LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 17 mars 2021
Rejet
Mme BATUT, président
Arrêt n° 232 F-D
Pourvoi n° Y 19-19.118
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 17 MARS 2021
M. R... X... dit L..., domicilié [...] ), a formé le pourvoi n° Y 19-19.118 contre l'arrêt rendu le 18 juin 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 1), dans le litige l'opposant au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général, service civil, [...].
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Azar, conseiller référendaire, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. L..., et l'avis de M. Sassoust, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 janvier 2021 où étaient présentes Mme Batut, président, Mme Azar, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 juin 2019), M. R... L... est né le [...] à Paris, de C... U... X... qui l'a reconnu le 16 mai 1951. Le 18 avril 1960, il a été reconnu, devant notaire, par S... L..., puis légitimé par le mariage de ce dernier avec C... X..., célébré le 5 mars 1977. Par requête en date du 25 août 2015, M. L... a sollicité la rectification judiciaire de son acte de naissance, invoquant l'inexistence de l'acte de reconnaissance de paternité dont il a fait l'objet.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
2. M. L... fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes, alors :
« 1°/ qu'est inexistant l'acte dépourvu d'un élément essentiel ; qu'il en est ainsi de l'acte de reconnaissance de paternité qui ne comporte pas les mentions nécessaires quant à l'identité des parties dans l'unique dessein de dissimuler le caractère illicite de la reconnaissance effectuée ; qu'en jugeant pourtant que les « irrégularités alléguées, de fond comme de forme, à les supposer établies, n'ont pas d'incidence sur l'existence même de l'acte de reconnaissance d'S... L... puis sur la légitimation intervenue du fait du mariage entre ce dernier et la mère du requérant », alors que l'acte du 18 avril 1960 ne réunissait pas les conditions élémentaires nécessaires qui permettent à un acte authentique d'exister, la cour d'appel a violé les articles 334 et 335 du code civil en vigueur en 1960 lesquels renvoyaient aux dispositions de la loi du 25 Ventôse An XI ;
2°/ que les motifs d'une décision juridictionnelle doivent permettre de déterminer, suivant une interprétation raisonnable, son fondement juridique ; qu'en déclarant prescrite l'action en contestation de paternité intentée par M. X... dit L..., sans que sa motivation ne permette de déterminer de quel régime de prescription elle avait fait application, la cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 12 et 455 du code de procédure civile ;
3°/ que la prescription commence à courir à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; qu'en l'espèce, M. X... dit L... faisait valoir dans ses conclusions que « le point de départ de la prescription est le jour où le requérant a connaissance de la fraude et, ce point de départ est, dans le cas d'espèce, le 10 février 2010 », jour où l'exposant a découvert que l'acte de reconnaissance du 18 avril 1960 était frauduleux ; qu'en s'abstenant de répondre au moyen formulé par M. X... dit L..., la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ que toute restriction au droit à la connaissance de ses origines doit être nécessaire et proportionnée ; qu'il appartient au juge d'apprécier si, concrètement, dans l'affaire qui lui est soumise, l'impossibilité pour une personne de contester sa filiation ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale tel que garanti par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en retenant que « la recherche de la vérité biologique ou de la connaissance des origines, telles qu'invoquées par l'appelant ne sauraient justifier qu'il soit dérogé aux règles issues des articles 332 et suivants du code civil » sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si, concrètement, dans l'affaire qui lui était soumise, l'application des règles de prescription ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l'exposant, la cour d'appel a refusé d'opérer le contrôle de proportionnalité qui lui incombait et a ainsi violé l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
5°/ que toute restriction au droit à la connaissance de ses origines doit être nécessaire et proportionnée ; qu'il appartient au juge d'apprécier si, concrètement, dans l'affaire qui lui est soumise, l'impossibilité pour une personne de contester sa filiation ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale tel que garanti par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, pour refuser de rechercher si, concrètement, dans l'affaire qui lui était soumise, l'application des règles de prescription ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l'exposant, la cour d'appel a retenu que M. X... dit L... « n'apporte aucun élément accréditant l'absence de possession d'état d'enfant d'S... L... » ; qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait elle-même relevé que l'exposant invoquait « le caractère mensonger, irrégulier voire frauduleux » de la reconnaissance de paternité et que l'application des règles de prescription est indépendante du bien-fondé de l'action, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
3. La cour d'appel ayant retenu que la demande de M. L... tendant à faire reconnaître l'inexistence de l'acte de reconnaissance de paternité s'analysait en une action en contestation de paternité et que celle-ci était irrecevable comme présentée par la voie d'une requête, sa décision se trouve, par ces seuls motifs, légalement justifiée.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. L... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept mars deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour M. L....
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré M. L... irrecevable en ses demandes ;
AUX MOTIFS QUE « M. L... soutient que les mentions portées sur son acte de naissance selon lesquelles il a été reconnu par S... L... puis légitimé par le mariage de celui-ci et de sa mère résultent d'actes inexistants, inauthentiques et illicites de sorte que la prescription de son action ne peut lui être opposée ;
Mais que c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu que la théorie de l'inexistence des actes de l'état civil concernant l'intéressé et des mentions portées sur son acte de naissance ne saurait s'appliquer en l'espèce ; que comme le souligne le ministère public, les irrégularités alléguées, de fond comme de forme, à les supposer établies, n'ont pas d'incidence sur l'existence même de l'acte de reconnaissance paternelle de S... L... puis sur la légitimation intervenue du fait du mariage entre ce dernier et la mère du requérant, mais seulement sur la validité de ces actes ;
Que la demande du requérant s'analyse en la demande d'annulation de l'acte de reconnaissance paternelle de l'intéressé par S... L... et des actes subséquents ; que l'appelant soutient en effet que sa demande est fondée sur leur caractère mensonger, irrégulier voire frauduleux ; qu'or, comme le rappelle justement le ministère public, l'action en contestation de paternité est prescrite en application des dispositions des articles 332 et suivants du code civil ;
Que M. L... soutient encore que la prescription qui lui est opposée est contraire aux articles 2 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais que l'article 2 de cette convention, relative au droit à la vie, n'a pas vocation à s'appliquer en l'espèce ; que s'agissant de l'article 8 de la même convention, la réglementation des conditions et des délais de l'action en contestation de la filiation répond à une situation objective particulière dans laquelle se trouve toutes les personnes bénéficiant d'une possession d'état, en distinguant selon la durée de celle-ci afin de stabiliser leur état, dans un but d'intérêt général et en rapport avec l'objet de la loi qui a recherché un équilibre entre les composantes biologique et affective de la filiation, dans le respect de la vie privée et familiale des intéressés ; que la recherche de la vérité biologique ou de la connaissance des origines, telles qu'invoquées par l'appelant ne sauraient justifier qu'il soit dérogé aux règles issues des articles 332 et suivants du code civil, étant précisé que celui-ci n'apporte aucun élément accréditant l'absence de possession d'état d'enfant de S... L... ;
Qu'au surplus, les demandes de M. L... sont irrecevables en tant qu'elles ont été présentées sous la forme de requête devant le tribunal ;
Que les demandes de M. L... sont donc irrecevables » ;
1°/ ALORS QU' est inexistant l'acte dépourvu d'un élément essentiel ; qu'il en est ainsi de l'acte de reconnaissance de paternité qui ne comporte pas les mentions nécessaires quant à l'identité des parties dans l'unique dessein de dissimuler le caractère illicite de la reconnaissance effectuée ; qu'en jugeant pourtant que les « irrégularités alléguées, de fond comme de forme, à les supposer établies, n'ont pas d'incidence sur l'existence même de l'acte de reconnaissance de S... L... puis sur la légitimation intervenue du fait du mariage entre ce dernier et la mère du requérant », alors que l'acte du 18 avril 1960 ne réunissait pas les conditions élémentaires nécessaires qui permettent à un acte authentique d'exister, la Cour d'appel a violé les articles 334 et 335 du code civil en vigueur en 1960 lesquels renvoyaient aux dispositions de la loi du 25 Ventôse An XI ;
2°/ ALORS QUE les motifs d'une décision juridictionnelle doivent permettre de déterminer, suivant une interprétation raisonnable, son fondement juridique ; qu'en déclarant prescrite l'action en contestation de paternité intentée par M. R... X... dit L..., sans que sa motivation ne permette de déterminer de quel régime de prescription elle avait fait application, la Cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble les articles 12 et 455 du code de procédure civile ;
3°/ ALORS QUE la prescription commence à courir à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; qu'en l'espèce, M. R... X... dit L... faisait valoir dans ses conclusions que « le point de départ de la prescription est le jour où le requérant a connaissance de la fraude et, ce point de départ est, dans le cas d'espèce, le 10 février 2010 » (v. production n°2 p. 11), jour où l'exposant a découvert que l'acte de reconnaissance du 18 avril 1960 était frauduleux ; qu'en s'abstenant de répondre au moyen formulé par M. R... X... dit L..., la Cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ ALORS QUE toute restriction au droit à la connaissance de ses origines doit être nécessaire et proportionnée ; qu'il appartient au juge d'apprécier si, concrètement, dans l'affaire qui lui est soumise, l'impossibilité pour une personne de contester sa filiation ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale tel que garanti par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'en retenant que « la recherche de la vérité biologique ou de la connaissance des origines, telles qu'invoquées par l'appelant ne sauraient justifier qu'il soit dérogé aux règles issues des articles 332 et suivants du code civil » sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si, concrètement, dans l'affaire qui lui était soumise, l'application des règles de prescription ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l'exposant, la cour d'appel a refusé d'opérer le contrôle de proportionnalité qui lui incombait et a ainsi violé l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
5°/ ALORS QUE toute restriction au droit à la connaissance de ses origines doit être nécessaire et proportionnée ; qu'il appartient au juge d'apprécier si, concrètement, dans l'affaire qui lui est soumise, l'impossibilité pour une personne de contester sa filiation ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale tel que garanti par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ; que, pour refuser de rechercher si, concrètement, dans l'affaire qui lui était soumise, l'application des règles de prescription ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l'exposant, la cour d'appel a retenu que M. R... X... dit L... « n'apporte aucun élément accréditant l'absence de possession d'état d'enfant de M. S... L... » ; qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait elle-même relevé que l'exposant invoquait « le caractère mensonger, irrégulier voire frauduleux » de la reconnaissance de paternité et que l'application des règles de prescription est indépendante du bien-fondé de l'action, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.