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17/03/2021 | FRANCE | N°19-12586

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 17 mars 2021, 19-12586


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

IK

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 17 mars 2021

Rejet

M. CATHALA, président

Arrêt n° 344 FS-D

Pourvoi n° Y 19-12.586

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 17 MARS 2021

M. E... N..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° Y 19-12.586 contre l'arrêt rendu le 19

décembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 6), dans le litige l'opposant à la Société générale, dont le siège est [...] , défe...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

IK

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 17 mars 2021

Rejet

M. CATHALA, président

Arrêt n° 344 FS-D

Pourvoi n° Y 19-12.586

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 17 MARS 2021

M. E... N..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° Y 19-12.586 contre l'arrêt rendu le 19 décembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 6), dans le litige l'opposant à la Société générale, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Prache, conseiller référendaire, les observations de Me Le Prado, avocat de M. N..., de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Société générale, et l'avis de Mme Grivel, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 janvier 2021 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Prache, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leprieur, conseiller doyen, M. Pietton, Mmes Le Lay, Mariette, M. Barincou, conseillers, Mme Duvallet, M. Le Corre, Mme Marguerite, conseillers référendaires, Mme Grivel, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 décembre 2018), M. N... a été engagé par la Société générale à compter du 1er août 2000 en qualité de ''chargé de middle office''. Il occupait en dernier lieu les fonctions de''trader junior''.

2. Il a été convoqué par lettre du 25 janvier 2008 à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement. Le 25 janvier 2008, la Société générale a déposé plainte à l'encontre de M. N.... Elle l'a licencié pour faute lourde le 12 février 2008, aux motifs qu'il avait pris, principalement en 2007 et début 2008, des positions directionnelles sur différents indices boursiers d'un montant sans commune mesure avec la limite de risque de son activité et les avait dissimulées de manière frauduleuse, occasionnant ainsi un préjudice considérable à la banque.

3. Par arrêt du 24 octobre 2012, définitif en ses dispositions pénales, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement du tribunal correctionnel du 5 octobre 2010 ayant déclaré M. N... coupable d'introduction frauduleuse de données dans un système de traitement automatisé au cours des années 2005, 2006, 2007 et jusqu'au 19 janvier 2008, de faux par altération frauduleuse de la vérité dans un écrit et usage de faux, faits commis au cours de l'année 2007 et jusqu'au 19 janvier 2008, et d'abus de confiance, faits commis au cours des années 2005, 2006, 2007 et jusqu'au 19 janvier 2008. Par arrêt du 19 mars 2014 (Crim., 19 mars 2014, pourvoi n° 12-87.416, Bull. crim. 2014, n° 86), la Cour de cassation a cassé partiellement cette décision en ses seules dispositions civiles, et renvoyé sur ce point l'affaire et les parties devant la cour d'appel de Versailles. Par arrêt du 23 septembre 2016, la cour d'appel de Versailles a déclaré M. N... partiellement responsable du préjudice causé à la Société générale, fixé à la somme de 4 915 610 154 euros, et l'a condamné à lui payer la somme d'un million d'euros.

4. M. N... avait saisi la juridiction prud'homale le 11 février 2013 pour contester son licenciement et obtenir le paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

Examen des moyens

Sur les troisième et quatrième moyens, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. M. N... fait grief à l'arrêt de dire son licenciement fondé sur une faute grave, de le débouter de ses demandes en paiement des indemnités de rupture, d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages-intérêts pour circonstances vexatoires et pour préjudice d'image et d'un bonus pour l'année 2007, alors « que l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'impose au juge civil que relativement aux faits constatés dans les motifs de la décision pénale qui constituent le soutien nécessaire de la condamnation pénale définitive ; que l'absence de connaissance par la victime de l'abus commis à son préjudice ne constitue pas le soutien nécessaire de la condamnation pénale pour abus de confiance ; qu'en jugeant néanmoins que l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 24 octobre 2012 ayant déclaré M. N... coupable d'abus de confiance et l'arrêt de la Cour de cassation du 19 mars 2014 ayant rejeté le pourvoi à l'encontre de ses dispositions pénales s'imposaient à elle quant au constat de l'absence de connaissance par la Société générale des faits imputés à M. N..., à raison de ce que le délit d'abus de confiance ''exclut la connaissance par le mandant de l'abus qui est fait du mandat'', la cour d'appel a violé le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, ensemble les articles 314-1 du code pénal et L. 1332-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

7. L'autorité de la chose jugée au pénal s'étend aux motifs qui sont le soutien nécessaire du chef de dispositif prononçant la décision.

8. La cour d'appel a constaté que, pour rejeter le pourvoi de M. N... formé contre les dispositions pénales de l'arrêt du 24 octobre 2012 le déclarant coupable d'abus de confiance, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait relevé les motifs des juges du fond selon lesquels la Société générale n'avait pas eu connaissance des activités de son salarié qui les lui avaient dissimulées.

9. Elle en a exactement déduit que ces motifs de l'arrêt pénal relatifs à la dissimulation à la victime des faits commis à son préjudice constituaient le soutien nécessaire de la condamnation pénale prononcée du chef d'abus de confiance, ce dont il résultait que les faits identiques visés dans la lettre de licenciement n'étaient pas prescrits, et fait ainsi une exacte application du principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

11. M. N... fait les mêmes griefs à l'arrêt, alors « que la faute grave, privative des indemnités de rupture, est exclue quand la faute du salarié a été provoquée ou permise par le comportement de l'employeur ; que, pour juger que le licenciement reposait sur une faute grave, la cour d'appel a retenu que ''les carences graves du système de contrôle interne de la banque aient rendu possible le développement de la fraude et ses conséquences financières ne fait pas perdre aux fautes de M. N... leur degré de gravité'' ; qu'en statuant de la sorte, sans s'expliquer, ainsi qu'elle y était invitée, sur les multiples carences et manquements de la Société générale relevés par la cour d'appel de Versailles, statuant sur renvoi après cassation, dans son arrêt du 23 septembre 2016, laquelle avait considéré qu'elles constituaient ''non pas des négligences ponctuelles dépassant la répétition de simples défaillances individuelles, mais des choix managériaux qui ont privilégié la prise de risques au profit de la rentabilité'', que la ''Société générale a laissé se développer un système déficient qui a permis la conception et la réalisation des infractions commises par E... N...'', que ''cette organisation défaillante et cette accumulation de manquements en matière de sécurité et de surveillance des risques a permis la commission des délits et retardé leur détection'' et que ''les fautes multiples commises par la banque ont eu un rôle majeur et déterminant dans le processus causal à l'origine du très important préjudice qui en a résulté pour elle'', la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1232-1, L. 1235-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail dans leur rédaction en vigueur. »

Réponse de la Cour

12. La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

13. La cour d'appel a d'abord constaté que la faute du salarié résultait des multiples procédés frauduleux utilisés pendant de longs mois afin de détourner, à l'insu de l'employeur et dans son intérêt personnel, les moyens techniques et financiers mis à sa disposition, en réalisant clandestinement des opérations hors norme et en dissimulant des positions directionnelles devenues abyssales, faisant ainsi courir à la banque des risques majeurs.

14. Puis ayant retenu que les carences graves du système de contrôle interne de la banque, qui avaient rendu possible le développement de la fraude et ses conséquences financières, ne faisaient pas perdre à la faute du salarié son degré de gravité, la cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. N... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept mars deux mille vingt et un.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par Me Le Prado, avocat aux Conseils, pour M. N...

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué :

D'AVOIR, réformant le jugement déféré, dit que le licenciement de M. N... par la Société générale est fondé sur une faute grave et, en conséquence, débouté M. N... de ses demandes en paiement des indemnités de rupture, d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages et intérêts pour circonstances vexatoires et pour préjudice d'image et d'un bonus pour l'année 2007 ;

AUX MOTIFS QUE « la charge de la preuve de la gravité de la faute lourde, comme celle de la faute privative des indemnités de préavis et de licenciement, incombe à l'employeur étant rappelé que la faute lourde se définit comme celle commise dans l'intention de nuire à l'employeur ou à l'entreprise, la faute grave, quant à elle, résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis sans risque de compromettre les intérêts légitimes de l'employeur. Il appartient au juge de qualifier le degré de gravité de la faute. En l'espèce la lettre de licenciement est motivée comme suit : « Il vous est reproché dans le cadre de l'exercice de vos fonctions, les agissements suivants : Vous avez pris, principalement en 2007 et début 2008, des positions directionnelles sur différents indices boursiers européens, d'un montant considérable (de l'ordre de 50 milliards d'euros) sans commune mesure avec la limite de risque de votre activité (125 millions d'euros). Vous avez dissimulé ces positions directionnelles de manière frauduleuse, notamment par de nombreuses opérations fictives et la falsification de documents censés justifier ces opérations. Au total, ces agissements ont causé un préjudice considérable tant sur le plan financier, de l'ordre de 4,9 milliards d'euros, que sur le plan de l'image de l'entreprise. En conséquence, la Société générale, considérant que ces agissements sont d'une extrême gravité, prononce votre licenciement pour faute professionnelle lourde dans le cadre de l'article 27 de la Convention Collective de la banque ». (
) Monsieur N... se prévaut des dispositions de l'article L. 1332-4 du code du travail qui précise que « Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ». La Société générale soutient qu'elle n'a eu connaissance des faits imputés à Monsieur N... que le 18 janvier 2008 et qu'elle a donc engagé la procédure de licenciement dès le 25 janvier 2008, soit dans le délai de deux mois susvisé. Elle invoque l'autorité de la chose jugée au pénal. L'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil est absolue. Elle s'attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé. L'arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 24 octobre 2012 a définitivement déclaré Monsieur N... coupable des faits visés par la prévention, plus précisément : -d'avoir au cours des années 2005, 2006, 2007, jusqu'au 19 janvier 2008 détourné au préjudice de la Société générale des fonds, des valeurs ou biens quelconques qui lui avaient été remis et qu'il avait acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé, au mépris des prérogatives qui lui étaient confiées et au-delà de la limite autorisée, c'est à dire 125 millions d'euros pour le "desk" Delta One, en utilisant des moyens remis par la banque, aux fins d'opérations à haut risque dépourvues de toute couverture alors qu'ils devaient être employés exclusivement dans le cadre d'opérations d'animation (Market making) et de couverture en risque des produits dérivés, d'arbitrage pour compte propre sur les turbos warrants émis par les établissements concurrents et de prise de positions directionnelles ab initio encadrées en intraday ; -d'avoir, pendant la même période, introduit frauduleusement des données dans un système de traitement automatisé, en l'espèce par : la saisie puis l'annulation d'opérations fictives destinées à dissimuler tant les risques de marché que les résultats latents des positions directionnelles non autorisées, la saisie de couples de transactions fictives d'achat/vente pour des quantités identiques sur un même produit mais à un prix différent dans le but de dégager un résultat fictif compensant le résultat réellement dégagé et portant ainsi la position nette à zéro, la saisie de provisions en cours de mois permettant ainsi d'annuler, et donc de dissimuler sur cette période, un résultat précédemment dégagé ; - d'avoir au cours de l'année 2007 et jusqu'au 19 janvier 2008 altéré frauduleusement la vérité, altération de nature à causer un préjudice à la Société générale, et accompli par quelque moyen que ce soit, (...) des faux, en l'espèce, par la création de courriers électroniques qui engageaient comptablement, financièrement et juridiquement la banque; sont précisément visés sept courriels falsifiés transférés entre le 11 mai 2007 et, pour les deux derniers, le 18 janvier 2008, et d'en avoir fait usage. La comparaison entre les tenues de la prévention et les motifs de la lettre de licenciement démontre l'identité des faits imputés à Monsieur N... dans le cadre pénal et dans le cadre de la rupture de son contrat de travail. La chambre criminelle de la Cour de cassation, dans son arrêt en date du 19 mars 2014, pour rejeter le pourvoi de M. N... sur les dispositions pénales de l'arrêt susvisé déclarant M. N... coupable d'abus de confiance, lequel exclut la connaissance par le mandant de l'abus qui est fait du mandat, relève, que le juge pénal dans son appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui étaient soumis, a adopté des motifs « dont il résulte que la Société générale n'a pas eu connaissance des activités de son salarié, qui les lui a dissimulées » ; elle a également rejeté le pourvoi de Monsieur N... concernant sa déclaration de culpabilité sur les autres chefs de prévention. Il se déduit nécessairement et expressément de ces décisions que les faits commis par M. N... ont été dissimulés à l'employeur jusqu'au 18 janvier 2008, date des deux derniers faux et de leur usage. En conséquence, c'est en méconnaissance de l'autorité de la chose jugée au pénal, qui s'impose à la juridiction prud'homale, que le premier juge a dit que les faits reprochés à Monsieur N... par la lettre de licenciement étaient prescrits. Ce moyen sera rejeté » ;

