LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 avril 2021
Cassation sans renvoi
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 308 F-P
Pourvoi n° W 19-23.831
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 AVRIL 2021
La Caisse nationale d'assurance vieillesse, dont le siège est [...], a formé le pourvoi n° W 19-23.831 contre l'arrêt rendu le 25 juillet 2019 par la cour d'appel de Versailles (5e chambre), dans le litige l'opposant à M. R... T..., domicilié [...], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Coutou, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la Caisse nationale d'assurance vieillesse, et l'avis de Mme Ceccaldi, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 mars 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Coutou, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 25 juillet 2019), M. T..., né en [...] (l'assuré), ayant obtenu la liquidation de ses droits à retraite personnelle du régime général de sécurité sociale à effet du 1er octobre 2016, a demandé la prise en compte, pour le calcul du montant de sa pension et l'augmentation de la surcote qui lui a été allouée, des trimestres cotisés à compter de la date à laquelle il aurait pu bénéficier d'une retraite anticipée pour carrière longue.
2. La Caisse nationale d'assurance vieillesse ayant refusé de faire droit à sa demande, l'assuré a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La Caisse nationale d'assurance vieillesse fait grief à l'arrêt d'accueillir le recours de l'assuré, alors « que la surcote est calculée en fonction de la durée d'assurance ayant donné lieu à cotisations à la charge de l'assuré accomplie après l'âge de départ à la retraite à taux plein prévu par l'article L. 351-1 du code de la sécurité sociale ; qu'en jugeant que, pour le calcul de cette surcote, il convenait de prendre en considération l'abaissement de l'âge de départ à la retraite applicable aux assurés ayant commencé leur activité avant un certain âge visé à l'article L. 351-1-1 du code de la sécurité sociale quand les dispositions régissant le montant de la surcote ne se réfèrent pas à cet article, la cour d'appel a violé les articles L. 351-1, L. 351-1-1, L. 351-1-2 et D. 351-1-4 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 161-17-2, L. 351-1, L. 351-1-2 et D. 351-1-4 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction applicable au litige :
4. Il résulte de la combinaison des trois derniers de ces textes que seuls doivent être pris en compte, pour le calcul de la majoration du taux de la pension à laquelle peut prétendre l'assuré qui justifie d'une durée d'assurance supérieure à la limite permettant d'obtenir une pension à taux plein, les trimestres civils entiers ayant donné lieu à cotisations suivant celui au cours duquel l'assuré a atteint l'âge légal d'ouverture du droit à pension fixé par le premier de ces textes.
5. Pour accueillir la demande de l'assuré, l'arrêt retient que la logique consistant à considérer que l'article L. 351-1-2 du code de la sécurité sociale, qui prévoit la possibilité d'une majoration, ne peut trouver à s'appliquer qu'à partir du moment où l'assuré, toutes choses égales par ailleurs, a atteint l'age "légal" de départ à la retraite déterminé par l'article L. 351-1 de ce code, ne résiste pas à la formulation retenue par le législateur pour adopter l'article L. 351-1-1 de ce code. Il ajoute que ce dernier texte, également législatif, n'envisage pas une possibilité mais crée un droit, certain et immédiat. Il en déduit que les dispositions de l'article L. 351-1 du code de la sécurité sociale ne peuvent être lues ni interprétées séparément de celles de l'article L. 351-1-1 du même code, et que l'âge "légal" de départ à la retraite doit donc être modifié en conséquence.
6. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé par fausse interprétation les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
7. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
8. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
9. Il convient par conséquent de débouter M T... de toutes ses demandes.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 juillet 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DÉBOUTE M. T... de toutes ses demandes ;
Condamne M. T... aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la Caisse nationale d'assurance vieillesse ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit avril deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV)
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR annulé la décision de la caisse nationale d'assurance vieillesse du 16 juin 2016 portant liquidation du droit de M. R... T... à pension de vieillesse à compter du 1er octobre 2016 pour un montant mensuel brut de 1 423,60 euros, soit 1 637,14 euros avec la surcote au taux de 15 %, d'AVOIR décidé que la pension de vieillesse de M. R... T... à compter du 1er octobre 2016 doit être calculée avec une surcote au taux de 17,5 %, soit un montant mensuel brut total de 1 672,73 euros, d'AVOIR condamné la caisse nationale d'assurance vieillesse à verser à M. R... T... lesdites sommes et d'AVOIR condamné la caisse nationale d'assurance vieillesse aux dépens d'appel,
AUX MOTIFS QUE : « Aux termes de l'article L. 351-1 du code de la sécurité sociale : L'assurance vieillesse garantit une pension de retraite à l'assuré qui en demande la liquidation à partir de l'âge mentionné à l'article L. 161-17-2. Le montant de la pension résulte de l'application au salaire annuel de base d'un taux croissant, jusqu'à un maximum dit "taux plein", en fonction de la durée d'assurance, dans une limite déterminée, tant dans le régime général que dans un ou plusieurs autres régimes obligatoires, ainsi que de celle des périodes reconnues équivalentes, ou en fonction de l'âge auquel est demandée cette liquidation. Si l'assuré a accompli dans le régime général une durée d'assurance inférieure à la limite prévue au deuxième alinéa, la pension servie par ce régime est d'abord calculée sur la base de cette durée, puis réduite compte tenu de la durée réelle d'assurance. Les modalités de calcul du salaire de base, des périodes d'assurance ou des périodes équivalentes susceptibles d'être prises en compte et les taux correspondant aux durées d'assurance et à l'âge de liquidation sont définis par décret en Conseil d'Etat. Les indemnités journalières mentionnées au 2° de l'article L. 330-1 sont incluses dans le salaire de base pour l'application du présent article. Les dispositions des alinéas précédents ne sauraient avoir pour effet de réduire le montant de la pension à un montant inférieur à celui qu'elle aurait atteint si la liquidation en était intervenue avant le 1er avril 1983, compte tenu de l'âge atteint à cette date. (souligné par la cour) L'article L. 161-17-2 du même code se lit : « L'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite mentionné au premier alinéa de l'article L. 351-1 du présent code, à l'article L. 732-18 du code rural et de la pêche maritime, au 1° du I de l'article L. 24 et au 1° de l'article L. 25 du code des pensions civiles et militaires de retraite est fixé à soixante-deux ans pour les assurés nés à compter du 1er janvier 1955. » Cet âge est fixé par décret dans la limite de l'âge mentionné au premier alinéa pour les assurés nés avant le 1er janvier 1955 et, pour ceux nés entre le 1er juillet 1951 et le 31 décembre 1954, de manière croissante : 1° A raison de quatre mois par génération pour les assurés nés entre le 1er juillet 1951 et le 31 décembre 1951 ; 2° A raison de cinq mois par génération pour les assurés nés entre le 1er janvier 1952 et le 31 décembre 1954. L'article D. 161-2-1-9 du même code, précise : « L'âge prévu au second alinéa de l'article L 161-17-2 est fixé à : 1° Soixante ans pour les assurés nés avant le 1er juillet 1951 ; 2° Soixante ans et quatre mois pour les assurés nés entre le 1er juillet 1951 et le 31 décembre 1951 inclus ; 3° Soixante ans et neuf mois pour les assurés nés en 1952 (...) (souligné par la cour) ». Il résulte de ces dispositions que M. T... a, en principe, atteint l'âge 'légal' d'ouverture des droits à pension au 1er octobre 2013. Les dispositions de l'article L. 351-1-1 du code de la sécurité sociale envisagent une situation particulière (version applicable à l'espèce) : « L'âge prévu au premier alinéa de l'article L. 351-1 est abaissé, pour les assurés qui ont commencé leur activité avant un âge et dans des conditions déterminés par décret et ont accompli une durée totale d'assurance et de périodes reconnues équivalentes dans le régime général et, le cas échéant, dans un ou plusieurs autres régimes obligatoires, au moins égale à une limite définie par décret, tout ou partie de cette durée totale ayant donné lieu à cotisations à la charge de l'assuré. Un décret précise les modalités d'application du présent article et, notamment, les conditions dans lesquelles, le cas échéant, une partie des périodes de service national peut être réputée avoir donné lieu au versement de cotisations ». (souligné par la cour) L'article L. 351-1-2 du même code précise les conditions dans lesquelles une majoration de la pension peut intervenir : « La durée d'assurance ayant donné lieu à cotisations à la charge de l'assuré accomplie après l'âge prévu au premier alinéa de l'article L. 351-1 et au-delà de la limite mentionnée au deuxième alinéa du même article donne lieu à une majoration de la pension dans des conditions fixées par décret ». Toutefois, les bonifications de durée de services et majorations de durée d'assurance, à l'exclusion de celles accordées au titre des enfants et du handicap, prévues par les dispositions législatives et réglementaires, quel que soit le régime de retraite de base au titre duquel elles ont été acquises, ne sont pas prises en compte dans la durée d'assurance tous régimes confondus pour apprécier le dépassement de la limite mentionnée au premier alinéa. Un décret fixe la liste des bonifications et majorations auxquelles s'applique le présent alinéa. Le premier juge a considéré que cette disposition ne renvoyait qu'à l'article L. 351-1 du code de la sécurité sociale, tout comme, d'ailleurs, l'article D. 351-1-4 du même code, qui précise le mode de calcul de la majoration envisagée par l'article L. 351-1-2 : La majoration prévue à l'article L. 351-1-2 pour la période d'assurance accomplie après l'âge prévu au premier alinéa de l'article L. 351-1 et au-delà de la durée d'assurance et de périodes reconnues équivalentes mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 351-1 est égale, pour chaque trimestre accompli à compter du 1er janvier 2004 et avant le 1er janvier 2009, à : 1° 0,75 % du premier au quatrième trimestre ; 2° 1 % au-delà du quatrième trimestre ; 3° ou, quel que soit son rang, 1,25 % pour chaque trimestre accompli après le soixante-cinquième anniversaire de l'assuré. La majoration est égale à 1,25 % pour chaque trimestre accompli à compter du 1er janvier 2009. Pour l'application du présent article, il est retenu au titre de l'année au cours de laquelle l'assuré a atteint l'âge prévu au premier alinéa de l'article L. 351-1 ou soixante-cinq ans un nombre de trimestres égal au nombre de trimestres civils entiers suivant celui au cours duquel cet âge a été atteint. La durée d'assurance prise en compte au-delà de la limite mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 351-1 ne peut excéder quatre trimestres par année. La majoration prévue au présent article est calculée avant la majoration prévue à l'article L. 351-12. (souligné par la cour) Le premier juge a déduit de ces dispositions combinées que 'le point de départ de la période de référence de la surcote ne peut être fixé qu'à la date à laquelle l'assuré atteint l'âge létale de départ à la retraite tel que défini par l'article L. 351-1 du Code de la sécurité sociale, sous réserve qu'il remplisse par ailleurs à cette date la condition relative au nombre de trimestres cotisés ouvrant droit à une pensions vieillesse à taux plein'. En l'espèce, il est constant que M. T... a été assuré pendant sept trimestres avant l'âge de 20 ans. Il résulte des dispositions rappelées ci-dessus que, ce faisant, M. T... pouvait, conformément aux dispositions de l'article L. 351-1-1 du code de la sécurité sociale rappelées ci-dessus, prendre sa retraite à compter du 1er avril 2013, sans décote. Il est par ailleurs constant que M. T... a exercé une activité salariée et ce, jusqu'au 30 septembre 2016, date effective de prise de sa retraite. La cour considère que c'est à juste titre que M. T... sollicite dès lors que les trimestres correspondant soient pris en compte à partir du 1er avril 2013 et non à partir du 1er octobre 2013. En effet, la logique consistant à considérer que l'article L. 351-1-2 du code de la sécurité sociale, qui prévoit la possibilité d'une majoration, ne peut trouver à s'appliquer qu'à partir du moment où l'assuré, toutes choses égales par ailleurs, a atteint l'âge 'légal' de départ à la retraite déterminé par l'article L. 351-1 de ce code, ne résiste pas à la formulation retenue par le législateur pour adopter l'article L. 351-1-1 de ce code. Ce texte, également législatif, n'envisage pas une possibilité, il crée un droit, certain et immédiat : l'âge 'légal' (celui prévu à l'article L. 351-1) 'est abaissé'. L'emploi de l'indicatif a pour conséquence, comme il est constant en matière législative, que la disposition concernée est impérative. Dès lors, les dispositions de l'article L. 351-1 du code de la sécurité sociale ne peuvent être lues ni interprétées séparément de celles de l'article L. 351-1-1 du même code. L'âge 'légal' de départ à la retraite doit donc être modifié en conséquence. Il en résulte nécessairement, pour M. R., que la surcote éventuelle à laquelle il a droit doit être calculée à partir de cet âge 'légal' modifié, soit à partir du 1er avril 2013, comme il le sollicite, étant observé que la Caisse ne conteste au demeurant aucunement les calculs auxquels il a procédé pour parvenir à cette date. La cour, infirmant le jugement entrepris, fera droit à la demande de M. T... et ordonnera à la Caisse de rétablir l'assuré dans ses droits conformément à la présente décision, la majoration devant être calculée sur la base d'une surcote de 17,5 %, soit la somme de (1423,60 x 17,5 % =) 249,13 euros. Le montant mensuel brut de la pension de M. T... s'établit ainsi à la somme de (1423,60 + 249,13 =) 1 672,73 euros. La CNAV, qui succombe à l'instance, sera condamnée aux dépens d'appel. »
ALORS QUE la surcote est calculée en fonction de la durée d'assurance ayant donné lieu à cotisations à la charge de l'assuré accomplie après l'âge de départ à la retraite à taux plein prévu par l'article L. 351-1 du code de la sécurité sociale ; qu'en jugeant que, pour le calcul de cette surcote, il convenait de prendre en considération l'abaissement de l'âge de départ à la retraite applicable aux assurés ayant commencé leur activité avant un certain âge visé à l'article L. 351-1-1 du code de la sécurité sociale quand les dispositions régissant le montant de la surcote ne se réfèrent pas à cet article, la cour d'appel a violé les articles L. 351-1, L. 351-1-1, L. 351-1-2 et D. 351-1-4 du code de la sécurité sociale.