LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 17 décembre 2020
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 959 F-D
Pourvoi n° B 19-15.694
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 17 DÉCEMBRE 2020
M. I... F..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° B 19-15.694 contre l'arrêt rendu le 12 mars 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. J... E...,
2°/ à M. M... E...,
3°/ à M. D... E...,
tous trois domiciliés [...] ,
4°/ à la société du [...] , société civile immobilière, dont le siège est [...] , en liquidation judiciaire, aux droits de laquelle vient Mme C... V..., en qualité de mandataire judiciaire,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Georget, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de M. F..., de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de MM. J..., M... et D... E..., et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 3 novembre 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Georget, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 mars 2019), le 7 janvier 1999, M. J... E... et M. F... ont constitué, à parts égales, la société civile immobilière du [...] (la SCI).
2. Le 27 mai 2005, M. J... E... a cédé la nue-propriété de ses parts à ses deux fils, MM. D... et M... E....
3. M. E... et ses fils ont assigné M. F... et la SCI en dissolution de la SCI.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. M. F... fait grief à l'arrêt de prononcer la dissolution de la SCI, de désigner un mandataire judiciaire, en qualité de liquidateur, et de rejeter ses demandes, alors :
« 1°/ que l'inexécution de ses obligations par un associé ou la mésentente entre les associés ne justifient la dissolution d'une société qu'à la condition d'entraîner une paralysie du fonctionnement de celle-ci ; qu'en se bornant à relever, pour prononcer la dissolution de la SCI [...], que M. F..., ès-qualités de gérant, s'était abstenu de veiller à la bonne tenue des comptes et à la convocation régulière des assemblées générales, la cour d'appel, qui a statué à la faveur d'une motivation insuffisante à caractériser une paralysie de fonctionnement de la SCI, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1844-7 5° du code civil ;
2°/ que la mésentente entre les associés ne justifie la dissolution d'une société qu'à la condition d'entraîner une paralysie du fonctionnement de celle-ci ; qu'en relevant, pour caractériser une mésentente entre associés, que M. F..., ès qualités, avait désigné seul un cabinet d'expertise-comptable, sans obtenir l'approbation préalable de l'assemblée générale statutairement nécessaire, et que M. H..., expert près la cour d'appel, avait fortement critiqué la comptabilité reconstituée par ce spécialiste, la cour d'appel, qui a statué à la faveur de motifs inopérants à caractériser une mésentente entre associés de nature à paralyser le fonctionnement de la société, a derechef privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1844-7 5° du code civil ;
3°/ qu'en retenant qu'il résulte des pièces versées par les parties, notamment des courriers échangés, que les rapports entre M. F... et M. E... sont très conflictuels depuis 2013, sans caractériser en quoi ils bloquaient le fonctionnement de la SCI [...], la cour d'appel a derechef privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1844-7 5° du code civil ;
4°/ que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en retenant, d'une part, que M. F... avait pris seul la décision de désigner un expert-comptable sans consulter préalablement l'assemblée générale des associés, soit M. E..., d'autre part, que l'impossibilité de se mettre d'accord avec M. E... sur la désignation d'un expert-comptable illustrait la perte de l'affectio societatis et partant, démontrait le blocage du fonctionnement de la SCI [...], la cour d'appel, qui s'est contredite, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
5°/ que les juges du fond doivent répondre au moyen des parties ; que, dans ses écritures délaissées, M. F..., qui justifiait de ce que M. E... avait une dette fiscale de près de 490 000 euros, faisait valoir que ce dernier poursuivait la dissolution de la SCI [...] sous des prétextes fallacieux de mésentente qu'il avait artificiellement tenté d'organiser, à seule fin d'obtenir la vente des biens immobiliers, dont le prix devait être versé à ses fils, seuls nus-propriétaires, et échapper ainsi à l'administration fiscale ; qu'en ne répondant pas à ce moyen péremptoire, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. La cour d'appel a retenu que les courriers échangés démontraient que, depuis 2013, les rapports entre M. F... et M. E... étaient devenus très conflictuels, dès lors que M. F..., gérant, n'avait jamais convoqué l'assemblée générale depuis la constitution de la société, avant celle du 30 juin 2017, qui n'avait pas pu se dérouler compte tenu de la mésentente existant entre les deux associés, désormais en procès, et qu'aucune comptabilité n'avait été tenue pendant plus de dix ans jusqu'à ce que les consorts E... reprochent à M. F... d'avoir prélevé sur les comptes de la SCI l'intégralité des loyers correspondant à l'occupation des lots par M. J... E... et sa famille.