ALORS QUE l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'impose au juge civil que relativement aux faits constatés dans les motifs de la décision pénale qui constituent le soutien nécessaire de la condamnation pénale définitive ; que l'absence de connaissance par la victime de l'abus commis à son préjudice ne constitue pas le soutien nécessaire de la condamnation pénale pour abus de confiance ; qu'en jugeant néanmoins que l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 24 octobre 2012 ayant déclaré M. N... coupable d'abus de confiance et l'arrêt de la Cour de cassation du 19 mars 2014 ayant rejeté le pourvoi à l'encontre de ses dispositions pénales s'imposaient à elle quant au constat de l'absence de connaissance par la Société générale des faits imputés à M. N..., à raison de ce que le délit d'abus de confiance « exclut la connaissance par le mandant de l'abus qui est fait du mandat », la cour d'appel a violé le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, ensemble les articles 314-1 du code pénal et L. 1332-4 du code du travail.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
(SUBSIDIAIRE)

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué :

D'AVOIR, réformant le jugement déféré, dit que le licenciement de M. N... par la Société générale est fondé sur une faute grave et, en conséquence, débouté M. N... de ses demandes en paiement des indemnités de rupture, d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages et intérêts pour circonstances vexatoires et pour préjudice d'image et d'un bonus pour l'année 2007 ;

AUX MOTIFS QUE « la charge de la preuve de la gravité de la faute lourde, comme celle de la faute privative des indemnités de préavis et de licenciement, incombe à l'employeur étant rappelé que la faute lourde se définit comme celle commise dans l'intention de nuire à l'employeur ou à l'entreprise, la faute grave, quant à elle, résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis sans risque de compromettre les intérêts légitimes de l'employeur. Il appartient au juge de qualifier le degré de gravité de la faute. En l'espèce la lettre de licenciement est motivée comme suit : « Il vous est reproché dans le cadre de l'exercice de vos fonctions, les agissements suivants : Vous avez pris, principalement en 2007 et début 2008, des positions directionnelles sur différents indices boursiers européens, d'un montant considérable (de l'ordre de 50 milliards d'euros) sans commune mesure avec la limite de risque de votre activité (125 millions d'euros). Vous avez dissimulé ces positions directionnelles de manière frauduleuse, notamment par de nombreuses opérations fictives et la falsification de documents censés justifier ces opérations. Au total, ces agissements ont causé un préjudice considérable tant sur le plan financier, de l'ordre de 4,9 milliards d'euros, que sur le plan de l'image de l'entreprise. En conséquence, la Société générale, considérant que ces agissements sont d'une extrême gravité, prononce votre licenciement pour faute professionnelle lourde dans le cadre de l'article 27 de la Convention Collective de la banque ». (
) C'est également en vain, au regard de l'autorité de la chose jugée au pénal, que Monsieur N... conteste la réalité des faits qui lui sont imputés et leur caractère fautif. La cour d'appel de Versailles, dans son arrêt en date du 23 septembre 2016, rappelle justement que "la faute de Monsieur N... résulte de sa condamnation pénale définitive qui détaille les multiples procédés frauduleux utilisés pendant de longs mois par le condamné afin de détourner, à l'insu de l'employeur, les moyens techniques et financiers mis à sa disposition, en réalisant clandestinement des opérations hors norme, dans un intérêt personnel puisqu'il était le seul à être intéressé à la fraude, une partie de son résultat officiel provenant d'ailleurs de ses positions, mais aussi pour dissimuler ses positions directionnelles devenues abyssales". Enfin, la cour d'appel de Paris a définitivement jugé que le préjudice consécutif aux agissements de Monsieur N... s'élève à la somme de 4 915 610 154 euros. La compétence du salarié, son niveau de responsabilité, ne lui permettaient pas d'ignorer les risques majeurs qu'il a fait courir à son employeur en prenant des positions directionnelles de l'ordre de 50 milliards d'euros alors que les fonds propres de la Société Générale s'élevaient au 31 décembre 2007 à 31,275 milliards d'euros. Que les carences graves du système de contrôle interne de la banque aient rendu possible le développement de la fraude et ses conséquences financières ne fait pas perdre aux fautes de Monsieur N... leur degré de gravité. En revanche, les éléments du dossier ne permettent pas d'établir que Monsieur N... a agi pour un autre motif que celui de poursuivre son intérêt personnel, dans un esprit de lucre et pour tirer de ses actes des avantages professionnels, notamment en termes de carrière. Son intention de nuire à l'employeur ou à l'entreprise n'est pas démontrée. Dès lors, il convient de réformer le jugement entrepris, de dire le licenciement de Monsieur N... fondé sur une faute grave, de le débouter de ses demandes subséquentes en paiement des indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse » ;

