-ci, qui ne se confond pas avec la simple erreur de gestion, est caractérisée par des décisions pouvant être qualifiées de préjudiciables à lui-même. Dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, la société PAGES JAUNES évoque la nécessité de reconsidérer son organisation afin de sauvegarder sa compétitivité et garantir sa pérennité ainsi que celle du groupe SOLOCAL. Elle indique que, face aux mutations du marché et à de nouveaux besoins clients et utilisateurs, la société PAGES JAUNES a vu sa compétitivité menacée. En effet, faisant le constat d'une position en recul structurel sur le marché de la publicité, de résultats commerciaux en baisse, situation également constatée au niveau du groupe, elle se devait pour reconquérir des parts de marché et renouer avec une situation de croissance, opérer une transformation de son organisation afin d'être en mesure de répondre aux nouveaux enjeux du marché publicitaire. Car son modèle, caractérisé par une organisation généraliste centralisée et éloignée des besoins des clients, était déconnecté des besoins du marché et menaçait la pérennité de l'entreprise, ce qui l'a conduit à bâtir un projet d'évolution du modèle et de l'organisation de l'entreprise capable de réactivité et d'innovation afin de faire face à la concurrence croissante d'acteurs spécialisés et de renforcer la relation client. Elle produit de nombreuses pièces à l'appui de son analyse qui confirment effectivement l'inadaptation de son modèle économique à l'évolution du marché et la nécessité de le faire évoluer. Mais à aucun moment, la lettre de licenciement ne prévoit la nécessité de sauvegarder la compétitivité du secteur d'activité du groupe dont elle relève, contrairement à ce qu'écrit dans ses conclusions la société PAGES JAUNES. De plus, la société PAGES JAUNES se garde bien de répondre au moyen soulevé par le salarié quant à la faute qu'elle aurait commise caractérisée par des décisions récurrentes de mises à disposition de liquidités au profit du seul groupe. Or, la société PAGES JAUNES est une filiale à 100 % au sens de l'article L. 233-1 du code de commerce de PAGES JAUNES GROUPE, aujourd'hui dénommé SOLOCAL. Et il résulte du rapport de l'expert comptable du comité d'entreprise, fort précis et détaillé qu'en dépit d'une baisse structurelle de ses résultats, le problème de PAGES JAUNES n'est pas sa rentabilité en soi qui reste attractive avec des niveaux de rentabilité largement supérieurs à ceux observés dans d'autres secteurs économiques mais que les ressources de PAGES JAUNES ont été détournées à des fins spéculatives, ainsi : Le 11 octobre 2006, 54 % du capital et des droits de vote de PAGES JAUNES GROUPE détenues par la société FRANCE TÉLÉCOM devenue ORANGE, a été vendu pour 3.312.000.000 € à une société MEDIANNUAIRE HOLDING propriété à 80 % des sociétés KKR EUROP II LTD et KKR MILLENIUM LTD et à 20 % à la division Principal Investment Area du groupe GOLDMANN SACHS, dans le cadre d'une opération de rachat d'entreprise par endettement dite 'LBO' (leverage buy-out), la holding ayant contracté un emprunt bancaire pour financer 84 % de l'acquisition en cause. Dans le cadre de cette opération, les dividendes versés par la société PAGES JAUNES étaient destinés à assurer le remboursement de l'emprunt. Très peu de temps après cette cession, le 24 novembre 2006, la société PAGES JAUNES GROUPE a procédé à une distribution exceptionnelle de 2,5 milliards d'euros, prélevés sur des postes de réserves figurant au bilan de la société PAGES JAUNES, celle-ci ayant par la suite continué à financer des versements de dividendes jusqu'en 2011. L'expert comptable précise que les dividendes reçus par SOLOCAL étaient constitués en moyenne et à plus de 98 % par les dividendes de la société PAGES JAUNES, soit environ 300 millions d'euros sur huit ans. De plus, le groupe PAGES JAUNES a également emprunté à sa filiale la société PAGES JAUNES en 2006 un montant total de 580 millions d'euros. L'expert comptable indique encore que la situation de la société PAGES JAUNES est indissociable de celle du groupe dont elle est filiale à 100 % , dans la mesure où 99% de la marge brute du groupe qui sert à payer les intérêts de la dette et à rembourser les échéances de la société PAGES JAUNES provient de la société PAGES JAUNES, situation non démentie par cette dernière qui mentionne dans ses écritures 'l'importance écrasante de la société PAGES JAUNES à l'échelle du groupe.' Par ailleurs, sans être contredit, l'expert comptable écrit dans son rapport que PAGES JAUNES SA a engrangé entre 2008 et 2012 environ 2 milliards d'euros de résultat d'exploitation cumulés qui ont été confisqués pour être détournés de l'entreprise afin de payer des intérêts bancaires et rembourser une dette héritée du montage en 'LBO' organisée par les actionnaires du groupe. Compte tenu de l'imbrication de la société PAGES JAUNES avec le groupe PAGES JAUNES, cette utilisation des ressources financières du groupe constituées essentiellement par les ressources financières de la société PAGES JAUNES, n'a été rendue possible que parce que cette dernière a accepté de prendre des décisions permettant de nourrir les besoins de sa holding, à son détriment, cette holding asséchant la source de financement des investissements stratégiques indispensables nécessités par l'essor d'un marché on line surtout depuis 2008 qui impose de proposer des prestations spécialisées et adaptées outre la multiplication d'entreprises au modèle innovant ou spécialisées ayant une activité concurrentielle. Et l'expert comptable, sans être contredit, s'il relève qu'une ébauche de transformation et d'adaptation a été lancée en 2011 avec le projet 'JUM' pour répondre au besoin de spécialisation du marché, souligne la tardiveté et l'insuffisance de cette restructuration. Il en résulte dès lors que, du fait de la mise à disposition de ses liquidités depuis 2006 et des versements continus de dividendes jusqu'en 2011, la société PAGES JAUNES n'a pu financer, comme le souligne l'expert comptable, les évolutions nécessaires à la mise en place de barrières à l'entrée dans un marché évoluant très rapidement et faire les indispensables investissements en recherche et développement depuis 2008. Dès lors, la sauvegarde de la compétitivité invoquée par la société PAGES JAUNES en 2014 , ayant conduit au licenciement de M. [O], sauvegarde nécessaire du fait du caractère obsolète du modèle opérationnel et du changement de paradigme de la publicité en ligne, modifiant la structure du marché et imposant ses règles, nécessité également relevée par l'expert comptable, découle directement de la faute de la société PAGES JAUNES, qui, par des décisions récurrentes de mises à disposition de ses liquidités et ressources financières, ont empêché ou limité les nécessaires investissements alors que ces décisions étaient préjudiciables à l'employeur pour être prises dans le seul intérêt de l'actionnaire et ne pas se confondre avec une simple erreur de gestion. Il s'ensuit que le licenciement de M. [O] est sans cause réelle et sérieuse, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens développés par le salarié » ;

