LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 17 décembre 2020
Cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 956 F-D
Pourvoi n° C 19-20.617
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 17 DÉCEMBRE 2020
1°/ Mme D... P...,
2°/ M. G... W...,
tous deux domiciliés [...] ,
ont formé le pourvoi n° C 19-20.617 contre l'arrêt rendu le 29 mai 2019 par la cour d'appel de Bordeaux (2e chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme N... J..., domiciliée [...] ,
2°/ à M. V... T..., domicilié [...] ,
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Abgrall, conseiller, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme P... et de M. W..., après débats en l'audience publique du 3 novembre 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Abgrall, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 29 mai 2019), par acte sous seing privé du 25 juillet 2014, M. T... et Mme J... ont consenti à M. W... et Mme P... une promesse de vente d'un immeuble à usage d'habitation, la signature par acte authentique devant intervenir au plus tard le 26 septembre 2014.
2. Il était stipulé dans l'acte diverses conditions suspensives et une clause pénale en cas de refus par une partie de signer l'acte authentique malgré la réalisation de toutes les conditions.
3. M. W... et Mme P... ont refusé de régulariser la vente par acte authentique au prix convenu en faisant valoir une erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue, faute de pouvoir aménager le rez-de-chaussée pour y installer leur cabinet d'architecture.
4. Le 13 mai 2015, M. T... et Mme J... ont vendu l'immeuble à des tiers.
5. Soutenant que le refus de M. W... et Mme P... de signer l'acte authentique de vente était fautif, M. T... et Mme J... les ont assignés en paiement du montant de la clause pénale. M. W... et Mme P... ont sollicité, à titre reconventionnel, la résolution de la promesse de vente.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. M. W... et Mme P... font grief à l'arrêt de les condamner au paiement du montant de la clause pénale et de rejeter leur demande en résolution de la promesse de vente, alors « qu'à peine de résolution du contrat, le vendeur d'un bien immobilier situé dans certaines zones à risques doit transmettre à l'acquéreur un état des risques naturels et technologiques établi moins de six mois avant la conclusion de la promesse de vente ; qu'en
jugeant que le vendeur avait rempli son obligation d'information aux motifs que le compromis de vente comportait l'ensemble des documents exigés sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si l'état des risques transmis par les consorts J...-T... n'avait pas été établi plus de six mois avant la signature du compromis, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article R. 125-26 du code de l'environnement, ensemble l'article L. 125-5 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 125-5 et R. 125-26 du code de l'environnement, dans leur rédaction applicable au litige.
7. Selon ces textes, les acquéreurs de biens immobiliers situés dans des zones couvertes par un plan de prévention des risques technologiques ou par un plan de prévention des risques naturels prévisibles, prescrit ou approuvé, ou dans des zones de sismicité définies par décret en Conseil d'Etat, sont informés par le vendeur de l'existence des risques visés par ce plan ou ce décret. A cet effet, un état des risques naturels et technologiques est établi à partir des informations mises à disposition par le préfet. L'état est produit en cas de mise en vente de l'immeuble, dans les conditions et selon les modalités prévues aux articles L. 271-4 et L. 271-5 du code de la construction et de l'habitation et il est établi par le vendeur moins de six mois avant la date de conclusion de la promesse de vente, l'acquéreur pouvant poursuivre la résolution du contrat en cas de non-respect de ces dispositions.
8. Pour rejeter la demande de résolution, l'arrêt retient que le "compromis" de vente comporte l'ensemble des documents exigés par le préfet de la Gironde pour les ventes de bien compris dans la zone d'un PPRI.
9. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si l'état des risques transmis par M. T... et Mme J... n'avait pas été établi plus de six mois avant la conclusion de la promesse de vente, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée ;
Condamne M. T... et Mme J... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. T... et Mme J... à payer à M. W... et Mme P... la somme de 3 000 euros.
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept décembre deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour Mme P... et M. W...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné M. W... et Mme P... à payer à M. T... et Mme J... la somme de 15 000 euros au titre de la clause pénale et d'AVOIR débouté M. W... et Mme P... de leurs demandes tendant à voir prononcer la résolution du compromis ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE c'est à bon droit que le premier juge a écarté la demande de résolution de la vente sur le fondement de l'article L. 125-5 du code de l'environnement en retenant que le compromis de vente comportait l'ensemble des documents exigés par le Préfet de la Gironde pour les ventes de bien compris dans la zone d'un PPRI de sorte que les consorts W.../P... ne pouvaient utilement invoquer la résolution de la vente sur le fondement de l'article L. 125-5 du code de l'environnement ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE l'article L. 125-5 du code de l'environnement énonce que « les acquéreurs ou locataires de biens immobiliers situés dans des zones couvertes par un plan de prévention des risques technologiques ou par un plan de prévention des risques naturels prévisibles, prescrit ou approuvé, ou dans des zones de sismicité définies par décret en Conseil d'Etat, sont informés par le vendeur ou le bailleur de l'existence des risques visés par ce plan ou ce décret. A cet effet, un état des risques naturels et technologiques est établi à partir des informations mises à disposition par le préfet. En cas de mise en vente de l'immeuble, l'état est produit dans les conditions et selon les modalités prévues aux articles L. 271-4 et L. 271-5 du code de la construction et de l'habitation (...) Le préfet arrête la liste des communes dans lesquelles les dispositions du I et du II sont applicables ainsi que, pour chaque commune concernée, la liste des risques et des documents à prendre en compte » ; qu'en l'espèce, le compromis de vente comportait l'ensemble des documents exigés par le préfet de la Gironde pour les ventes de bien compris dans la zone d'un PPRI de sorte que les consorts W.../P... ne peuvent invoquer la résolution de la vente, parfaite mais non réitérée, sur le fondement de l'article L. 125-5 du code de l'environnement ;
ALORS QU'à peine de résolution du contrat, le vendeur d'un bien immobilier situé dans certaines zones à risques doit transmettre à l'acquéreur un état des risques naturels et technologiques établi moins de six mois avant la conclusion de la promesse de vente ; qu'en jugeant que le vendeur avait rempli son obligation d'information aux motifs que le compromis de vente comportait l'ensemble des documents exigés sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (conclusions des acquéreurs, p. 5), si l'état des risques transmis par les consorts J...-T... n'avait pas été établi plus de six mois avant la signature du compromis, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article R. 125-26 du code de l'environnement, ensemble l'article L. 125-5 du même code.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné M. W... et Mme P... à payer à M. T... et Mme J... la somme de 15 000 euros au titre de la clause pénale et d'AVOIR débouté M. W... et Mme P... de leur demande tendant à voir prononcer la caducité du compromis ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE l'acte sous seing privé prévoyait au chapitre CONDITIONS SUSPENSIVES au profit des acquéreurs « 4) la production d'une note d'urbanisme ou d'un certificat d'urbanisme et d'un certificat d'alignement justifiant que l'IMMEUBLE vendu n'est grevé d'aucune disposition d'urbanisme ou servitude publique susceptible de porter atteinte à l'intégrité de l'IMMEUBLE vendu, d'en déprécier la valeur ou de le rendre impropre à sa destination » ; que l'acte sous seing privé prévoyait également qu'en cas de réalisation des conditions suspensives, l'acte authentique de vente devrait être signé à la date convenue et dans le cas contraire en cas de non réalisation d'une condition suspensive à la date prévue, il y aurait caducité de la vente ; que l'acte sous seing privé prévoyait la date du 26 septembre 2014 au plus tard pour la signature de l'acte authentique ; qu'il n'est pas contesté par les parties que le 10 septembre 2014, les acquéreurs ont obtenu de la Mairie une note faisant état d'une modification du PPRI plaçant la parcelle vendue en zone rouge hachurée bleue et indiquant que le futur PPRI prendrait en compte l'aléa de référence correspondant à l'événement tempête 1999 et l'aléa à l'horizon 2100 pour prendre en compte le réchauffement climatique ; que cette note ajoute : « les zones rouges sont globalement inconstructibles sauf exceptions [...] et que cette condition risque de compromettre votre projet de transformer un garage en salle de danse ou bureaux car cela augmenterait la capacité d'accueil de la construction » ; que cette note correspond manifestement à la note prévue dans les conditions suspensives ; que cependant aucun élément de cette note ne permet d'en déduire qu'il serait porté atteinte à l'intégrité de l'immeuble ou le rendrait impropre à sa destination ou que sa valeur en serait dépréciée ; qu'au surplus, cette note ajoute que les prescriptions du PPR actuellement en vigueur restent obligatoires et toujours applicables ; qu'enfin dans la mesure où contrairement aux affirmations des acquéreurs ne reposant sur aucune pièce, il n'est pas démontré que ces derniers entendaient modifier la destination de l'immeuble ou envisageaient une modification voire un agrandissement ; que de ce fait les conséquences d'une possible modification du PPRI dans le cas d'une modification de l'immeuble n'étaient pas entrées dans le champ contractuel et ne peuvent être opposées aux vendeurs ; que de plus aucun élément de démontre que l'immeuble vendu était devenu impropre à sa destination ; qu'enfin en ce qui concerne une dépréciation de sa valeur, le seul fait que les consorts T.../J... aient finalement vendu leur bien moins cher après la défection des consorts W.../P... ne peut s'analyser comme étant dû uniquement à un éventuel changement du PPRI ; qu'en conséquence, il y a lieu de débouter les consorts W.../P... de leur demande de caducité de l'acte pour non réalisation de cette condition suspensive ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE l'article 1134 du code civil énonce que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi » ; qu'en l'espèce, il était stipulé au compromis de vente, une condition suspensive tenant à « la production d'une note d'urbanisme ou d'un certificat d'urbanisme et d'un certificat d'alignement justifiant que l'IMMEUBLE vendu n'est grevé d'aucune disposition d'urbanisme ou servitude publique susceptible de porter atteinte à l'intégrité de l'IMMEUBLE vendu, d'en déprécier la valeur ou de le rendre impropre à sa destination » ; que si le courrier de la CUB du 10 septembre 2014 peut être considéré comme une note d'urbanisme au sens du compromis de vente, les informations qu'il contient ne portent pas atteinte à l'intégrité de l'immeuble vendu, n'en déprécient pas la valeur ni ne le renden impropre à sa destination ; qu'en effet, il n'est pas démontré que la moins-value qu'ont subi les requérants en vendant leur bien à des tiers sept mois après le procès-verbal de carence, soit en lien avec les informations transmises par la CUB aux futurs acquéreurs ; qu'ainsi, d'une part, les estimations du bien produites par les défendeurs émanent d'agences immobilières n'ayant même pas visité le bien et ne peuvent donc être prises en compte, d'autre part, la moins-value de 12 500 euros est particulièrement faible et fait suite à la négociation générale du bien dépendant de multiples critères tandis que la prétendue découverte de l'inconstructibilité du bien aurait nécessairement entraîné une diminution de valeur bien plus grande ; que dès lors, la demande de caducité du compromis de vente sera rejetée ;
1°) ALORS QU'en cas de défaillance de la condition suspensive, l'obligation est réputée n'avoir jamais existé ; qu'en retenant, pour juger que l'inconstructibilité de la parcelle vendue n'était pas de nature à porter atteinte à l'intégrité de l'immeuble vendu, à en déprécier la valeur ou à le rendre impropre à sa destination, et que, partant, la condition suspensive tenant à la « production d'une note d'urbanisme (
) justifiant que l'immeuble vendu n'est grevé d'aucune disposition d'urbanisme ou servitude publique susceptible de porter atteinte à l'intégrité de l'immeuble vendu, d'en déprécier la valeur ou de le rendre impropre à sa destination » était réalisée, qu'« il n'est pas démontré que (les acquéreurs) entendaient modifier la destination de l'immeuble ou envisageaient une modification voir d'un agrandissement » et que « les conséquences d'une possible modification du PPRI dans le cas d'une modification de l'immeuble n'étaient pas entrées dans le champ contractuel et ne peuvent être opposées aux vendeurs », la cour d'appel a statué par des motifs impropres à exclure la défaillance de la condition, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 1181, devenu 1304-6, du code civil ;
2°) ALORS QU'en toute hypothèse, le contrat stipulait une condition suspensive tenant à « la production d'une note d'urbanisme (
) justifiant que l'immeuble vendu n'est grevé d'aucune disposition d'urbanisme ou servitude publique susceptible (
) d'en déprécier la valeur » ; qu'en affirmant que la note d'urbanisme du 10 septembre 2014 ne comportait aucun élément permettant d'en déduire que la valeur de l'immeuble vendu serait dépréciée, bien qu'elle ait relevé que cette note révélait que l'immeuble acquis était situé dans une zone inconstructible, ce qui en amoindrissait nécessairement la valeur, la cour d'appel a violé l'article 1134, devenu 1103, du code civil.