ALORS QUE la faute grave, privative des indemnités de rupture, est exclue quand la faute du salarié a été provoquée ou permise par le comportement de l'employeur ; que, pour juger que le licenciement reposait sur une faute grave, la cour d'appel a retenu que « les carences graves du système de contrôle interne de la banque aient rendu possible le développement de la fraude et ses conséquences financières ne fait pas perdre aux fautes de Monsieur N... leur degré de gravité » ; qu'en statuant de la sorte, sans s'expliquer, ainsi qu'elle y était invitée, sur les multiples carences et manquements de la Société générale relevés par la cour d'appel de Versailles, statuant sur renvoi après cassation, dans son arrêt du 23 septembre 2016, laquelle avait considéré qu'elles constituaient « non pas des négligences ponctuelles dépassant la répétition de simples défaillances individuelles, mais des choix managériaux qui ont privilégié la prise de risques au profit de la rentabilité », que la « Société générale a laissé se développer un système déficient qui a permis la conception et la réalisation des infractions commises par E... N... », que « cette organisation défaillante et cette accumulation de manquements en matière de sécurité et de surveillance des risques a permis la commission des délits et retardé leur détection » et que « les fautes multiples commises par la banque ont eu un rôle majeur et déterminant dans le processus causal à l'origine du très important préjudice qui en a résulté pour elle », la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1232-1, L. 1235-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail dans leur rédaction en vigueur.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué :

D'AVOIR, réformant le jugement déféré, débouté M. N... de sa demande de dommages et intérêts pour conditions vexatoires du licenciement ;

AUX MOTIFS QUE « Monsieur N... reproche à son employeur de l'avoir fait venir le 19 janvier 2008, alors qu'il était en repos de fin de semaine et d'avoir enregistré à son insu des conversations supposées contenir ses aveux sur la prise de positions directionnelles massives à l'insu de l'employeur. Aucun enregistrement n'a été utilisé par la Société générale dans le cadre de la présente instance. Il convient d'observer que par ordonnance définitive en date du 25 juillet 2017 les juges d'instruction du tribunal de Grande instance de Paris ont dit n'y avoir lieu de poursuivre la Société générale pour les délits de faux et usage de faux concernant les enregistrements des conversations entre Monsieur N... et sa hiérarchie qui se sont déroulées au cours du week-end des 19 et 20 janvier 2008, ainsi que sur le délit d'escroquerie au jugement. De plus, il résulte des pièces produites, que le janvier 2008 l'employeur, après avoir pris attache avec un trader de la Deutsche Bank à Londres, a appris que celui-ci n'avait pas traité d'opération avec Monsieur N... depuis un an, alors que Monsieur N... avait confectionné deux faux courriels les 17 et 18 janvier 2008 émanant, soit-disant, de la Deutsche Bank, confirmant ses opérations fictives. L'employeur a demandé à E... N... de se rendre sur place et de fournir des explications, M. N... n'a pas été contraint de se déplacer et a bien accepté de se rendre dans les locaux de la Société générale les 19 et 20 janvier 2008, rien ne permet d'établir qu'il a été contraint d'y rester comme il l'affirme et que les échanges qu'il a eus avec ses supérieurs ont été enregistrés clandestinement. Le président de la Société générale a également informé le gouverneur de la Banque de France de la découverte de cette position directionnelle majeure et le secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers, de plus il a convoqué le conseil d'administration de la banque. Les circonstances vexatoires alléguées par M. N... ne sont pas caractérisées ; la demande de M. N..., qui ne justifie pas d'un préjudice autre que celui résultant de l'ampleur de ses propres délits, est mal fondée, et le jugement sera infirmé en ce qu'il a alloué au salarié une somme de 20 000 euros à titre de dommages intérêts à cet égard » ;

