LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
SG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 13 octobre 2021
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 699 FS-B
Pourvoi n° K 20-19.340
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 OCTOBRE 2021
1°/ Mme [C] [Z], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société MIM, domiciliée [Adresse 2],
2°/ la société JSA, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, prise en la personne de M. [N] [M] en sa qualité de co-liquidateur judiciaire de la société MIM, dont le siège est [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° K 20-19.340 contre l'arrêt rendu le 27 mai 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 3), dans le litige les opposant à la société immobilière France, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Aldigé, conseiller référendaire, les observations de la SCP Delvolvé et Trichet, avocat de Mme [Z] ès qualités, de la société JSA ès qualités, de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société immobilière France, et l'avis de Mme Morel-Coujard, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 septembre 2021 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Aldigé, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, Mme Andrich, MM. Jessel, David, Jobert, Laurent, conseillers, M. Jariel, Mmes Schmitt, Brun, M. Baraké, Mme Gallet, conseillers référendaires, Mme Morel-Coujard, avocat général, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 mai 2020), la société IMFRA immobilière France (la société IMFRA), propriétaire de locaux commerciaux dans un centre commercial donnés à bail à la société MIM, lui a délivré un congé avec refus de renouvellement et offre de paiement d'une indemnité d'éviction.
2. La société MIM, qui s'est réinstallée dans d'autres locaux commerciaux, a assigné la société IMFRA en fixation de l'indemnité d'éviction.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. Mme [Z] et la société JSA, agissant en leur qualité de liquidateurs judiciaires de la société MIM, font grief à l'arrêt de dire que la valeur du droit au bail est nulle et de limiter l'indemnité d'éviction aux seules indemnités accessoires, alors « qu'en cas de refus de renouvellement du bail commercial, le preneur a droit à une indemnité d'éviction compensant le préjudice résultant du défaut de renouvellement, laquelle ne peut, en cas de transfert par le preneur de son activité, être inférieure à la valeur du droit au bail ; que pour dire que la société MIM n'avait droit à aucune indemnité, la cour d'appel a retenu que le montant des loyers du local dans lequel cette société s'est réinstallée, d'une surface équivalente à l'ancien local, et aux termes d'un bail lui permettant d'exercer la même activité, était inférieur au montant des loyers du local dont elle était évincée ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas évalué la valeur du droit au bail perdu du fait de l'éviction, a violé l'article L. 145-14 du code du commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 145-14, du code de commerce :
4. Selon ce texte, l'indemnité d'éviction doit être égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement. Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.
5. L'indemnité d'éviction doit être fixée en tenant compte de la valeur du droit au bail des locaux dont le locataire est évincé, lequel est un élément du fonds de commerce.
6. Pour dire que la valeur du droit au bail est nulle, l'arrêt énonce que, dans l'hypothèse où le preneur s'est effectivement réinstallé dans un nouveau local équivalent avant la fixation de l'indemnité, il convient de prendre en compte le coût locatif de ce local. Il retient qu'il n'y a pas de différentiel de loyer positif puisque le loyer des locaux de transfert est inférieur au loyer des locaux dont a été évincée la société MIM et que le nouveau bail n'a pas été conclu dans des conditions désavantageuses pour la société MIM qui peut y exercer la même activité dans des locaux de superficie équivalente moyennant un loyer moins élevé et sans avoir eu à régler un droit d'entrée.
7. En statuant ainsi, sans tenir compte de la valeur du droit au bail portant sur le local dont le preneur a été évincé, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la valeur du droit au bail est nulle, déboute en conséquence Mme [Z] et la société JSA, prise en la personne de M. [M], en leur qualité de liquidateurs judiciaires de la société MIM de leur demande formée au titre de l'indemnité principale, dit que l'indemnité d'éviction est constituée des indemnités accessoires, condamne la société IMFRA immobilière France à verser à Mme [Z] et à la société JSA, prise en la personne de M. [M], en leur qualité de liquidateurs judiciaires de la société MIM, la somme de 127 971 euros à titre d'indemnité d'éviction, dit n'y avoir lieu à condamnation prononcée au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et condamne Mme [Z] et la société JSA, prise en la personne de M. [M], en leur qualité de liquidateurs judiciaires de la société MIM aux dépens, l'arrêt rendu le 27 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société IMFRA immobilière France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société IMFRA immobilière France et la condamne à payer à Mme [Z] et la société JSA, en leur qualité de liquidateurs judiciaires de la société MIM, la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize octobre deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Delvolvé et Trichet, avocat aux Conseils, pour Mme [Z] et la société JSA ès qualités
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la valeur du droit au bail est nulle, d'avoir débouté, en conséquence, Me [Z] et la Selarl JSA prise en la personne de Me [M], en leur qualité de liquidateurs judiciaires de la société Mim, de leur demande formée au titre de l'indemnité principale et d'avoir dit que l'indemnité d'éviction est constituée des seules indemnités accessoires ;
1°) Alors qu'en cas de refus de renouvellement du bail commercial, le preneur a droit à une indemnité d'éviction compensant le préjudice résultant du défaut de renouvellement, laquelle ne peut, en cas de transfert par le preneur de son activité, être inférieure à la valeur du droit au bail ; que pour dire que la société Mim n'avait droit à aucune indemnité, la cour d'appel a retenu que le montant des loyers du local dans lequel cette société s'est réinstallée, d'une surface équivalente à l'ancien local, et aux termes d'un bail lui permettant d'exercer la même activité, était inférieur au montant des loyers du local dont elle était évincée ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas évalué la valeur du droit au bail perdu du fait de l'éviction, a violé l'article L. 145-14 du code du commerce ;
2°) Alors, subsidiairement, qu'à supposer admissible, en cas de transfert de l'activité du preneur, la méthode d'évaluation de l'indemnité d'éviction tenant compte des nouveaux locaux, par comparaison du montant des loyers que le preneur aurait acquittés en cas de renouvellement et du montant des loyers pour ces locaux nouvellement pris à bail, une telle méthode suppose que les nouveaux locaux et les anciens soient comparables en termes d'emplacement et de surface de vente, quitte à appliquer des correctifs lorsque tel n'est pas le cas ; qu'en retenant que la société Mim n'avait droit à aucune indemnité dès lors que le montant des loyers du local dans lequel elle s'est réinstallée, d'une surface équivalente à l'ancien local et aux termes d'un bail lui permettant d'exercer la même activité, était inférieur au montant des loyers du local dont elle était évincée, sans avoir constaté que ce nouveau local, situé dans le centre commercial [2], étaient comparable à l'ancien, situé dans le centre commercial [1], en termes d'emplacement, la cour d'appel a violé l'article L. 145-14 du code du commerce ;
3°) Alors, plus subsidiairement, que l'indemnité d'éviction, qui répare le préjudice subi par le preneur évincé du fait de la perte du droit au renouvellement du bail, ne peut être appréciée qu'en tenant compte du montant des loyers que celui-ci aurait payés en cas de renouvellement et non du montant des loyers qu'il payait au jour de l'éviction ; qu'en prenant en compte, pour le calcul de l'indemnité d'éviction, un « loyer annuel de base à la date d'effet du congé par application des indices [d'un montant] de 194 464 euros HT/HC », la cour d'appel a violé l'article L. 145-14 du code du commerce.