LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC. / ELECT
LG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 29 septembre 2021
Cassation partielle sans renvoi
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1110 F-B
Pourvoi n° Y 20-60.246
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 29 SEPTEMBRE 2021
Le syndicat CGT agro-productions Limagrain, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Y 20-60.246 contre le jugement rendu le 29 mai 2020 par le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand (contentieux des élections professionnelles), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Limagrain, société coopérative agricole, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ à la société Selia, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ à la société Tardif Tivagrain, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
En présence :
1°/ de la Direccte Auvergne-Rhône-Alpes, dont le siège est [Adresse 6],
2°/ du syndicat CFDT, dont le siège est [Adresse 5],
3°/ du syndicat FO, dont le siège est [Adresse 3].
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Les parties ou leurs mandataires ont produit des mémoires.
Sur le rapport de M. Joly, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat des sociétés Limagrain, Selia et Tardif Tivagrain, après débats en l'audience publique du 7 juillet 2021 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Joly, conseiller référendaire rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand, 29 mai 2020), les sociétés coopérative agricole Limagrain, Selia et Tardif Limagrain ont constitué l'unité économique et sociale Limagrain Coop (l'UES) par accord du 19 décembre 2018.
2. Le 18 septembre 2019, l'UES a saisi la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (direccte) pour que soit procédé à la répartition du personnel et des sièges dans les collèges électoraux pour l'élection au comité social et économique (CSE).
3. Le 15 novembre 2019, le direccte a procédé à la répartition des effectifs et des sièges entre les collèges électoraux.
4. Le 29 novembre 2019, le syndicat CGT agro-production Limagrain (le syndicat) a saisi le tribunal judiciaire d'une demande d'annulation de la décision administrative.
Examen des moyens
Sur le premier moyen pris en ses quatre premières branches, ainsi que le deuxième moyen, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche
Enoncé du moyen
6. Le syndicat fait grief au jugement de rejeter sa demande d'annulation de la décision du direccte, alors « que lorsque la direccte est saisie d'une demande de répartition du personnel dans les collèges électoraux et la répartition des sièges entre les différentes catégories de personnel en application des articles L. 2314-13 et R. 2314-3 du code du travail, il lui appartient également de fixer la proportion de femmes et d'hommes composant chaque collège électoral par catégorie en application des articles L. 2314-13 et L. 2314-31 du code du travail ; qu'en ayant omis cette répartition par sexe, la décision administrative aurait été nécessairement incomplète et le tribunal ne pouvait déclarer la décision « régulière » et rejeter le recours du syndicat CGT agro-production Limagrain. »
Réponse de la Cour
7. En vertu de l'article L. 2314-30 du code du travail, pour chaque collège électoral, les listes mentionnées à l'article L. 2314-29 qui comportent plusieurs candidats sont composées d'un nombre de femmes et d'hommes correspondant à la part de femmes et d'hommes inscrits sur la liste électorale. Les listes sont composées alternativement d'un candidat de chaque sexe jusqu'à épuisement des candidats d'un des sexes.
8. L'article L. 2314-13 du code du travail précise en ses deux premiers alinéas que la répartition des sièges entre les différentes catégories de personnel et la répartition du personnel dans les collèges électoraux font l'objet d'un accord entre l'employeur et les organisations syndicales conclu selon les conditions de l'article L. 2314-6. Cet accord mentionne la proportion de femmes et d'hommes composant chaque collège électoral. L'article L. 2314-31 énonce que, dès qu'un accord ou une décision de l'autorité administrative ou de l'employeur sur la répartition du personnel est intervenu, l'employeur porte à la connaissance des salariés, par tout moyen permettant de donner une date certaine à cette information, la proportion de femmes et d'hommes composant chaque collège électoral.
9. Il résulte de ces textes que la proportion de femmes et d'hommes composant chaque collège électoral doit figurer dans le protocole préélectoral en fonction des effectifs connus lors de la négociation du protocole. A défaut, elle est fixée par l'employeur en fonction de la composition du corps électoral existant au moment de l'établissement de la liste électorale, sous le contrôle des organisations syndicales.
10. C'est dès lors à bon droit que le tribunal a jugé que la décision du direccte procédant à la répartition des salariés dans les collèges électoraux n'avait pas à préciser la répartition des hommes et des femmes dans chaque collège.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
12. Le syndicat fait grief au jugement de le condamner à verser une certaine somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, alors « que la cassation sur le fondement du troisième moyen emporte par voie de conséquence la cassation de ce chef de dispositif. »
Réponse de la Cour
13. Le chef de dispositif critiqué par le quatrième moyen ne se trouvant pas en lien de dépendance nécessaire avec le chef de dispositif critiqué par le troisième moyen, une cassation sur le troisième moyen n'entraînerait pas la cassation du chef de dispositif condamnant le syndicat à payer aux sociétés une certaine somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
14. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
15. Le syndicat fait grief au jugement de le condamner à verser aux sociétés composant l'UES une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, alors « que le tribunal a motivé sa décision par l'« absence d'élément précis » fourni par le syndicat CGT agro-production Limagrain, lequel a pourtant, selon le pourvoi, développé un argumentaire précis sur les irrégularités relevées à l'encontre de la décision administrative (absence de contrôle des qualifications réelles, absence de contrôle du temps de travail effectif, absence de répartition des sièges par sexe notamment), l'ensemble étant fondé sur des jurisprudences de la cour de cassation ; que le tribunal n'aurait pu retenir, aux dires du pourvoi, une absence d'éléments précis alors que son rôle est d'examiner l'ensemble des contestations, qu'elles portent sur la légalité externe ou sur la légalité interne de la décision de la direccte (Cour de cassation, civile, chambre sociale, 19 décembre 2018, pourvoi n° 18-23.655) ; que le sa condamnation par le fait que le syndicat CGT agro-production Limagrain n'aurait présenté aucun chiffrage remettant en cause celui de l'employeur confirmé par la Direccte ; que le tribunal doit examiner l'ensemble des contestations, qu'elles portent sur la légalité externe ou sur la légalité interne de la décision de la Direccte (cour de cassation, civile, chambre sociale, 19 décembre 2018, pourvoi n° 18-23.655) et qu'aucune obligation ne pèse sur le syndicat de rapporter des éléments de chiffrage au soutient de sa critique de la décision administrative s'il s'avère que celle-ci est irrégulière en la forme ou sur le fond ; que le syndicat CGT agro-production Limagrain ne pouvait être condamné pour procédure abusive alors que sa critique était fondée en son principe. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1240 du code civil :
16. L'exercice d'une action en justice peut dégénérer en un abus du droit d'ester en justice qui suppose la démonstration d'une faute.
17. Pour condamner le syndicat à payer une certaine somme aux sociétés composant l'UES à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, le tribunal judiciaire a retenu que ce nouveau recours en justice introduit par le syndicat n'était fondé sur aucun élément précis puisqu'il ne proposait au soutien de sa contestation, aucun chiffrage différent de celui retenu par la direccte et qu'il constituait un abus de procédure de nature à ralentir le processus de mise en place du CSE.
18. En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser un abus du droit d'agir en justice, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
19. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
20. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne le syndicat CGT agro-production Limagrain à payer à la société coopérative agricole Limagrain, à la société Selia et à la société Tardif Limagrain la somme de 700 euros chacune à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive, le jugement rendu le 29 mai 2020, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Rejette les demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive formées par les sociétés coopérative agricole Limagrain, Selia et Tardif Limagrain ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf septembre deux mille vingt et un, et signé par lui et M. Rinuy, conseiller le plus ancien en ayant délibéré, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.