ALORS QUE, même lorsqu'il est prononcé à raison d'une faute sérieuse, grave ou lourde, le licenciement peut causer au salarié, en raison des circonstances vexatoires qui l'ont accompagné, un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi et dont il est fondé à demander réparation ; que la cour d'appel a relevé que la Société générale avait demandé à M. N... de se rendre dans les locaux de l'entreprise alors qu'il se trouvait en week-end (les 19 et 20 janvier 2008 étant un samedi et un dimanche) et que la Société générale avait enregistré les propos du salarié, ce qui n'était d'ailleurs pas contesté par la Société générale ; qu'il en résultait nécessairement que la rupture du contrat du travail avait été entourée de circonstances brutales et vexatoires ; qu'en décidant le contraire aux motifs inopérants que les enregistrements n'avaient pas été utilisés dans le cadre de la procédure prud'homale, que les délits de faux et d'usage de faux concernant ces enregistrement de conversation n'ont pas été retenus et que le salarié n'établissait pas avoir été contraint de rester dans les locaux ni que les enregistrements aient été clandestins, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

QUATRIEME MOYEN DE CASSATION :

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué :

D'AVOIR rejeté la demande de M. N... en paiement de dommages et intérêts pour absence de bonne foi de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE « M. N... reproche à l'employeur de ne pas lui avoir permis de prendre ses congés au mépris de son obligation de sécurité. La Société générale verse aux débats les entretiens annuels d'évaluation de Monsieur N.... Dès la fin de 2005, l'employeur lui demandait expressément de « ménager son temps de repos », l'année suivante parmi les points à améliorer en 2007 il lui était demandé « de s'organiser pour prendre des vacances ». Dans un courriel en date du 17 mai 2007 adressé à Monsieur N... et aux autres traders de son bureau, son supérieur hiérarchique direct, leur rappelait l'importance de s'organiser pour prendre un peu de vacances et leur demander de fixer les dates sur le "vacance manager intranet"permettant la gestion des congés. Dans son rapport du 20 mai 2009 la mission "Green" relève, parmi les signaux d'alerte négligés par la chaîne hiérarchique pour découvrir la fraude, que les N + 1 et N + 2 de Monsieur N... ont manqué de réactivité face à la réticence de ce dernier à prendre ses congés, le responsable du bureau "Delta One" l'ayant formellement relancé à quatre reprises, lors des deux revues annuelles susvisées, ainsi qu'en février 2007 et novembre 2007. Il résulte de ces éléments, que c'est Monsieur E... N... qui, pour des motifs propres, a fait obstacle à la prise de ses congés. Il ne saurait donc le reprocher à son employeur, étant au surplus observé qu'il ne justifie d'aucun préjudice particulier. C'est là encore en vain que M. N... invoque le caractère injustifié de "sa double condamnation pénale''' en refusant d'assumer les conséquences financières de ses actes. Sa condamnation sur intérêts civils n'est pas la conséquence de l'exécution de mauvaise foi du contrat de travail par la Société générale, elle est la conséquence de ses propres turpitudes. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté ce chef de demande » ;

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QU'« en fonction des dispositions des articles 6 et 9 du code de procédure civile déjà cité, la charge de la preuve lui revient ; qu'à la barre M. N... a affirmé que cette demande était formulée dans le seul but de répondre, sur les mêmes bases, à la demande de la Société générale mais qu'il ne disposait pas du moindre justificatif ; que par ailleurs, aucune analyse réalisée par un expert indépendant n'a fourni au présent conseil d'éléments objectifs ; que dans ces conditions le présent conseil est bien fondé à débouter M. N... de sa demande sur ce point » ;

ALORS QUE le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles et du droit de l'Union européenne ; que les obligations des travailleurs dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail n'affectent pas le principe de responsabilité de l'employeur qui, tenu d'une obligation de sécurité de résultat, doit prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs ; que pour débouter M. N... de sa demande de dommages et intérêts pour manquements de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat et pour exécution déloyale du contrat de travail, la cour d'appel a estimé que l'employeur avait demandé dès 2005 au salarié de « ménager son temps de repos » et de « s'organiser pour prendre des vacances », mais que le salarié avait fait obstacle à la prise de ses congés ; qu'en se déterminant ainsi, tandis que la violation par le salarié de son obligation de prendre soin de sa santé et de sa sécurité, à la supposer même établie, n'a aucun effet exonératoire pour l'employeur, la cour d'appel a violé l'alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, ensemble l'article L. 4121-1 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19-12586
Date de la décision : 17/03/2021
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 19 décembre 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 17 mar. 2021, pourvoi n°19-12586


Composition du Tribunal
Président : M. Cathala (président)
Avocat(s) : Me Le Prado, SCP Célice, Texidor, Périer

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2021:19.12586
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