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23/06/2021 | FRANCE | N°19-21911

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 23 juin 2021, 19-21911


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

DB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 23 juin 2021

Rejet

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 547 F-D

Pourvoi n° J 19-21.911

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 23 JUIN 2021

La société Sud Ouest déchets industriels (SODI), s

ociété par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° J 19-21.911 contre l'arrêt rendu le 20 juin 2019 par la cour ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

DB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 23 juin 2021

Rejet

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 547 F-D

Pourvoi n° J 19-21.911

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 23 JUIN 2021

La société Sud Ouest déchets industriels (SODI), société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° J 19-21.911 contre l'arrêt rendu le 20 juin 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-1), dans le litige l'opposant à la société Eiffage-Energie systèmes - Clemessy services, prise en son établissement secondaire sis [Adresse 2], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Boisselet, conseiller, les observations de la SCP Boulloche, avocat de la société Sud Ouest déchets industriels (SODI), de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Eiffage-Energie systèmes - Clemessy services, après débats en l'audience publique du 11 mai 2021 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Boisselet, conseiller rapporteur, M. Guérin, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 20 juin 2019), la société Eiffel industries, devenue Eiffage-Energie systèmes - Clemessy services (la société EES), est spécialisée dans la maintenance industrielle et a développé une activité dans le domaine des catalyseurs. Cette activité a été dirigée entre 2010 et 2014 par M. [I], qui a démissionné à effet du 31 décembre 2014 et a été embauché par la société Sud Ouest déchets industriels (la société Sodi), concurrente de la société EES. Une douzaine d'autres salariés de la société EES ont démissionné en décembre 2014 et janvier 2015, dont M. [P], adjoint de M. [I], et ont été immédiatement recrutés par la société Sodi.

2. Après avoir fait diligenter un constat d'huissier de justice, autorisé par ordonnance sur requête, dans les ordinateurs de la société Sodi et de M. [P], la société EES a assigné la société Sodi en réparation du préjudice causé par des actes de concurrence déloyale.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses troisième, quatrième, cinquième, sixième, huitième et neuvième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Et sur le moyen, pris en ses première, deuxième et septième branches

Enoncé du moyen

4. La société Sodi fait grief à l'arrêt de juger qu'elle a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société EES, et de la condamner à payer à cette dernière une provision de 500 000 euros, alors :

« 1°/ que le recrutement de salariés libres de tout engagement ne peut constituer un acte de concurrence déloyale que s'il a entraîné une véritable désorganisation de la société et non une simple perturbation, désorganisation que les juges doivent justifier concrètement ; qu'en l'espèce, pour juger que la société Sodi avait commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Eiffel industrie, la cour d'appel a considéré que le débauchage massif de la moitié de la masse salariale du service catalyseur de Eiffel industrie avait entraîné une désorganisation du service, ce d'autant qu'il concernait la partie la plus qualifiée du personnel ; qu'en statuant ainsi par une pétition de principe sans vérifier de façon concrète si ces départs avaient entraîné une véritable "désorganisation" du service, et non une simple perturbation inhérente à tout départ de salariés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2°/ que la société Sodi a fait valoir que dès le mois de janvier 2015, la société Eiffel industrie avait embauché de nouveaux salariés dont M. [S], en qualité de responsable du service catalyseur, qu'elle avait reconstitué ses effectifs dès fin 2015, que le préavis de M. [P] avait été réduit d'un commun accord et que M. [F] avait été démis de ses fonctions en février 2015 par la société Eiffel industrie elle-même ; que la cour d'appel a considéré que le débauchage de la moitié de la masse salariale du service catalyseur de la société Eiffel industrie avait eu pour conséquence manifeste de désorganiser le service ; qu'en statuant ainsi, sans répondre à ce moyen pertinent invoquant une simple perturbation dès lors que la société Eiffel industrie avait très rapidement retrouvé ses capacités antérieures, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

7°/ que le recrutement de salariés libres de tout engagement ne peut constituer un acte de concurrence déloyale en l'absence de toute manoeuvre déloyale ; que la société Sodi a soutenu qu'un réel processus de recrutement avait eu lieu en ce qui concerne les candidatures des salariés de la société Eiffel industrie puisque toutes n'avaient pas été retenues, seulement treize sur une vingtaine présentées, et que le fait de déposer une candidature par le site internet Indeed résultait d'un formalisme interne à son service des ressources humaines ; que la cour d'appel a retenu que la société Sodi ne contestait pas avoir incité les salariés de la société Eiffel industrie à postuler sur le site Indeed alors qu'elle avait déjà programmé les entretiens d'embauche et que les démissions de la moitié du service catalyseur avaient été planifiées et facilitées par la société Sodi avec l'assistance de M. [P] ; qu'en statuant ainsi sans s'expliquer sur les éléments invoqués par la société Sodi et examiner s'il n'y avait pas eu un véritable processus de recrutement eu égard au nombre de candidatures du personnel de la société Eiffel industrie qu'elle a rejetées, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. Après avoir constaté qu'entre la fin de l'année 2014 et le début de l'année 2015, le chef d'équipe du service "catalyseur", son adjoint et onze autres salariés employés par la société EES au sein de ce service, comprenant une vingtaine de personnes, ont démissionné pour être embauchés aux mêmes fonctions par la société Sodi, l'arrêt retient que ces départs, qui ont concerné la partie la plus qualifiée du personnel, et qui ne pouvaient s'expliquer par des motifs tenant à de mauvaises conditions de travail chez la société EES, ont entraîné la désorganisation du service, objectivée par le rapport d'expertise judiciaire, qui conclut à leurs répercussions tant sur l'organisation des chantiers que sur les procédures d'appel d'offres et établit une corrélation avec la perte d'activité et de chiffre d'affaires subie par la société EES à partir de l'année 2015. L'arrêt relève en outre que la société Sodi ne conteste pas avoir incité les salariés concernés à quitter l'entreprise, par l'intermédiaire de M. [P], qui a sélectionné ses collègues les plus compétents pour proposer leurs noms à la société Sodi, laquelle a planifié des entretiens d'embauche dès avant l'envoi des candidatures par le biais d'un site internet dédié, et leur a transmis des documents types afin de faciliter les formalités de démission.

6. En l'état de ces constatations, caractérisant le rôle actif de la société Sodi dans le débauchage d'une grande partie de l'équipe "catalyseur" de la société EES, dont elle a déduit la volonté de s'approprier l'essentiel du savoir-faire et de la clientèle de sa concurrente au titre de cette activité, procédé dont il ne peut être admis qu'il constitue un mode de recrutement normal, et la désorganisation ainsi causée au service concerné, dont il importe peu que les effectifs numériques aient été reconstitués à la fin de l'année 2015, la cour d'appel, qui a retenu l'existence d'actes de concurrence déloyale commis par la société Sodi au préjudice de la société EES, a légalement justifié sa décision.

Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Sud Ouest déchets industriels aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Sud Ouest déchets industriels et la condamne à payer à la société Eiffage-Energie systèmes - Clemessy services la somme de 3 000 euros ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois juin deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Boulloche, avocat aux Conseils, pour la société Sud Ouest déchets industriels (SODI).

Le moyen de cassation fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir jugé que la société Sodi avait commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Eiffel industrie, devenue la société Eiffage - Energie Systèmes - Clemessy Services, ayant causé un préjudice financier à cette dernière, et d'avoir en conséquence condamné la société Sodi à verser à la société Eiffel industrie une provision de 500 000 ? ;

Aux motifs que « l'embauche simultanée de plusieurs salariés d'une même entreprise par une entreprise concurrente pour y remplir les mêmes fonctions est constitutive d'un acte de concurrence déloyale dès lors que par l'ampleur de ce débauchage, celui-ci génère une désorganisation effective de l'activité.
En l'espèce, il résulte des lettres de démission et courriels versés aux débats qu'entre la fin de l'année 2014 et le début de l'année 2015 le chef d'équipe du service catalyseur, son adjoint et onze autres salariés du service employés par la société Clemessy ont démissionné pour être embauchés quelques semaines plus tard aux mêmes fonctions par la société SODI ; le service catalyseur de la société Clemessy étant composé d'environ salariés, ce débauchage massif concernant la moitié de la masse salariale a eu pour conséquence manifeste d'entrainer une désorganisation du service, et ce d'autant plus qu'il concernait la partie la plus qualifiée du personnel ; cette désorganisation du service a été au demeurant objectivée par le rapport d'expertise judiciaire qui note ses répercussions tant sur l'organisation des chantiers que sur les procédures d'appel d'offre et établit une corrélation avec la perte d'activité et de chiffre d'affaires subie par la société Clemessy à partir de l'année 2015 (notamment en page 22 du rapport) ;
La société SODI ne conteste pas que comme l'ont relevé les premiers juges, elle a incité les salariés de la société concurrente à postuler sur le site Indeed alors qu'elle avait déjà programmé les entretiens d'embauche ; l'analyse de la messagerie de Monsieur [P] versée au débat démontre que celui-ci a sélectionné les salariés les plus compétents pour les proposer à la société SODI dès novembre 2014 et que la société SODI a adressé des documents types afin de faciliter les formalités de démission ; il apparait en conséquence que les démissions de plus de la moitié du service catalyseur ont été planifiées et facilitées par la société SODI avec l'assistance de Monsieur [P] ; ce départ massif ne peut en conséquence être imputé au climat social existant au sein de la société Clemessy, climat qui au vu des pièces verrées n'apparait pas au demeurant susceptible d'expliquer des démissions massives, mais bien à la volonté de la société SODI de capter l'essentiel du savoir-faire de sa concurrente ; c'est dès lors à bon droit, sans même avoir à établir si les conditions salariales offertes par la société SODI étaient ou non sensiblement meilleures que celles offertes par la société Clemessy, que les premiers juges ont estimé que le débauchage massif résultait de manoeuvres déloyales et avait eu pour conséquence d'entrainer une désorganisation importante de la société Clemessy.
Le courriel adressé par Monsieur [P] à un responsable de la société Total s'inscrit dans l'ensemble des démarches opérées avec l'aide de la société SODI pour organiser le transfert de la majorité des salariés de l'équipe ; il ne peut être considéré, tout comme l'annonce du transfert fait par le même Monsieur [P] à la société Petroineos le 29 septembre 2014, comme constituant un véritable acte de dénigrement au sens du droit de la concurrence.
Le transfert de clientèle constaté par l'expert judiciaire est une conséquence du transfert massif de salariés et non un acte de concurrence s'y ajoutant ; il n'y a dès lors pas lieu de considérer qu'il existe là une manoeuvre déloyale distincte imputable à la société SODI, observation étant faite que l'expert a noté l'effet négatif du transfert des salariés sur les procédures d'appel d'offre.
Au vu de ces éléments, il y a lieu de confirmer le jugement ayant constaté l'existence d'un acte de concurrence déloyale imputable à la société SODI, acte constitué par le débauchage massif et organisé de salariés » (arrêt p. 5 et 6) ;

Et aux motifs, partiellement adoptés du jugement, que « la SAS Eiffel industrie apporte la preuve d'échange de mails entre M. [P], adjoint au responsable de service et le service de ressources humaines de la SAS SODI ;
Dans ces échanges se trouve notamment la liste des salariés du service catalyse de la SAS Eiffel industrie avec leur rémunération ;
Ces échanges font également ressortir l'organisation du transfert du personnel notamment par la rédaction de CV et de lettre de motivation type, ainsi que la mise en place d'une stratégie de dissimulation par le biais de candidatures postées sur un site internet alors que les entretiens de recrutement étaient déjà planifiés ;
Cette attitude établit l'organisation d'un détournement de personnel ;
La SAS SODI ne peut tromper la religion du tribunal en comparant des salaires fixes à des salaires fixes additionnés aux primes de déplacement, en effet, quelle que soit la convention collective appliquée, les salariés sont défrayés de leurs charges de déplacements, soit par des indemnités conventionnelles, soit par des indemnités négociées au sein de l'entreprise ou encore par le biais de note de frais ;
Le nombre de salariés de la SAS Eiffel industrie recrutés par la SAS SODI est de douze salariés en sus des deux responsables ;
Par conséquent la SAS SODI s'est livrée à un débauchage massif et organisé des salariés de la SAS Eiffel industrie ;
Le départ de douze salariés sur un total de vingt et un entraine obligatoirement une désorganisation de l'entreprise ;
Il convient de dire que par ses agissements, la SAS SODI a désorganisé la SAS Eiffel industrie ;
La SAS Eiffel industrie verse aux débats un message de M. [K] [I] à la société Total donnant l'information erronée de l'arrêt de l'activité catalyse par la société Eiffel ;

La SAS Eiffel industrie verse aux débats les offres transmises à la société Linde sous les enseignes Eiffel industrie et SODI, et ces deux offres sont identiques à l'exception des logos et toutes deux établies par M. [I] ;
La SAS Eiffel industrie présente un mail de M. [P], toujours salarié de la SAS Eiffel industrie, adressé à un responsable de la société Total dont l'objet est "migration département Eiffel catalyseur vers SODI catalyseur" et dont le contenu énonce "les valeurs et perspectives d'avenir chez Eiffel étant proches du néant, nous avons décidé de nous tourner vers une société qui n'a pas peur du futur et qui a su nous prouver ses désirs de développement, et vos inquiétudes évoquées quant à la santé d'Eiffel ne feront que nous conforter dans nos choix?C'est pourquoi j'attends votre appel pour confirmer un rendez-vous avec M. [X] [C] de SODI?" :
M. [X] [C], responsable de la SAS SODI est en copie de ce mail, il en ressort que la SAS SODI était informée de la démarche, et la prise de rendez-vous montre qu'elle en était actrice ;
Par un mail du 29 septembre 2014 à la société Petroineos, M. [X] [C] de la SAS RONDI étant en copie, M. [D] [P] annonce le transfert du service catalyse de la SAS Eiffel industrie à la SAS SODI ;
Les nombreux mails échangés entre M. [K] [I] et M. [X] [C] de la SAS SODI démontrent que la SAS SODI a toujours été informée des démarches de M. [K] [I] ;
Ces échanges constituent un dénigrement de la SAS Eiffel industrie, cause d'un préjudice commercial caractérisé ;
Des agissements entraînant la désorganisation et le dénigrement d'une entreprise constituent des actes fautifs que l'on doit qualifier d'actes de concurrence déloyale ;
Il convient donc que le tribunal constate que la SAS SODI a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la SAS Eiffel industrie » (ord p 6 et 7) ;