1. ALORS QUE la réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise constitue un motif économique de licenciement, sauf si la menace pesant sur la compétitivité de l'entreprise résulte d'une faute ou d'une légèreté blâmable de l'employeur ; que dès lors que le droit des sociétés donne aux actionnaires d'une société le droit de percevoir des dividendes sur le bénéfice distribuable et autorise une société à consentir des prêts à une autre société du groupe auquel elle appartient, seul un abus dans la distribution de dividendes ou l'octroi d'un prêt à une autre société du groupe peut caractériser une faute ; que, par ailleurs, aucune disposition légale n'interdit les opérations de rachat de société réalisées via le mécanisme de « leverage buy-out », consistant à acquérir une société cible par l'intermédiaire d'une holding qui, pour financer tout ou partie du rachat, contracte un emprunt dont elle assurera le remboursement grâce aux dividendes versés par la société cible sur les bénéfices réalisés par cette dernière ; que pour retenir que la société Pagesjaunes a commis une faute privant le licenciement de cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a essentiellement relevé qu'elle a été rachetée en 2006 dans le cadre d'une opération de LBO et qu'elle a « accepté de prendre des décisions permettant de nourrir les besoins de sa holding » pour payer les intérêts bancaires et rembourser la dette contractée par la holding, en mettant ses liquidités à la disposition de son actionnaire en 2006, en lui accordant deux emprunts d'un montant de 580 millions d'euros et en lui versant chaque année jusqu'en 2011 des dividendes à hauteur d'environ 300 millions d'euros ; qu'en se fondant sur ces seules considérations, sans jamais faire ressortir que les transferts financiers, sous forme de dividendes ou de prêts, de la société Pagesjaunes vers la holding présentaient un caractère abusif pour intervenir dans des proportions manifestement anormales au regard de la situation économique et financière de la société Pagesjaunes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail ;

2. ALORS QUE la réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise constitue un motif économique de licenciement, sauf si la menace pesant sur la compétitivité de l'entreprise résulte d'une faute ou d'une légèreté blâmable de l'employeur ; que le juge ne peut, ni pour apprécier la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise, ni pour apprécier l'existence d'une faute ou légèreté blâmable de l'employeur, se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion de l'employeur ; qu'en relevant, pour dire que la société Pagesjaunes a commis une faute privant le licenciement de cause réelle et sérieuse, que les différents apports financiers à la société holding ont « asséché la source de financement des investissements stratégiques indispensables nécessités par l'essor d'un marché on line surtout depuis 2008 », que selon l'expert-comptable du comité central d'entreprise, la société n'a pu financer « les évolutions nécessaires à la mise en place de barrières à l'entrée dans un marché évoluant très rapidement et faire les indispensables investissements en recherche et développement depuis 2008 » et que cet expert-comptable avait également souligné « la tardiveté et l'insuffisance » de la réorganisation lancée en 2011, la cour d'appel a outrepassé ses pouvoirs en prétendant pouvoir apprécier, à la place de l'employeur, les mesures de gestion à prendre face aux évolutions du marché ; qu'elle a en conséquence violé la liberté d'entreprendre protégée par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen et l'article L. 1233-3 du code du travail ;

3. ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE la faute de l'employeur privant le licenciement pour motif économique de cause réelle et sérieuse résulte, au-delà de la simple erreur de gestion, de la violation d'une prescription légale ou d'une décision prise de manière inconsidérée en dépit des conséquences graves qu'elle peut entraîner ; qu'en relevant, pour reprocher à la société Pagesjaunes d'avoir commis une faute qui « ne se confond pas avec une simple erreur de gestion », que les différents apports financiers de la société Pagesjaunes à la société holding ont « asséché la source de financement des nécessaires et incontournables investissements stratégiques » alors que l'essor du marché « online » nécessitait de proposer des prestations spécialisées et adaptées, sans même préciser le montant des investissements réalisés par la société Pagesjaunes, ni expliquer en quoi les investissements opérés par la société Pagesjaunes étaient manifestement insuffisants face aux évolutions du marché, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail ;

4. ALORS QUE la faute de l'employeur privant le licenciement pour motif économique de cause réelle et sérieuse résulte, au-delà de la simple erreur de gestion, de la violation d'une prescription légale ou d'une décision prise de manière inconsidérée en dépit des conséquences graves qu'elle peut entraîner ; qu'en relevant encore, pour considérer que la société Pagesjaunes a commis une faute que, selon l'expert-comptable du comité central d'entreprise, la société Pagesjaunes était dans l'incapacité de financer « les évolutions nécessaires à la mise en place de barrières à l'entrée dans un marché évoluant », sans s'expliquer sur la nature de ces « barrières à l'entrée » dont l'absence de mise en oeuvre aurait présenté un caractère incontournable compte tenu des évolutions du marché, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail ;

5. ALORS QUE pour retenir qu'un licenciement motivé par une réorganisation de l'entreprise n'a pas de cause économique réelle et sérieuse, sans remettre en cause la nécessité de cette réorganisation pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise, le juge doit caractériser le lien de causalité entre les fautes ou comportements blâmables imputés à l'employeur et les menaces qui pèsent sur la compétitivité de l'entreprise et imposent sa nécessaire réorganisation ; qu'en l'espèce, pour motiver les licenciements, la société Pagesjaunes expliquait que son organisation héritée des besoins de l'annuaire papier et marquée par une seule approche commerciale pour tous les secteurs d'activité était devenue inadaptée à la nouvelle configuration du marché de la publicité sur internet, du fait principalement d'un manque de spécialisation des équipes commerciales et marketing qui ne permettait pas de répondre aux attentes et besoins nouveaux des annonceurs ; que, dans son rapport, l'expert-comptable du comité central d'entreprise ne remettait pas en cause l'inadaptation de l'organisation de l'entreprise et la nécessité de la modifier, reconnaissant ainsi que « la transformation du groupe pour une meilleure adéquation au marché est une condition qui s'impose » et que « l'organisation est assurément un point crucial du changement » (p. 122) ; que la cour d'appel a elle-même constaté que les pièces produites aux débats « confirment effectivement l'inadaptation de son modèle économique à l'évolution du marché et la nécessité de le faire évoluer » ; qu'en se bornant cependant à affirmer, pour dire que le licenciement ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse, que « la sauvegarde de la compétitivité invoquée par la société Pagesjaunes en 2014 (?) découle directement de la faute de la société Pagesjaunes, qui, par des décisions récurrentes de mise à disposition de ses liquidités et ressources financières, ont empêché les nécessaires investissements », la cour d'appel n'a pas caractérisé le lien de causalité entre l'inadaptation de l'organisation de l'entreprise aux évolutions du marché et les versements opérés au profit de la société holding, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail ;

6. ALORS QUE les décisions préjudiciables à une filiale, prises à l'initiative et dans le seul intérêt la société mère ou de l'actionnaire du groupe et ayant contraint cette filiale à prononcer des licenciements pour motif économique, engagent la responsabilité délictuelle de la société mère ou de l'actionnaire qui doit alors indemniser les salariés licenciés de la perte de leur emploi ; que ces mêmes décisions ne peuvent, en conséquence, être imputées à faute à la filiale pour justifier sa condamnation à verser aux salariés licenciés des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu'en décidant cependant, pour condamner la société Pagesjaunes à verser au salarié des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de lui imputer à faute les décisions de mise à disposition de liquidités à sa holding nécessaires pour assurer le remboursement par cette dernière de l'emprunt contracté lors du rachat de la société Pagesjaunes, en expliquant que ces décisions étaient « préjudiciables comme prises dans le seul intérêt de l'actionnaire et ne se confondant pas avec une simple erreur de gestion », la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail ;

7. ALORS QUE la lettre de licenciement qui mentionne que le licenciement a pour motif économique une modification du contrat de travail consécutive à la réorganisation de l'entreprise justifiée par la nécessité de la sauvegarde de sa compétitivité répond aux exigences légales, sans qu'il soit nécessaire qu'elle précise le niveau d'appréciation de la cause économique quand l'entreprise appartient à un groupe ; qu'en retenant encore, pour dire le licenciement injustifié, que la lettre de licenciement fait état d'une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité, mais ne prévoit pas la nécessité de sauvegarder la compétitivité du secteur d'activité du groupe, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-3 et L. 1233-42 du code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20-10007
Date de la décision : 24/11/2021
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 08 novembre 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 24 nov. 2021, pourvoi n°20-10007


Composition du Tribunal
Président : Mme Mariette (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Marlange et de La Burgade

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2021:20.10007
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