LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 7 juillet 2021
Cassation partielle
Mme AUROY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 508 F-B
Pourvoi n° T 19-11.638
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 7 JUILLET 2021
Mme [Z] [B], veuve [O], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° T 19-11.638 contre l'arrêt rendu le 4 décembre 2018 par la cour d'appel de Riom (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [W] [O], épouse [R], domiciliée [Adresse 2],
2°/ à Mme [T] [T], veuve [O], domiciliée [Adresse 3],
3°/ à M. [B] [O], domicilié [Adresse 4],
4°/ à Mme [H] [O], domiciliée [Adresse 5],
5°/ à Mme [D] [O], domiciliée [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Mme [T], Mmes [H] et [D] [O] et M. [B] [O] ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, les deux moyens de cassation également annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Buat-Ménard, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de Mme [B], de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de Mme [W] [O], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mme [T], de Mmes [H] et [D] [O] et de M. [B] [O], et l'avis de Mme Caron-Deglise, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 mai 2021 où étaient présents Mme Auroy, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Buat-Ménard, conseiller référendaire rapporteur, M. Hascher, conseiller, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 4 décembre 2018), [I] [Y] et [Q] [O], son époux, sont décédés respectivement le [Date décès 1] 2002 et le [Date décès 1] 2010, laissant pour leur succéder leurs trois enfants [W], [J] et [G]. [J] et [G] sont décédés ultérieurement, laissant pour leur succéder, le premier, son épouse, Mme [B], donataire de l'universalité de ses biens meubles et immeubles, le second, son épouse, Mme [T] [O], et leurs trois enfants [B], [H] et [D] (les consorts [O]).
2. Au cours des opérations de partage des successions d'[I] et [Q] [O], les consorts [O] ont demandé le paiement d'une créance de salaire différé à l'encontre de la succession de [Q] [O].
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi principal, pris en ses deuxième et troisième branches, et le premier moyen du pourvoi incident, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen relevé d'office
4. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu l'article 2241 du code civil :
5. Il résulte de ce texte que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent aux mêmes fins, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première.
6. Pour écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée par Mme [B], venant aux droits de [J] [O], à la demande des consorts [O] relative à la créance de salaire différé de [G] [O], l'arrêt retient que l'action engagée par [J] [O] aux fins de partage tend au même but que l'action en versement d'un salaire différé puisque ces deux actions visent à mettre fin à l'indivision en déterminant les droits respectifs des héritiers, et en déduit qu'il doit donc être considéré que l'action en versement d'un salaire différé est virtuellement comprise dans l'action en partage, de sorte que la prescription n'est pas acquise.
7. En statuant ainsi, alors que l'action en versement d'un salaire différé, qui ne tend ni à la liquidation de l'indivision successorale ni à l'allotissement de son auteur, n'a pas la même finalité que l'action en partage, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal et du pourvoi incident, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la créance de salaire différé au titre du travail effectué par [G] [O] est due à compter de sa majorité, soit du 13 octobre 1968, l'arrêt rendu le 4 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Limoges ;
Condamne les consorts [O] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les consorts [O] et Mme [W] [O] et condamne les consorts [O] à payer à Mme [B] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept juillet deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat aux Conseils, pour Mme [B], demanderesse au pourvoi principal.
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la créance de salaire différé au titre du travail effectué par [G] [O] est due à compter de sa majorité, soit du 13 octobre 1968;
AUX MOTIFS QUE « Madame [B] veuve [O] fait valoir que la demande des héritiers de [G] [O] est prescrite car elle n'a pas été présentée dans le délai de 5 ans à compter de la date de son décès. En effet, l'assignation de Monsieur [J] [O] n'a pas interrompu la prescription car elle n'émane pas de celui qui a qualité pour exercer le droit menacé par la prescription et ne vise pas le droit même qui est en train de se prescrire.
Subsidiairement, le montant retenu par le jugement déféré, fondé sur le calcul fait par le notaire prenant pour base la période du 1er janvier 1965 au 9 mai 1977, est erroné car il prend pour point de départ une date qui correspond à un âge antérieur à 18 ans ce qui est impossible en application de l'article L 321-13 du code rural. En outre, la créance ne peut porter que sur une période maximale de 10 ans. Par ailleurs, selon le relevé de carrière MSA, il existe des périodes de non participation directe et effective à l'exploitation. Enfin, il n'a pas été tenu compte des gratifications au profit de [G] [O] en contrepartie de son travail et notamment par l'achat d'un véhicule pour ses 21 ans.
Madame [T] veuve [O] et ses enfants sollicitent la confirmation de la décision déférée. Ils font valoir que la prescription de 5 ans court à compter de l'ouverture de la succession de l'exploitant, soit le [Date décès 1] 2010, jour du décès de Monsieur [Q] [O]. Les assignations en partage, délivrées à la requête de Monsieur [O] en juillet et août 2015 et qui tendaient, entre autre demande, à voir rejeter les demandes de salaire différé ont eu un effet interruptif de prescription.
Dans son calcul, le notaire a limité la durée de la créance de salaire à dix ans. En effet, Monsieur [G] [O] a travaillé chez ses parents comme aide familial pendant un peu plus de 10 ans, soit du 13 octobre 1965 au 9 mai 1977 et n'a jamais été associé au bénéfice de l'exploitation. Quand il est parti de l'exploitation en 1977, ses parents lui ont donné une voiture d'occasion de 9 ans d'âge sans intention de le gratifier pour son travail.
Si en principe l'interruption d'une prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque deux actions, quoique ayant des causes distinctes tendent à un seul et même but, de sorte que la seconde soit virtuellement comprise dans la première.
Ainsi l'action engagée par Monsieur [J] [O] aux fins de partage tend au même but que l'action en versement d'un salaire différé puisque ces deux actions visent à mettre fin à l'indivision en déterminant les droits respectifs des héritiers.
Il doit donc être considéré que l'action en versement d'un salaire différé est virtuellement comprise dans l'action en partage de sorte que la prescription n'est pas acquise.
Sur le fond, il n'est pas contesté par Madame [B] veuve [O] que Monsieur [G] [O] a travaillé pour le compte de ses parents sans avoir reçu d'autres rémunérations qu'une voiture dont elle n'établit pas que sa valeur correspondrait à une dizaine d'années d'activité.
Le simple fait que Monsieur [O] n'ait pas été affilié à la MSA durant l'intégralité des périodes considérées n'établit pas son absence d'activité sur l'exploitation au cours desdites périodes.
La somme retenue par le tribunal correspond, après lecture du projet de partage du notaire, à la créance de salaire différé dont est titulaire Monsieur [G] [O] à compter du 1er janvier 1965. Or, le salaire différé n'est dû qu'à compter de la majorité du créancier, soit à compter du 13 octobre 1968, la majorité étant à l'époque fixée à 21 ans ; il sera, en outre, déduit la durée du service national telle que mentionné dans le relevé de la MSA ».
