LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 3 juin 2021
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 558 F-D
Pourvoi n° U 19-26.313
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 3 JUIN 2021
Mme [V] [G], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 19-26.313 contre l'arrêt rendu le 31 octobre 2019 par la cour d'appel de Bordeaux (chambre sociale, section B), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Hirou, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], pris en qualité de liquidateur judiciaire de Mme [G],
2°/ à la caisse de mutualité sociale agricole de [Localité 1], dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Gauthier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de Mme [G], de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de la caisse de mutualité sociale agricole de [Localité 1], et l'avis de Mme Ceccaldi, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 avril 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Gauthier, conseiller référendaire rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Aubagna, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 31 octobre 2019), le tribunal de grande instance de Libourne a, par jugement du 3 mai 2011, ouvert a l'égard de Mme [G] (la cotisante) une procédure de redressement judiciaire, convertie en liquidation judiciaire par décision du 6 novembre 2012 désignant la SELARL Hirou en qualité de liquidateur. Par décision du 11 mars 2015, la cour d'appel de Bordeaux a sursis à statuer sur l'admission des créances de la caisse de mutualité sociale agricole de [Localité 1] (MSA) résultant de trois contraintes au titre des années 2010, 2011 et 2012, portant sur des cotisations sociales, et invité les parties à saisir le juge compétent.
2. La cotisante a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.
Examen du moyen
Sur le moyen unique
Enoncé du moyen
3. La cotisante fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable l'appel formé à l'encontre du jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale, alors :
« 1°/ que l'instance introduite devant la juridiction compétente par l'une des parties à la procédure de vérification des créances sur l'invitation du juge-commissaire s'inscrit dans cette même procédure, laquelle est indivisible entre le créancier, le débiteur et le mandataire judiciaire ou le liquidateur ; qu'en conséquence, le débiteur, titulaire d'un droit propre en matière de vérification du passif, est recevable à interjeter seul appel du jugement rendu dans le cadre de cette instance introduite devant le juge du fond compétent sur l'invitation du juge-commissaire ; qu'en déclarant irrecevable l'appel interjeté par la cotisante seule à l'encontre du jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale en date du 14 avril 2017, cependant qu'il ressortait des propres constatations de l'arrêt attaqué (p. 3) que l'instance devant le tribunal des affaires de la sécurité sociale avait été introduite sur l'invitation de la cour d'appel de Bordeaux qui, saisie d'un recours à l'encontre d'une ordonnance du juge-commissaire fixant le montant de la créance de la MSA au passif de la liquidation judiciaire de la cotisante, avait sursis à statuer sur l'admission des créances et invité les parties à saisir le juge compétent pour statuer sur les contestations des contraintes émises par la MSA, ce dont il résultait que la cotisante, titulaire d'un droit propre en matière de vérification du passif, était recevable à interjeter seule appel du jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale, la cour d'appel a violé l'article L. 641-9 du code de commerce ;
2°/ que le juge est tenu de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en retenant que la société Hirou ès qualités de liquidateur de la cotisante aurait été intervenante volontaire en appel, et non intimée, cependant qu'il ressort des termes clairs et précis de la déclaration d'appel du 24 mai 2017 que la société Hirou ès qualités de liquidateur de la cotisante avait été intimée par elle, la cour d'appel a dénaturé cette déclaration d'appel et violé le principe selon lequel le juge est tenu de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 641-9, L. 624-2 et R. 624-5 du code de commerce, ces deux derniers rendus applicables à la liquidation judiciaire respectivement par les articles L. 641-14 et R. 641-28 du même code, et l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
4. Il résulte de la combinaison de ces textes que le débiteur en liquidation judiciaire, qui dispose du droit propre, non atteint par le dessaisissement, de contester son passif peut, lorsque le juge-commissaire, ou la cour d'appel statuant avec les pouvoirs de celui-ci pour la vérification du passif, l'y a invité, saisir seul le juge du fond compétent pour trancher la contestation sérieuse dont une créance déclarée est l'objet et former seul appel de la décision de ce juge, pourvu que, dans les deux cas, il le fasse contre le liquidateur ou en sa présence.
5. Pour déclarer irrecevable en son recours la cotisante, l'arrêt retient que celle-ci, placée en liquidation judiciaire, est dessaisie de l'administration et de la disposition de ses biens, les droits et actions concernant son patrimoine devant être exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur. Il ajoute qu'elle n'avait donc pas qualité pour interjeter seule appel du jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale et que la régularisation de l'appel interjeté était possible par l'intervention volontaire du liquidateur à la condition qu'elle ait eu lieu dans le délai d'appel.
6. En statuant ainsi, alors qu'elle avait elle-même relevé qu'un arrêt du 11 mars 2015, se prononçant en matière de vérification du passif, avait invité les parties à saisir le juge compétent pour statuer sur les contestations formées par la cotisante portant sur les trois contraintes litigieuses, que celle-ci avait ensuite saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale, que le liquidateur avait comparu devant cette juridiction et que la cotisante avait formé seul appel du jugement rendu, la cour d'appel, qui se prononçait ainsi à l'occasion de la vérification du passif, a, en déclarant cet appel irrecevable, dénaturé par omission, en violation du principe susvisé, la déclaration d'appel de la cotisante, qui intimait son liquidateur, et violé, par fausse application des règles relatives au dessaisissement, les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 31 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne la caisse de mutualité sociale agricole de [Localité 1] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois juin deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Marlange et de La Burgade, avocat aux Conseils, pour Mme [G]
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR déclaré irrecevable l'appel formé par Mme [G] le 24 mai 2017 à l'encontre du jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale en date du 14 avril 2017 ;
AUX MOTIFS QU'en application des dispositions de l'article L641-9 du code de commerce, Mme [G] placée en liquidation judiciaire est dessaisie de l'administration et de la disposition de ses biens, les droits et actions concernant son patrimoine doivent être exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur ; qu'elle n'avait donc pas qualité pour interjeter seule appel du jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociales saisi, non pas comme elle le prétend d'un recours à l'encontre d'une décision du juge-commissaire, mais d'une opposition à contraintes ; que la régularisation de l'appel interjeté était possible par l'intervention volontaire du liquidateur, en application de l'article 126 du code de procédure civile, à la condition qu'elle ait lieu dans le délai d'appel ; qu'or, le jugement entrepris a été notifié à la Selarl Hirou le 9 mai 2017 selon l'accusé de réception signé et dont copie est versée aux débats ; que ses conclusions d'intervention volontaire sont en date du 27 septembre 2017, elles ont été notifiées alors que le délai d'appel était expiré ; qu'en conséquence, il convient de déclarer l'appel formé le 24 mai 2017 par Mme [G] seule irrecevable ;
ALORS QUE 1°), l'instance introduite devant la juridiction compétente par l'une des parties à la procédure de vérification des créances sur l'invitation du juge-commissaire s'inscrit dans cette même procédure, laquelle est indivisible entre le créancier, le débiteur et le mandataire judiciaire ou le liquidateur ; qu'en conséquence, le débiteur, titulaire d'un droit propre en matière de vérification du passif, est recevable à interjeter seul appel du jugement rendu dans le cadre de cette instance introduite devant le juge du fond compétent sur l'invitation du juge-commissaire ; qu'en déclarant irrecevable l'appel interjeté par Mme [G] seule à l'encontre du jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale en date du 14 avril 2017, cependant qu'il ressortait des propres constatations de l'arrêt attaqué (p. 3) que l'instance devant le tribunal des affaires de la sécurité sociale avait été introduite sur l'invitation de la cour d'appel de Bordeaux qui, saisie d'un recours à l'encontre d'une ordonnance du juge-commissaire fixant le montant de la créance de la MSA au passif de la liquidation judiciaire de Mme [G], avait sursis à statuer sur l'admission des créances et invité les parties à saisir le juge compétent pour statuer sur les contestations des contraintes émises par la MSA, ce dont il résultait que Mme [G], titulaire d'un droit propre en matière de vérification du passif, était recevable à interjeter seule appel du jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale, la cour d'appel a violé l'article L641-9 du code de commerce,
ALORS QUE 2°), le juge est tenu de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en retenant que la société Hirou ès qualités de liquidateur de Mme [G] aurait été intervenante volontaire en appel, et non intimée, cependant qu'il ressort des termes clairs et précis de la déclaration d'appel du 24 mai 2017 que la société Hirou ès qualités de liquidateur de Mme [G] avait été intimée par Mme [G], la cour d'appel a dénaturé cette déclaration d'appel et violé le principe selon lequel le juge est tenu de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis.