LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 janvier 2021
Cassation partielle
Mme BATUT, président
Arrêt n° 54 F-D
Pourvoi n° S 19-21.780
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 20 JANVIER 2021
L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° S 19-21.780 contre l'arrêt rendu le 25 juin 2019 par la cour d'appel de Montpellier (1re chambre C), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme U... Q..., domiciliée [...] ,
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de Nîmes, dont le siège est [...] ,
3°/ à la Mutuelle Pro BTP Korelio, dont le siège est [...] ,
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Mornet, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de Mme Q..., et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 24 novembre 2020 où étaient présents Mme Batut, président, M. Mornet, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Randouin, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 25 juin 2019), après avoir subi, le 16 septembre 2009, l'ablation de deux hernies cervicales, Mme Q... a présenté une hémiparésie droite.
2. Invoquant, à l'issue d'une expertise médicale en référé, avoir été victime d'un accident médical non fautif grave, dont les conséquences sont indemnisables au titre de la solidarité nationale sur le fondement de l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique, Mme Q... a assigné l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM).
3. L'existence de cet accident a été reconnue et différentes sommes ont été mises à la charge de l'ONIAM en réparation des préjudices subis par Mme Q....
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. L'ONIAM fait grief à l'arrêt de fixer l'indemnisation due concernant l'aide par tierce personne permanente à une rente annuelle viagère à compter du 25 juin 2019 et les pertes de gains professionnels futurs à une certaine somme, alors « que la majoration pour tierce personne versée en complément d'une pension d'invalidité puis d'une pension de vieillesse constitue une indemnité de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice, au sens de l'article L. 1142-17 du code de la santé publique, et doit être déduite de l'indemnisation versée par l'ONIAM à la victime de l'accident médical non fautif ; qu'en refusant de déduire des sommes dues par l'ONIAM à Mme Q... la majoration pour tierce personne qui devait lui être versée, en complément de sa pension d'invalidité puis de sa pension de vieillesse, pour la période postérieure à celle comptabilisée sur le décompte de la sécurité sociale, la cour d'appel a violé les articles L. 1142-1, II, et L. 1142-17 du code de la santé publique, ainsi que les articles L. 355-1 et L. 341-15 du code de la sécurité sociale, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. Mme Q... conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est contraire aux conclusions de l'ONIAM et qu'il est nouveau et mélangé de fait et de droit.
6. Cependant, le moyen est né de la décision attaquée puisqu'une aide humaine permanente a été allouée pour l'avenir sous la forme d'une rente annuelle viagère.
7. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles L. 1142-1, II, et L. 1142-17 du code de la santé publique et les articles L. 341-15 et L. 355-1 du code de la sécurité sociale, et le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :
8. En application des deux premiers de ces textes, la victime d'un accident médical non fautif grave est indemnisée par l'ONIAM, après déduction des prestations énumérées à l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et plus généralement des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice.
9. Selon les deux suivants, la pension d'invalidité qui prend fin à l'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite est remplacée à partir de cet âge par la pension de vieillesse allouée en cas d'inaptitude au travail et une majoration pour aide constante d'une tierce personne est accordée sous certaines conditions aux titulaires des pensions d'invalidité et aux titulaires de pensions de vieillesse substituées à des pensions d'invalidité.
10. Il en résulte que cette majoration, constituant une prestation indemnitaire, versée en complément d'une pension d'invalidité puis d'une pension de vieillesse, doit être déduite de l'indemnisation mise à la charge de l'ONIAM sur le fondement de l'article L. 1142-1, II.
11. Pour fixer l'indemnisation due par l'ONIAM à Mme Q... au titre de l'aide humaine permanente et des pertes de gains professionnels futurs, l'arrêt lui alloue une rente annuelle viagère au titre de cette aide à compter du 25 juin 2019 et déduit du montant des pertes de gains professionnels futurs évalués jusqu'à l'âge de 62 ans de l'intéressée le capital représentatif des arrérages à échoir de la pension d'invalidité incluant la majoration à compter du 1er juin 2014.
12. En statuant ainsi, sans prévoir la déduction de la majoration pour tierce personne de la rente à compter de la retraite de l'intéressée, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il alloue au titre de l'aide humaine permanente une rente annuelle viagère de 32 850 euros payable trimestriellement, indexée selon les dispositions prévues par la loi du 5 juillet 1985 et suspendue en cas d'hospitalisation à partir du quarante-sixième jour et ce, à compter du 25 juin 2019, l'arrêt rendu le 25 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne Mme Q... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt janvier deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat aux Conseils, pour l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement sauf en ce qui concerne notamment l'aide par tierce personne permanente et la perte de gains professionnels futurs, d'avoir fixé l'indemnisation due par l'ONIAM concernant l'aide par tierce personne permanente à une rente annuelle viagère de 32 850 euros payable trimestriellement, indexée selon les dispositions prévues par la loi du 5 juillet 1985 et suspendue en cas d'hospitalisation à partir du 46ème jour et ce à compter du 25 juin 2019 et concernant la perte de gains professionnels futurs à une somme de 171 377,36 euros et d'avoir rejeté le surplus des demandes de l'ONIAM ;
Aux motifs propres que, sur la tierce personne permanente (
.), le décompte de la sécurité sociale mentionne le montant de la pension d'invalidité imputable à l'accident médical comprenant la majoration pour tierce personne mais ne distingue pas précisément les deux prestations lorsqu'il détermine le montant des arrérages échus et à échoir, de sorte que la majoration tierce personne ne peut être déduite sans erreur dans le cadre du présent poste de préjudice ; que le montant sera donc déduit du poste de la perte de gains professionnels futurs, étant relevé que l'ONIAM déduit la somme de 108 870,68 euros des deux postes de préjudices ; qu'à compter du présent arrêt, la rente annuelle au titre de l'aide humaine permanente s'élève donc à : 365 x 5 x 18 = 32 850 euros qui sera versée trimestriellement selon les termes du dispositif du présent arrêt ; que, comme pour l'assistance tierce personne temporaire, il n'y a pas lieu de déduire la PCH allouée avant l'accident médical et qui ne lui est pas imputable ; que l'expert judiciaire n'a certes pas distingué entre l'aide humaine liée à la sclérose en plaques et l'aide humaine liée à l'accident médical mais il sera relevé que le nombre d'heures mensuelles octroyé par le conseil général du Gard, soit 91, n'a pas été modifié lors du renouvellement de l'aide en 2013 ; qu'il n'est donc pas démontré pas l'ONIAM que l'accident médical aurait modifié sur ce point les droits initiaux de l'intimée ; que le jugement sera donc ici réformé en ce qu'il a déduit pour le futur la PCH ; qu'enfin, il n'y a pas lieu de déduire la majoration tierce personne dans la mesure où le capital pension invalidité de 108 870,68 euros, déduit au titre du poste de la PGPF, comprend cette prestation comme l'explique le décompte de la sécurité sociale notamment en sa note de bas de page (4) ; que, sur la perte de gains professionnels futurs (PGPF), il n'est pas contesté que le licenciement du 1er juillet 2015 trouve sa cause dans l'accident médical ; qu'il y a lieu de retenir, comme l'a fait le premier juge, le salaire de référence 2008 majoré compte tenu de l'évolution générale des salaires, soit 26 000 euros ; que, de la date de consolidation (18 juin 2012) jusqu'au présent arrêt, madame U... Q... aurait dû percevoir (26 000 euros / 12) x 84 mois = 182 000 euros ; que l'intimée fait ensuite justement valoir que la décision de première instance comporte une erreur en ce que le tribunal a retenu un revenu de 26 370 euros qui correspond sur l'avis d'imposition 2013 sur les revenus 2012 aux salaires et à la pension d'invalidité ; qu'en réalité, madame U... Q... a perçu au vu des avis d'imposition : à compter du 18 juin 2012 et au titre de l'année 2012 : 3 413,50 euros de salaire, en 2013 : aucun salaire, la somme de 1 6275 euros correspondant à la pension d'invalidité, en 2014 : aucun salaire, la somme de 19 589 euros correspondant à la pension d'invalidité, en 2015 (au vu de l'avis d'imposition correspondant produit en appel) : un reliquat de salaire de 1 901 euros ; qu'il convient donc de déduire la somme de 5 314,50 euros au titre des salaires perçus jusqu'au licenciement ; qu'il sera déduit également la somme de 22 979,46 euros au titre des arrérages échus de pension d'invalidité imputable selon le décompte de la CPAM (correspondant au changement de catégorie, de la 2ème – déjà en place avant l'accident litigieux – à la 3ème catégorie qui seule est imputable) ; qu'il n'y a pas lieu à déduire la pension PRO BTP déjà perçue avant l'accident ; qu'il revient donc à l'intimée : 182 000 euros – 5 314,50 euros - 22 979,46 euros = 153 706,04 euros ; qu'à compter du présent arrêt, le tribunal a justement considéré, tenant compte des droits à la retraite acquis, que la capitalisation ne pouvait intervenir sur une base viagère mais sur la base de l'euro de rente temporaire ; que la cour ajoutera que la loi garantit aux invalides le bénéfice d'une pension à taux plein et prévoit également que les périodes de perception des pensions d'invalidité donnent lieu à la validation gratuite de trimestres qui sont assimilés à des périodes d'assurance pour le calcul de la pension vieillesse, par dérogation au principe dit de « contributivité » ; qu'il revient en définitive à madame U... Q... : 26 000 euros x 4,867 (correspondant au prix de l'euro de rente temporaire publié à la Gazette du Palais 2018 pour une femme de 57 ans en juin 2019 et jusqu'à l'âge prévisible de la retraite soit 62 ans) = 126 542 euros ; qu'il convient de déduire de cette somme la pension invalidité catégorie 3 versée par la CPAM soit 108 870,68 euros, soit un reliquat de 17 671,32 euros pour l'intimée ; qu'il revient donc à madame U... Q... au titre de la perte de gains professionnels futurs, la somme totale de : 153 706,04 euros + 17 671,32 euros = 171 377,36 euros ;
Et aux motifs, à les supposer adoptés des premiers juges, que, sur les pertes de gains futurs, madame Q... sollicite la somme de 2 003,16 euros par mois à compter du 18 juin 2012 jusqu'à la date du jugement à intervenir, ainsi que la somme de 620 156,36 euros pour les pertes de gains professionnels à compter de 2016 ; qu'elle explique en effet qu'elle a été licenciée à compter du 1er juillet 2015, et fait valoir qu'elle travaillait au sein d'une entreprise importante, à un poste de cadre, et que doit être retenue le salaire de référence à hauteur de 26 000 euros annuels eu égard aux différents avis d'imposition produits ; qu'à compter de la date de consolidation et jusqu'à l'année 2015 incluse, madame Q... revendique un salaire annuel net de 26 000 euros, qui apparaît adapté au regard de l'évolution générale des salaires pour cette période ; qu'il convient de retenir que l'avis d'imposition 2012 fait état de revenus à hauteur de 26 370 euros, de sorte qu'il n'est justifié d'aucune perte de revenus au titre de cette année-là ; que, pour l'année 2013, le revenu annuel déclaré est de 16 275 euros soit une perte de 26 000 euros - 16 275 euros = 9 725 euros ; que, pour l'année 2014 : 19 589 euros, soit une perte de 26 000 euros - 19 589 euros = 6 411 euros, soit un total de 9 725 euros + 6 411 euros = 16 136 - 6 - euros ; qu'à compter de 2015, la déclaration au titre des revenus de 2015 n'étant logiquement pas produite, il conviendra de capitaliser à compter de cette date, soit 26 000 euros x 8,341 (correspondant au coefficient multiplicateur pour une femme de 53 ans au 1er janvier 2015 et jusqu'à l'âge prévisible de la retraite soit 62 ans) = 216 866 euros ; que la capitalisation ne peut intervenir sur une base viagère, car cela reviendrait à « effacer » l'incidence de la retraite, qui se traduit généralement par une baisse des revenus, plus ou moins importante selon le secteur d'activité, et, surtout, la reconstitution de la carrière de la personne concernée ; qu'en l'espèce, le tribunal ne sait rien de la carrière passée de madame Q..., ni de ses droits à retraite tels qu'ils étaient acquis, en nombre de trimestres cotisés et en salaire, à la date de l'accident objet de l'instance ; qu'il lui appartiendra, le cas échéant, de formuler une demande de ce chef lorsque ses droits à retraite auront été déterminés ; que de l'indemnité calculée cidessus, il convient par ailleurs de déduire la somme de 108 870,68 euros correspondant à la somme versée par la CPAM au titre de la pension d'invalidité de 3ème catégorie, abstraction faite de la majoration pour tierce personne déjà déduite du poste correspondant ; que la CPAM a capitalisé le montant en vigueur pour 2014, et ce montant pourra être retenu, la différence entre 2014 et 2015 étant a priori relativement faible ; qu'il revient donc à ce titre à madame Q... un montant de 216 866 euros - 108 870,68 euros = 107 995,32 euros, soit la somme totale de 16 136 euros + 107 995,32 euros = 124 131,32 euros ;
Alors que la majoration pour tierce personne versée en complément d'une pension d'invalidité puis d'une pension de vieillesse constitue une indemnité de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice, au sens de l'article L.1142-17 du code de la santé publique, et doit être déduite de l'indemnisation versée par l'ONIAM à la victime de l'accident médical non fautif ; qu'en refusant de déduire des sommes dues par l'ONIAM à madame Q... la majoration pour tierce personne qui devait lui être versée, en complément de sa pension d'invalidité puis de sa pension de vieillesse, pour la période postérieure à celle comptabilisée sur le décompte de la sécurité sociale, la cour d'appel a violé les articles L.1142-1, II, et L.1142-17 du code de la santé publique, ainsi que les articles L.355-1 et L.341-15 du code de la sécurité sociale, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime.