LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 24 mars 2021
Cassation
Mme BATUT, président
Arrêt n° 236 FS-P
Pourvoi n° V 19-21.254
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 24 MARS 2021
La société caisse régionale de Crédit mutuel [...], société coopérative à capital variable, dont le siège est [...] , ayant un établissement secondaire [...] , a formé le pourvoi n° V 19-21.254 contre l'arrêt rendu le 20 juin 2019 par la cour d'appel de Pau (2e chambre, section 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. H... G...,
2°/ à Mme C... W..., épouse G...,
domiciliés tous deux [...],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Serrier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la caisse régionale de Crédit mutuel [...], de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de M. et Mme G..., et l'avis de M. Lavigne, avocat général, après débats en l'audience publique du 2 février 2021 où étaient présents Mme Batut, président, M. Serrier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, Mme Teiller, MM. Avel, Mornet, Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Darret-Courgeon, conseillers, M. Vitse, Mmes Dazzan, Le Gall, Kloda, Champ, Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Lavigne, avocat général, et Mme Randouin, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 20 juin 2019), par acte du 7 mars 2009, la caisse régionale de Crédit mutuel [...] (la banque) a consenti à la société MGM moto (la société) un prêt de 160 000 euros. Le même jour, M. et Mme G... (les cautions) se sont portés cautions solidaires, à concurrence de 52 000 euros, des engagements de la société à l'égard de la banque.
2. La société ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque a assigné les cautions en paiement. Celles-ci lui ont opposé la disproportion de leur engagement.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. La banque fait grief à l'arrêt de dire que les engagements des cautions étaient manifestement disproportionnés à leurs patrimoines et revenus, de prononcer la déchéance de son droit de se prévaloir de ces engagements et de la condamner au paiement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors « que le caractère disproportionné d'un cautionnement s'apprécie par rapport à l'ensemble des revenus et biens de la caution, la valeur de ces derniers fût-elle diminuée à raison des hypothèques ou autres suretés réelles les grevant ; qu'en l'espèce, il ressortait des termes mêmes de la fiche de renseignements remplie par les cautions, que chacune d'elles avait déclaré un patrimoine composé d'une résidence principale (170 000 euros), d'une résidence secondaire (60 000 euros), de parts de SCI (660 000 euros), de terrains (170 000 euros), d'un fonds de commerce (500 000 euros) et d'une épargne mobilière (6 000 euros) ; qu'en appréciant la proportionnalité des engagements des cautions au seul regard de leur fonds de commerce et de leur épargne au motif que les autres éléments d'actifs déclarés étaient grevés d'hypothèques ou de sûretés, sans expliquer en quoi ces sûretés auraient été de nature à retirer toute valeur aux biens sur lesquels ils portaient, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 341-4, devenu L. 332-1 et L. 343-3, du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 341-4, devenu L. 332-1 du code de la consommation :
4. Il résulte de ce texte que pour apprécier la proportionnalité de l'engagement d'une caution au regard de ses biens et revenus, les biens, quoique grevés de sûretés, lui appartenant doivent être pris en compte, leur valeur étant appréciée en en déduisant le montant de la dette dont le paiement est garanti par ladite sûreté, évalué au jour de l'engagement de la caution.
5. Pour dire les engagements des cautions manifestement disproportionnés à leurs biens et revenus et déchoir la banque du droit de s'en prévaloir, l'arrêt relève que le patrimoine des deux cautions était grevé d'hypothèques ou de sûretés à l'exception du fonds de commerce d'une valeur déclarée de 500 000 euros et de leur épargne en assurance sur la vie d'une valeur de 6 000 euros, que leurs revenus mensuels sont de 3 000 et 3 500 euros et qu'ils ont déclaré un total d'emprunts à rembourser de 36 120 euros par an.
6. En se déterminant ainsi, sans préciser en quoi les sûretés auraient été de nature à retirer toute valeur aux biens qu'elles grevaient, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Et sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
7. La banque fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en l'absence d'anomalie apparente, le créancier n'a pas à vérifier l'exactitude des déclarations d'une caution quant à ses biens et revenus ; que lors de la conclusion du contrat de cautionnement, c'est à la caution qu'il revient d'apporter spontanément au créancier tous les éléments d'information sur sa situation patrimoniale et financière de nature à apprécier la proportionnalité de son engagement et non à la banque qu'il revient d'interroger de manière précise les cautions ; qu'en jugeant que les informations relatives au cautionnement antérieurement conclu par les cautions n'avaient pas à être apportées à la banque, dans la mesure où une telle information n'était pas expressément demandée dans les fiches de renseignements fournies par la banque, cependant que c'était aux cautions qu'il incombait d'apporter à la banque tous les éléments de nature à apprécier la proportion de leur engagement, la cour d'appel de Pau a violé l'article L. 341-4, devenu L. 332-1 et L. 343-3, du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 341-4, devenu L. 332-1 du code de la consommation et 1134, alinéa 3, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
8. Il résulte de ces textes que la caution qui a rempli, à la demande de la banque, une fiche de renseignements relative à ses revenus et charges annuels et à son patrimoine, dépourvue d'anomalies apparentes sur les informations déclarées, ne peut, ensuite, soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu'elle a déclarée au créancier.
9. Pour dire les engagements des cautions manifestement disproportionnés à leurs biens et revenus et déchoir la banque du droit de s'en prévaloir, l'arrêt relève que les cautions s'étaient déjà engagées, l'une et l'autre, en qualité de caution personnelle et solidaire à concurrence de 214 500 euros auprès d'une autre banque moins de cinq mois avant les engagements litigieux, mais que cette information n'avait pas à figurer sur les fiches de renseignements, celle-ci ne leur ayant pas été demandée.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne M. et Mme G... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre mars deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la caisse régionale de Crédit mutuel [...]
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que les engagements de caution de Monsieur G... et de Madame W..., épouse G..., étaient manifestement disproportionnés à leurs patrimoine et revenus, d'AVOIR dit que la CRCAM était déchue du droit de se prévaloir de ces engagements, et d'AVOIR condamné la CRCAM au paiement de la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE « Les époux G... opposent à la demande en paiement de la CRCAM le caractère manifestement disproportionné de leurs engagements respectifs de caution à leurs patrimoine et revenus.
Les dispositions de l'article L341-4 du code de la consommation, devenu L332-1 depuis le 1er juillet 2016, selon lesquelles « un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci appelée, ne lui permette de faire face à son obligation », sont applicables aux cautionnements souscrits après l'entrée en vigueur de cet article issu de la loi n°2003-721 du 1er août 2003 publiée au JO du 5 août.
Cette disposition s'applique à toute caution personne physique qui s'est engagée au profit d'un créancier professionnel. Il importe peu qu'elle soit caution profane ou avertie ni qu'elle ait la qualité de dirigeant social.
Il convient d'apprécier la disproportion manifeste de l'engagement à la situation de revenus et de patrimoine de la caution pour chaque acte de cautionnement successif à la date de l'engagement de caution.
L'engagement de caution ne doit pas être manifestement disproportionné aux biens et revenus déclarés par la caution, dont le créancier, en l'absence d'anomalies apparentes, n'a pas à vérifier l'exactitude.
La proportionnalité de l'engagement de la caution ne peut être appréciée au regard des revenus escomptés de l'opération garantie.
La sanction du caractère manifestement disproportionné de l'engagement de la caution est l'impossibilité pour le créancier de se prévaloir de cet engagement.
Il appartient à la caution de rapporter la preuve du caractère manifestement disproportionné de son engagement à la date où l'engagement a été souscrit.
Enfin, il résulte de la combinaison des articles 1315 du code civil et L341-4 du code de la consommation qu'il incombe au créancier professionnel qui entend se prévaloir d'un contrat de cautionnement manifestement disproportionné lors de sa conclusion aux biens et revenus de la caution, personne physique, d'établir qu'au moment où il l'appelle, le patrimoine de celui-ci permet de faire face à son obligation.
En l'espèce, les époux G..., qui s'engageaient, chacun en qualité de caution personnelle et solidaire de la SARL MGM Moto, pour un montant de 52.000 euros le 7 mars 2009 exposent qu'ils avaient un patrimoine et des charges annuelles tels que mentionnés dans les fiches de renseignements du 13 février 2009 produites par la CRCAM en pièce 10 mais que ces fiches ne mentionnaient pas leurs engagements de caution à défaut d'interrogation de la CRCAM sur ce point dans lesdites fiches.
A l'examen des fiches de renseignements, la cour constate que le patrimoine des deux cautions était grevé d'hypothèques ou de sûretés à l'exception du fonds de commerce d'une valeur déclarée de 500.000 euros et de leur épargne en assurances vie d'une valeur de 6.000 euros.
Par ailleurs, ils confirment dans leurs conclusions que leurs revenus déclarés sont des revenus mensuels, et non annuels comme indiqués par erreur dans la fiche, soit 3.000 euros mensuels pour H... G... et 3.500 euros mensuels pour C... G....
Ils ont déclaré un total d'emprunts à rembourser de 36.120 euros par an.
Ils justifient qu'au-delà des seules mentions figurant sur la fiche de renseignements, ils s'étaient engagés, l'un et l'autre, en qualité de caution personnelle et solidaire à concurrence de 214.500 euros auprès de la Société Générale le 8 octobre 2008, soit moins de 5 mois avant leurs engagements de caution litigieux.
Cette information n'avait pas à figurer sur les fiches de renseignements que la CRCAM leur a demandé de remplir avant leur engagement de caution en 2009 puisque cette information ne leur était pas demandée. Ils ont donc rempli de bonne foi les fiches de renseignements sans indiquer cet engagement d'un montant très significatif.
Il s'agit d'une anomalie apparente de la fiche puisque si la CRCAM n'avait pas à vérifier la véracité des indications mentionnées sur la fiche de renseignements, elle devait cependant interroger précisément la caution sur sa situation financière pour déterminer le caractère disproportionné de son engagement.
L'engagement de caution de 2008 auprès de la Société Générale est donc opposable à la CRCAM pour chaque caution dans l'appréciation du caractère manifestement disproportionné de leur engagement.
En tenant compte de la valeur déclarée du fonds de commerce de 500.000 euros et de l'épargne assurance vie, chaque caution disposait d'un patrimoine net de 38.500 euros (=250.000 +3.000 - 214.500).
Ils devaient couvrir le solde de leur engagement personnel de caution de 52.000 euros avec leurs seuls revenus soit 13.500 euros (=52.000-38.500) chacun,
Sachant qu'ils ont déclaré devoir assumer des remboursements annuels de prêts de 36.120 euros pour le couple, le taux d'endettement, pour couvrir l'engagement, sur un ou deux ans, serait bien supérieurs à 50% de leurs revenus respectifs.
La cour en déduit que l'engagement est donc manifestement disproportionné par rapport à leur patrimoine et revenus sachant qu'ils avaient à charge deux enfants.
La CRCAM, qui en supporte la charge de la preuve, ne justifie de la capacité des cautions à répondre de la créance qu'elle réclame à la date de l'assignation du 18 juillet 2016.
La CRCAM est donc déchue du droit de se prévaloir de actes de cautionnements des époux G... du 7 mars 2009. »
1°) ALORS QUE le caractère disproportionné d'un cautionnement s'apprécie par rapport à l'ensemble des revenus et biens de la caution, la valeur de ces derniers fût-elle diminuée à raison des hypothèques ou autres suretés réelles les grevant ; qu'en l'espèce, il ressortait des termes mêmes de la fiche de renseignements remplie par les cautions, que chacune d'elles avait déclaré un patrimoine composé d'une résidence principale (170.000 euros), d'une résidence secondaire (60.000 euros), de parts de SCI (660.000 euros), de terrains (170.000 euros), d'un fonds de commerce (500.000 euros) et d'une épargne mobilière (6.000 euros) ; qu'en appréciant la proportionnalité des engagements des cautions au seul regard de leur fonds de commerce et de leur épargne au motif que les autres éléments d'actifs déclarés étaient grevés d'hypothèques ou de sûretés, sans expliquer en quoi ces sûretés auraient été de nature à retirer toute valeur aux biens sur lesquels ils portaient, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 341-4, devenu L. 332-1 et L. 343-3, du code de la consommation ;
2°) ALORS QU' en l'absence d'anomalie apparente, le créancier n'a pas à vérifier l'exactitude des déclarations d'une caution quant à ses biens et revenus ; que lors de la conclusion du contrat de cautionnement, c'est à la caution qu'il revient d'apporter spontanément au créancier tous les éléments d'information sur sa situation patrimoniale et financière de nature à apprécier la proportionnalité de son engagement et non à la banque qu'il revient d'interroger de manière précise les cautions ; qu'en jugeant que les informations relatives au cautionnement antérieurement conclu par les époux G... n'avaient pas à être apportées à la CRCAM, dans la mesure où une telle information n'était pas expressément demandée dans les fiches de renseignements fournies par la banque, cependant que c'était aux époux G... qu'il incombait d'apporter à la banque tous les éléments de nature à apprécier la proportion de leur engagement, la cour d'appel de Pau a violé l'article L. 341-4, devenu L. 332-1 et L. 343-3, du code de la consommation ;
3°) ALORS QU' en l'absence d'anomalie apparente, le créancier n'a pas à vérifier l'exactitude des déclarations d'une caution quant à ses biens et revenus ; qu'une anomalie apparente n'est caractérisée que lorsque les informations apportées au créancier sont entachées d'inexactitudes suffisamment grossières pour faire naitre un doute sur leur véracité ; qu'en jugeant que l'absence de question sur les engagements de cautions antérieurs dans les fiches de renseignement fournies par la CRCAM constituait une anomalie apparente, la cour d'appel de Pau a violé l'article L. 341-4, devenu L. 332-1 et L. 343-3, du code de la consommation.