1) ALORS QU'une demande en justice n'interrompt la prescription que si elle a été signifiée par le créancier lui-même au débiteur se prévalant de la prescription ; que pour écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée par Mme [B], venant aux droits de son époux [J] [O], à la demande des héritiers de [G] [O], la cour d'appel a retenu que l'action de [J] [O] aux fins de partage tendait au même but que l'action en paiement d'un salaire différé intentée par les héritiers de [G] [O] de sorte que cette action étant virtuellement comprise dans l'action en partage, la prescription n'était pas acquise ; qu'en statuant ainsi quand la prescription de la demande de salaire différé des héritiers de [G] [O] n'avait pas pu être interrompue par l'assignation signifiée à la requête de [J] [O], aux droits duquel se trouve son épouse, Mme [B], qui se prévalait de la prescription, aux héritiers de [G] [O] contre lesquels elle prétendait avoir prescrit, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 2241 du code civil ;
2) ALORS QUE les juges du fond ne peuvent modifier l'objet du litige, tel que déterminé par les prétentions respectives des parties exprimées dans leurs conclusions; qu'en l'espèce, Mme [B], venant aux droits de [J] [O], soutenait qu'en contrepartie de son travail [G] [O] avait reçu des avantages dont notamment un véhicule neuf; qu'en affirmant qu'il n'était pas contesté par Mme [B] que [G] [O] avait travaillé pour le compte de ses parents sans avoir reçu d'autres rémunérations qu'une voiture, la cour d'appel a modifié l'objet du litige, et violé l'article 4 du code de procédure civile;
3) ALORS QUE tout jugement doit être motivé; que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner et analyser tous les éléments de preuve qui leur sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions; qu'en affirmant qu'il n'était pas contesté par Mme [B] que [G] [O] avait travaillé pour le compte de ses parents sans avoir reçu d'autres rémunérations qu'une voiture, sans analyser, même sommairement, les attestations produites par Mme [B] qui établissaient qu'en contrepartie de son travail, [G] [O] avait reçu de son père non seulement un véhicule mais également de l'argent, la cour d'appel a violé les articles 455 et 458 du code de procédure civile. Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour Mme [T], Mmes [D] et [H] [O] et M. [B] [O], demandeurs au pourvoi incident.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté les consorts [O] de leur demande de rapport à la succession d'[I] et [Q] [O] de l'avantage dont [J] [O] avait bénéficié du fait de son hébergement chez ses parents,
AUX MOTIFS QUE l'hébergement de [J] [O] chez ses parents jusqu'en 1983 alors qu'il était âgé de 24 ans est une obligation d'entretien familial et Mme [Z] [B] veuve [O] était logée chez son employeur au début des années 1980,
ALORS QUE dans leurs conclusions, les consorts [O] indiquaient que « [J] [O] et Mme [Z] [B] ont profité d'un avantage indirect en étant logés et nourris par les parents [O] du 2 novembre 1983 jusqu'au 14 février 1990 alors qu'ils étaient financièrement indépendants ; en effet [J] [O] a été salarié dans l'entreprise Potters Ballotini à St Pourçain Sur Sioule à partir du 2 novembre 1983 ; ils étaient domiciliés fiscalement chez [I] et [Q] [O] ; feu [J] [O] possédait une maison habitable reçue en donation en 1982, or [J] [O] a été logé chez ses parents pendant 75,5 mois de nombre 1983 au 14 février 1990 ; « il y a lieu de rapporter à la succession 5.663 euros » (conclusions récapitulatives n° 2 p.10 et p.11) ; qu'en retenant, pour rejeter la demande d'indemnité d'occupation, que l'hébergement de [J] [O] chez ses parents jusqu'en 1983 devait être retenu au titre de l'entraide familiale quand la période sur laquelle portait la demande était la période postérieure, de 1983 à 1990, pour laquelle il ne travaillait plus sur l'exploitation et percevait un salaire et était propriétaire d'une maison reçue en donation de ses parents, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la créance de salaire différé au titre du travail effectué par [G] [O] est due à compter de sa majorité, soit le 13 octobre 1968,
AUX MOTIFS QUE la somme retenue par le tribunal correspond, après lecture du projet de partage du notaire, à la créance de salaire différé dont est titulaire M. [G] [O] à compter du 1er janvier 1965 ; que le salaire différé n'est dû qu'à compter de la majorité du créancier, soit à compter du 13 octobre 1968, la majorité étant à l'époque fixée à 21 ans ; qu'il sera en outre déduit la durée du service national telle que mentionnée dans le relevé de la MSA,
ALORS QUE sont réputés bénéficiaires d'un contrat de travail à salaire différé les descendants d'un exploitant agricole qui, âgés de plus de 18 ans, participent directement et effectivement à l'exploitation, sans être associés aux bénéfices et aux pertes, et qui ne reçoivent pas de salaire en argent en contrepartie de leur collaboration ; qu'en décidant que [G] [O] n'avait droit à une créance de salaire différé qu'à compter du 13 octobre 1968 date de sa majorité, fixée à l'époque à 21 ans, la cour d'appel a violé l'article L 321-13 du code rural et de la pêche maritime.