1°) Alors que le recrutement de salariés libres de tout engagement ne peut constituer un acte de concurrence déloyale que s'il a entraîné une véritable désorganisation de la société et non une simple perturbation, désorganisation que les juges doivent justifier concrètement ; qu'en l'espèce, pour juger que la société Sodi avait commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Eiffel industrie, la cour d'appel a considéré que le débauchage massif de la moitié de la masse salariale du service catalyseur de Eiffel industrie avait entraîné une désorganisation du service, ce d'autant qu'il concernait la partie la plus qualifiée du personnel ; qu'en statuant ainsi par une pétition de principe sans vérifier de façon concrète si ces départs avaient entraîné une véritable "désorganisation" du service, et non une simple perturbation inhérente à tout départ de salariés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2°) Alors que la société Sodi a fait valoir que dès le mois de janvier 2015, la société Eiffel industrie avait embauché de nouveaux salariés dont M. [S], en qualité de responsable du service catalyseur, qu'elle avait reconstitué ses effectifs dès fin 2015, que le préavis de M. [P] avait été réduit d'un commun accord et que M. [F] avait été démis de ses fonctions en février 2015 par la société Eiffel industrie elle-même (conclusions p 45, § 6 et suiv.) ; que la cour d'appel a considéré que le débauchage de la moitié de la masse salariale du service catalyseur de la société Eiffel industrie avait eu pour conséquence manifeste de désorganiser le service ; qu'en statuant ainsi, sans répondre à ce moyen pertinent invoquant une simple perturbation dès lors que la société Eiffel industrie avait très rapidement retrouvé ses capacités antérieures, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°) Alors que la société Sodi a soutenu qu'il ne pouvait y avoir désorganisation de la société Eiffel industrie dans la mesure où son activité de catalyse ne représentait que 5 % du chiffre d'affaires de l'agence Provence et seulement 1 % du chiffre d'affaires national, de sorte qu'en tout état de cause, seule une part négligeable de son activité pouvait être concernée par le départ de salariés du service catalyse (conclusions p 47, § 6 et suiv.) ; que la cour d'appel a considéré que le débauchage de la moitié de la masse salariale du service catalyseur de la société Eiffel industrie avait pour conséquence manifeste de désorganiser ladite société ; qu'en statuant ainsi sans répondre au moyen pertinent fondé sur le chiffre d'affaires, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

4°) Alors subsidiairement que la société Sodi a fait valoir qu'en tout état de cause, la société Eiffel industrie était la seule responsable des départs des salariés, qu'elle subissait un important turn-over de ses salariés depuis 2011, date du début de la baisse de sa croissance (concl p. 11, 12 et 46) ; qu'en imputant la désorganisation de la société Eiffel industrie au départ de 13 salariés sur 20 du service catalyse recrutés par la société Sodi, sans rechercher si d'autres salariés de la société Eiffel industrie n'avaient pas démissionné, en particulier de nombreux responsables d'autres départements, ce depuis 2011 à la suite de la baisse de croissance de la société, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 ;

5°) Alors que la cour d'appel saisie d'un appel d'un jugement mixte qui n'exerce pas sa faculté d'évoquer ne peut statuer sur la validité du rapport d'expertise ordonné avant dire droit par le premier juge ni en conséquence fonder sa décision sur ce rapport dès lors qu'il est contesté par des moyens de nature à justifier sa nullité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ayant confirmé le jugement qui avait ordonné une expertise judiciaire et prononcé une condamnation de la société Sodi à payer une provision, n'a pas usé de sa faculté d'évoquer mais a néanmoins fondé sa décision sur le rapport d'expertise contesté par la société Sodi par des moyens de nature à entraîner sa nullité ; qu'en statuant ainsi, la cour a excédé ses pouvoirs et violé les articles 480, 481 et 568 du code de procédure civile ;

6°) Alors subsidiairement que la société Sodi a contesté le rapport d'expertise en faisant valoir en particulier qu'après avoir exigé de la société Eiffel industrie qu'elle produise des éléments justifiant de marchés qu'elle n'aurait pas emportés sur la période 2015-2017, l'expert était revenu sur cette position et avait procédé à de simples tests aléatoires et partiels dont elle a reconnu le caractère non exhaustif à partir des marchés listés par la société Eiffel industrie comme perdus pour la période 2015-2017, que ce procédé était contraire au principe du contradictoire car il n'a permis de procéder à aucune vérification sur les marchés réellement perdus, leurs conditions et les motifs du refus des clients, et que l'expert avait ainsi montré sa partialité (concl p 27, § 7 et suiv., et p 59, § 7 et suiv.) ; que la cour d'appel a estimé que la désorganisation du service catalyse de la société Eiffel industrie était objectivée par le rapport d'expertise établissant une corrélation avec la perte d'activité subie par la société Eiffel industrie à partir de 2015 ; qu'en se fondant ainsi sur ce rapport, sans répondre au moyen de la société Sodi contestant la validité de l'expertise judiciaire, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

7°) Alors que le recrutement de salariés libres de tout engagement ne peut constituer un acte de concurrence déloyale en l'absence de toute manoeuvre déloyale ; que la société Sodi a soutenu qu'un réel processus de recrutement avait eu lieu en ce qui concerne les candidatures des salariés de la société Eiffel industrie puisque toutes n'avaient pas été retenues, seulement treize sur une vingtaine présentées, et que le fait de déposer une candidature par le site internet Indeed résultait d'un formalisme interne à son service des ressources humaines (concl p 39, § 5 et suiv.) ; que la cour d'appel a retenu que la société Sodi ne contestait pas avoir incité les salariés de la société Eiffel industrie à postuler sur le site Indeed alors qu'elle avait déjà programmé les entretiens d'embauche et que les démissions de la moitié du service catalyseur avaient été planifiées et facilitées par la société Sodi avec l'assistance de M. [P] ; qu'en statuant ainsi sans s'expliquer sur les éléments invoqués par la société Sodi et examiner s'il n'y avait pas eu un véritable processus de recrutement eu égard au nombre de candidatures du personnel de la société Eiffel industrie qu'elle a rejetées, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

8°) Alors que des actes de concurrence déloyale ne sont pas caractérisés lorsque les départs de salariés sont notamment consécutifs à la dégradation du climat social de leur entreprise ; que la société Sodi a fait valoir que le climat social et managérial au sein de la société Eiffel industrie s'était fortement dégradé depuis l'arrivée d'un nouveau directeur régional pour la Provence, M. [F], en 2011, et que la société avait d'ailleurs pris conscience de l'ampleur de cette dégradation en démettant ce dernier de son poste en février 2015 ; qu'elle fondait son moyen sur des attestations d'anciens salariés qui dénonçaient l'absence de perspectives de carrière, d'augmentation de salaires, des conditions de travail délétères et l'agressivité des méthodes managériales conduisant à une vague de départ des salariés de tous les services de la société Eiffel industrie sous la hiérarchie de ce directeur régional, 172 départs entre 2011 et 2015 selon une pièce versée aux débats par la société Eiffel industrie (concl. p. 36 à 38) ; que pour juger que la société Sodi avait commis des actes de concurrence déloyale, la cour a retenu que le départ de 13 salariés l'ayant rejointe ne pouvait être imputé au climat social mais à sa volonté de capter l'essentiel du savoir-faire de sa concurrente ; qu'en statuant ainsi, sans s'expliquer sur les circonstances concrètes des départs des salariés vers d'autres sociétés, en particulier ceux soumis à l'autorité de M. [F], la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

9°) Alors subsidiairement que la société Sodi a fait valoir qu'en sus du salaire net, les salariés de la société Eiffel industrie percevaient des primes de transport mais aussi des primes complémentaires comme les primes d'inconfort type 1, primes d'inconfort type 2, primes de hauteur, primes de tenue ventilée?, de sorte qu'en additionnant ces primes au salaire net perçu, la rémunération des salariés de la société Eiffel industrie était plus importante que celle reçue de la société Sodi ; qu'à supposer que la cour d'appel ait considéré, par motifs éventuellement adoptés, que les salaires attribués par la société Sodi étaient significativement plus élevés que ceux distribués par la société Eiffel industrie, elle aurait, en ne répondant pas aux conclusions de la société Sodi sur ce point, violé l'article 455 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 19-21911
Date de la décision : 23/06/2021
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 20 juin 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 23 jui. 2021, pourvoi n°19-21911


Composition du Tribunal
Président : Mme Mouillard (président)
Avocat(s) : SCP Boulloche, SCP Thouin-Palat et Boucard

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2021:19.21911
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