6. Elle a relevé, d'une part, que la nécessité de faire reconstituer la comptabilité par un expert-comptable ayant la confiance des deux associés était manifeste mais que M. E... n'avait pas été appelé à donner son accord sur la désignation d'un tel expert qui représentait une dépense supérieure à 1 000 francs (150 euros) alors qu'aux termes des statuts, pour de telles dépenses, le concours et l'approbation de l'assemblée générale étaient nécessaires, d'autre part, que la comptabilité reconstituée par le cabinet choisi par M. F... était critiquée par un expert près la cour d'appel de Paris qui avait notamment relevé qu'aucun bilan ni compte de résultats n'avait été établi et qu'il existait de nombreuses irrégularités.
7. Elle en a déduit que l'impossibilité de trouver un accord pour prendre une décision illustrait la perte de l'affectio societatis et démontrait le blocage du fonctionnement de la SCI qui, eu égard à l'égalité de voix de ses associés et à l'exigence d'une décision de l'assemblée générale pour toute dépense supérieure à 1 000 francs (150 euros), ne pouvait prendre aucune décision.
8. Elle a ainsi, sans se contredire ni être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. F... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. F... et le condamne à payer à MM. J..., D... et M... E... la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé le dix-sept décembre deux mille vingt par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Gadiou et Chevallier, avocat aux Conseils, pour M. F...
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir prononcé la dissolution de la SCI [...] et désigné Me C... V..., demeurant [...] , mandataire judiciaire, en qualité de liquidateur, pour établir les comptes entre les parties, procéder aux opérations de liquidation de la SCI conformément aux dispositions des statuts de la société et des articles 1844-8 et 1844-9 du code civil, d'avoir dit que le liquidateur aura les pouvoirs les plus étendus conformes aux lois et usages en la matière et en particulier aura pour mission de gérer et administrer la société dans le but de sa liquidation, se faire remettre par les parties les archives, les documents sociaux ou les établir, avec l'assistance si besoin d'un expert-comptable, régler le passif et réaliser l'actif tout en tenant compte de tout accord pouvant intervenir entre les parties, faire les comptes entre les parties et répartir l'éventuel boni de liquidation en fonction des droits sociaux de chacun des associés, d'avoir fixé à 10 000 € la somme à valoir sur la rémunération du liquidateur qui sera avancée par les consorts E... et supportée en définitive par la SCI [...], enfin, d'avoir débouté M. F... de ses demandes et de l'avoir condamné à payer aux consorts E... ensemble la somme de 3 000 € pour compenser les frais qu'ils ont exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens, outre les dépens de première instance et d'appel ;
Aux motifs que, les consorts E... soutiennent que M. F..., qui a manqué à ses obligations, violé les statuts, omis de tenir régulièrement les comptes de la SCI, est à l'origine de la mésentente durable entre les associés, ses manquements graves et répétés à ses obligations ayant au surplus paralysé le fonctionnement de la SCI, l'ensemble de ces faits justifiant la dissolution de la SCI ; que M. F... réplique que : - la demande de dissolution anticipée de la société est mal fondée, les appelants ne justifiant pas de ses manquements et d'une mésentente entre les associés qui auraient conduit à la paralysie du fonctionnement de la société ; - les consorts E... ne sauraient caractériser une mésentente par la comptabilité établie postérieurement à la saisine du tribunal ; - les consorts E... ont créé artificiellement une mésentente dans le seul dessein de conduire à la vente des biens immobiliers détenus par la SCI, dont le prix sera versé aux seuls nus propriétaires et échappera à l'administration fiscale ; - la société réalise son objet social, ne fait l'objet d'aucune paralysie l'empêchant de poursuivre son activité et justifiant sa dissolution ; - les consorts E..., connaissant parfaitement la gestion de la société, ne justifient d'aucun intérêt légitime à solliciter une expertise judiciaire pour établir la comptabilité de la société depuis sa constitution ; qu'aux termes de l'article 1844-7 5º du code civil, « la société prend fin (...) par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d'un associé pour justes motifs, notamment en cas d'inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société » ; que M. F..., gérant de la SCI, n'a jamais convoqué d'assemblée générale depuis sa constitution, avant celle du 30 juin 2017, qui n'a pu se dérouler compte tenu de la mésentente existant entre les deux associés, désormais en procès ; qu'il apparaît par ailleurs qu'aucune comptabilité n'a été tenue par le gérant depuis la constitution de la société et pendant plus de dix ans jusqu'à ce que les consorts E... reprochent à M. F... d'avoir prélevé sur les comptes de la SCI l'intégralité des loyers correspondant à l'occupation des lots par J... E... et sa famille ; que dans ces conditions la nécessité de faire reconstituer la comptabilité par un expert-comptable ayant la confiance des deux associés à égalité était manifeste ; qu'en outre qu'aux termes des statuts, pour les dépenses supérieures à 1 000 francs (150 euros), le concours et l'approbation de l'assemblée générale sont nécessaires; que cependant que M. E... n'a pas été appelé par le gérant à donner son accord sur la désignation de l'expert-comptable, alors même que cette dépense excédait la somme de 1 000 francs (150 euros) ; que M. F..., en prenant seul cette décision, a violé les dispositions statutaires ; qu'au surplus que la comptabilité reconstituée par le cabinet choisi par M. F... est fortement critiquée par M. Y... H..., expert près la cour d'appel de Paris qui relève notamment qu'aucun bilan ni compte de résultat n'a été établi et qu'il existe de nombreuses irrégularités ; que M. F... en s'abstenant, depuis le début de la SCI, de veiller à la bonne tenue des comptes et à la convocation régulière des assemblées générales, a violé ses obligations légales et statutaires ; que par ailleurs que les pièces versées par les parties, notamment les courriers échangés, démontrent que, depuis 2013, les rapports entre M. F... et M. E... sont devenus très conflictuels ; que le désaccord sur la désignation d'un expert-comptable, déjà évoqué, est révélateur de cette situation ; que l'impossibilité de se mettre d'accord pour prendre une décision illustre la perte de l'affectio societatis et démontre le blocage du fonctionnement de la SCI qui, eu égard à l'égalité de voix de ses associés et à l'exigence d'une décision de l'assemblée générale pour toute dépense supérieure à 1 000 francs (150 euros), ne peut prendre aucune décision ; que dans ces conditions la demande de dissolution des consorts E... sera accueillie, Me V..., mandataire judiciaire, étant désignée pour faire les comptes entre les parties et procéder à la liquidation de la SCI ; que dès lors qu'il convient d'infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Créteil le 27 juin 2017 et de débouter M. F... de ses demandes ; que M. F... devra verser aux consorts E..., ensemble, la somme de 3 000 euros pour compenser leurs frais irrépétibles de première instance et d'appel et supporter les dépens de première instance et d'appel ;
1°) Alors que, l'inexécution de ses obligations par un associé ou la mésentente entre les associés ne justifient la dissolution d'une société qu'à la condition d'entraîner une paralysie du fonctionnement de celle-ci ; qu'en se bornant à relever, pour prononcer la dissolution de la SCI [...], que M. F..., ès-qualités de gérant, s'était abstenu de veiller à la bonne tenue des comptes et à la convocation régulière des assemblées générales, la cour d'appel, qui a statué à la faveur d'une motivation insuffisante à caractériser une paralysie de fonctionnement de la SCI, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1844-7 5° du code civil ;
2°) Alors que, la mésentente entre les associés ne justifie la dissolution d'une société qu'à la condition d'entraîner une paralysie du fonctionnement de celle-ci ; qu'en relevant, pour caractériser une mésentente entre associés, que M. F..., ès-qualités, avait désigné seul un cabinet d'expertise-comptable, sans obtenir l'approbation préalable de l'assemblée générale statutairement nécessaire, et que M. H..., expert près la cour d'appel, avait fortement critiqué la comptabilité reconstituée par ce spécialiste, la cour d'appel, qui a statué à la faveur de motifs inopérants à caractériser une mésentente entre associés de nature à paralyser le fonctionnement de la société, a derechef privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1844-7 5° du code civil ;
3°) Alors que, en retenant qu'il résulte des pièces versées par les parties, notamment des courriers échangés, que les rapports entre M. F... et M. E... sont très conflictuels depuis 2013, sans caractériser en quoi ils bloquaient le fonctionnement de la SCI [...], la cour d'appel a derechef privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1844-7 5° du code civil ;
4°) Alors que, la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en retenant, d'une part, que M. F... avait pris seul la décision de désigner un expert-comptable sans consulter préalablement l'assemblée générale des associés, soit M. E..., d'autre part, que l'impossibilité de se mettre d'accord avec M. E... sur la désignation d'un expert-comptable illustrait la perte de l'affectio societatis et partant, démontrait le blocage du fonctionnement de la SCI [...], la cour d'appel, qui s'est contredite, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
5°) Alors que, les juges du fond doivent répondre au moyen des parties ; que, dans ses écritures délaissées (p. 4 et 8), M. F..., qui justifiait de ce que M. E... avait une dette fiscale de près de 490 000 € (pièce n°8, production n°3), faisait valoir que ce dernier poursuivait la dissolution de la SCI [...] sous des prétextes fallacieux de mésentente qu'il avait artificiellement tenté d'organiser, à seule fin d'obtenir la vente des biens immobiliers, dont le prix devait être versé à ses fils, seuls nus-propriétaires, et échapper ainsi à l'administration fiscale ; qu'en ne répondant pas à ce moyen péremptoire, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.