La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/12/2020 | FRANCE | N°19-12007

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 09 décembre 2020, 19-12007


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CH.B

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 9 décembre 2020

Cassation partielle

M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 750 F-D

Pourvoi n° U 19-12.007

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 9 DÉCEMBRE 2020


M. V... W..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° U 19-12.007 contre l'arrêt rendu le 11 décembre 2018 par la cour d'appel de Versailles (12...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CH.B

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 9 décembre 2020

Cassation partielle

M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 750 F-D

Pourvoi n° U 19-12.007

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 9 DÉCEMBRE 2020

M. V... W..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° U 19-12.007 contre l'arrêt rendu le 11 décembre 2018 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre), dans le litige l'opposant à la société Le Grill 92, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Fontaine, conseiller, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de M. W..., de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de la société Le Grill 92, après débats en l'audience publique du 20 octobre 2020 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Fontaine, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 11 décembre 2018), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 13 septembre 2017, pourvoi n° 16-14.763), la société Le Grill 92 (la société) a consenti à M. W... une promesse synallagmatique de vente de son fonds de commerce, assortie de conditions suspensives. Après avoir refusé de réitérer la vente, elle a assigné en annulation de l'acte M. W..., qui a reconventionnellement demandé sa condamnation, sous astreinte, à signer l'acte de vente ainsi que la réparation de son préjudice.

2. Par l'arrêt du 13 septembre 2017, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt rendu le 24 novembre 2015 par la cour d'appel de Versailles, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de dommages-intérêts de M. W... au titre d'une perte d'exploitation.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. W... fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande indemnitaire relative à la perte de valeur du fonds de commerce, alors « que même en cas de cassation partielle limitée à une disposition déterminée, les parties peuvent toujours soumettre à la cour d'appel de renvoi de nouvelles prétentions, dans les conditions prévues aux articles 564 et suivants du code civil et sous la seule réserve que ces demandes ne portent pas atteinte à l'autorité de la chose jugée s'attachant aux dispositions non atteintes par la cassation ; que la cour d'appel de Versailles n'ayant pas statué, par son arrêt du 24 novembre 2015, sur une demande tendant à l'indemnisation d'une perte de valeur du fonds de commerce litigieux, celle-ci ayant été formée pour la première fois par M. W... devant la juridiction de renvoi, en raison de faits révélés postérieurement à ce précédent arrêt qui avaient induit cette dépréciation, la cour d'appel ne pouvait déclarer irrecevable cette demande nouvelle, motif pris de la portée limitée de l'arrêt de cassation partielle qui l'avait saisie, sauf à violer les articles 624 et 633 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 624 et 633 du code de procédure civile :

5. Aux termes du premier de ces textes, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce. Elle s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.

Selon le second, la recevabilité des prétentions nouvelles devant la juridiction de renvoi est soumise aux règles qui s'appliquent devant la juridiction dont la décision a été cassée.

6. Pour déclarer irrecevable la demande de dommages-intérêts au titre de la perte de valeur du fonds de commerce, l'arrêt constate que, si M. W... a présenté sa demande de manière globale à la cour d'appel initialement saisie, celle-ci a cependant statué sur chaque chef de préjudice de manière indépendante, faisant droit à la demande relative aux honoraires du courtier mais rejetant les autres. Puis il retient, en premier lieu, qu'il ressort clairement de l'arrêt du 13 septembre 2017 que la cassation ne porte que sur le rejet de la demande de dommages-intérêts au titre de la perte d'exploitation, les autres postes de préjudice sur lesquels la cour d'appel a statué ne donnant pas lieu à cassation. Et il retient, en second lieu, que M. W... est donc irrecevable en ses autres demandes indemnitaires relatives au remboursement des intérêts d'un prêt consenti par Mme K..., au titre de la perte d'économie d'échelle et à la perte de valeur du fonds de commerce.

7. En statuant ainsi, alors que les effets de cette cassation partielle ne pouvaient concerner la demande de dommages-intérêts au titre de la perte de valeur du fonds de commerce, dès lors que celle-ci a été présentée pour la première fois devant la cour de renvoi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. M. W... fait grief à l'arrêt de condamner la société à lui verser la somme de 40 533 euros à titre de dommages-intérêts et de rejeter le surplus de sa demande formée à ce titre à hauteur de 357 912 euros, alors « que la réparation d'un préjudice doit être à l'exacte mesure du préjudice effectivement subi, de façon qu'il n'en résulte pour la victime ni perte, ni profit ; qu'il appert de l'arrêt que pour déterminer la perte d'exploitation subie par M. W..., la cour d'appel s'est fondée sur le chiffre d'affaires moyen réalisé par ses trois autres établissements hôteliers, mais après lui avoir appliqué un correctif prétendument justifié par le fait que M. W... aurait omis de comptabiliser des charges de personnel, puis a appliqué au chiffre d'affaires moyen ainsi corrigé un taux de marge de 32 % ; qu'en prenant de la sorte deux fois en considération les charges de personnel devant être déduites du chiffre d'affaires pour parvenir à la détermination de la perte d'exploitation indemnisable, une première fois au titre de la "correction" du chiffre d'affaires, une seconde fois au stade de l'application du taux de marge, la cour d'appel a violé l'article 1149 du code civil, pris dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de la réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit pour la victime :

9. Pour limiter la condamnation de la société à payer à M. W... une certaine somme à titre de dommages-intérêts en réparation de la perte d'exploitation, l'arrêt retient, au vu des chiffres produits par M. W... concernant ses trois autres établissements et après correction, notamment du fait de charges de personnel non comptabilisées pour l'un de ceux-ci, un chiffre d'affaires moyen de 80 000 euros par an, avant d'appliquer un taux de marge de 32 %, pour obtenir un bénéfice annuel de 25 600 euros, soit une perte d'exploitation de 40 533 euros sur dix-neuf mois.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel qui, pour parvenir au calcul du résultat perdu, a tenu compte deux fois des charges de personnel, d'abord pour prétendre corriger du montant de ces charges celui du chiffre d'affaires, bien que celui-ci ne corresponde qu'au montant des ventes de marchandises, produits ou services, puis pour appliquer le taux de marge, lequel prend en considération le coût du personnel affecté à l'exécution du service, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable la demande indemnitaire relative à la perte de valeur du fonds de commerce et en ce qu'il condamne la société Le Grill 92 à payer à M. W... la somme de 40 533 euros à titre de dommages-intérêts pour la perte d'exploitation, l'arrêt rendu le 11 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;

Condamne la société Le Grill 92 aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Le Grill 92 et condamne celle-ci à payer à M. W... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf décembre deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat aux Conseils, pour M. W....

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré M. W... irrecevable en sa demande indemnitaire relative à la perte de valeur du fonds de commerce ;

AUX MOTIFS QU'il résulte de l'article 624 du code de procédure civile que la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce ; qu'elle s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; qu'en l'espèce, la société Le Grill soutient que la cassation ne porte que sur la demande de dommages et intérêts au titre d'une perte d'exploitation et qu'il n'existe aucune indivisibilité entre cette demande et les autres demandes indemnitaires formées par M. W..., de sorte que ces dernières sont irrecevables, de même que la demande de liquidation d'astreinte, la demande indemnitaire pour résistance abusive et la demande de compensation ; que M. W... fait valoir qu'il avait initialement présenté à la cour d'appel une demande globale d'indemnisation de son préjudice, de sorte qu'il existait un lien d'indivisibilité entre les différentes demandes indemnitaires, et que celles-ci sont toutes recevables ; que si M. W... a effectivement présenté sa demande de manière globale à la cour d'appel initialement saisie, celle-ci a cependant statué sur chaque chef de préjudice de manière indépendante, faisant droit au préjudice relatif aux honoraires du courtier, mais rejetant les autres demandes ; qu'il ressort clairement de l'arrêt du 13 septembre 2017 que la cassation ne porte que sur le rejet de la demande de dommages et intérêts au titre de la perte d'exploitation, les autres postes de préjudice sur lesquels la cour d'appel a statué ne donnant pas lieu à cassation ; qu'il n'est pas en outre justifié du lien d'indivisibilité qui existerait entre les différents postes de préjudice, de sorte que la cour d'appel retiendra que seule la demande en réparation de la perte d'exploitation est recevable ; qu'il en résulte que M. W... est irrecevable en ses autres demandes indemnitaires relatives au remboursement des intérêts du prêt consenti par Mme K..., au titre de la perte d'économie d'échelle, et à la perte de valeur du fonds de commerce ;

1/ ALORS QUE même en cas de cassation partielle limitée à une disposition déterminée, les parties peuvent toujours soumettre à la cour d'appel de renvoi de nouvelles prétentions, dans les conditions prévues aux articles 564 et suivants du code civil et sous la seule réserve que ces demandes ne portent pas atteinte à l'autorité de la chose jugée s'attachant aux dispositions non atteintes par la cassation ; que la cour d'appel de Versailles n'ayant pas statué, par son arrêt du 24 novembre 2015, sur une demande tendant à l'indemnisation d'une perte de valeur du fonds de commerce litigieux, celle-ci ayant été formée pour la première fois par M. W... devant la juridiction de renvoi, en raison de faits révélés postérieurement à ce précédent arrêt qui avaient induit cette dépréciation, la cour d'appel ne pouvait déclarer irrecevable cette demande nouvelle, motif pris de la portée limitée de l'arrêt de cassation partielle qui l'avait saisie, sauf à violer les articles 624 et 633 du code de procédure civile ;

2/ ALORS QUE l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif ; qu'en prétendant justifier l'irrecevabilité de la demande tendant à l'indemnisation d'une perte de valeur du fonds de commerce par l'impossibilité de remettre en cause devant la juridiction de renvoi les postes de préjudice sur lesquels il avait été précédemment statué par des dispositions non atteintes par l'arrêt de cassation partielle du 13 septembre 2017, cependant qu'il résulte des énonciations de l'arrêt du 24 novembre 2015, au besoin complétées par celles du jugement entrepris du 15 mai 2014, que par son précédent arrêt, la cour d'appel n'avait statué que sur des demandes d'indemnisation relatives aux intérêts d'un emprunt, à une perte d'exploitation, à la perte d'une économie d'échelle, et au paiement des honoraires d'un courtier en prêt professionnel, à l'exclusion de toute demande d'indemnisation relative à la dépréciation du fonds de commerce, la cour d'appel, qui a majoré la portée de l'autorité de la chose jugée s'attachant à son précédent arrêt, a également violé l'article 1351, devenu 1355, du code civil.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir, infirmant le jugement entrepris en ce qu'il avait rejeté la demande indemnitaire du fait d'une perte d'exploitation sur la période de novembre 2012 à mai 2014, condamné la société Le Grill 92 à verser à M. W... la somme de 40.533 € à titre de dommages et intérêts et corrélativement rejeté le surplus de sa demande formée à ce titre à hauteur de 357.912 € ;

AUX MOTIFS QUE M. W... reproche à la société Le Grill un manquement à ses obligations contractuelles, à savoir le refus initial de signer l'acte de cession du fonds de commerce, outre les retards dans la signature de cet acte après les décisions l'y contraignant ; qu'il soutient en outre que ces manquements sont à l'origine du préjudice qu'il subit du fait de l'impossibilité d'exploiter le fonds, justifiant sa demande indemnitaire pour perte d'exploitation ; que M. W... soutient que l'existence des manquements a été jugée de manière définitive par les juges du fond, ajoutant que l'arrêt de la Cour de cassation a sur ce point « autorité de la force jugée » ; que la société Le Grill soutient pour sa part que la cassation ne laisse rien subsister du chef de dispositif qu'elle atteint, de sorte qu'il appartient à la présente cour de renvoi d'apprécier le principe même de sa responsabilité ; qu'elle admet sa responsabilité quant au refus initial de signature de l'acte de cession, contestant cependant toute responsabilité ultérieure, estimant avoir fait preuve de diligence, et soutenant que le défaut de régularisation de l'acte serait dû aux seuls atermoiements de M. W... ; qu'elle soutient qu'aucune obligation de délivrance du fonds ne pèse sur elle dès lors que M. W... s'oppose à la signature de l'acte de cession, contestant ainsi tout manquement pouvant lui être reproché ; qu'elle ajoute que l'éventuel préjudice de M. W... n'est pas en lien de causalité avec son refus initial de signer l'acte de cession ; qu'elle fait enfin valoir le caractère hypothétique du préjudice allégué en ce qu'il n'est pas démontré que M. W... aurait exploité le fonds dans les mêmes conditions que celles des autres établissements qu'il exploite, ajoutant que les caractéristiques de ces différents établissements ne sont pas comparables ; que dans son précédent arrêt du novembre 2015, la cour d'appel a retenu l'existence d'une faute imputable à la société Le Grill (refus puis retard que la société Le Grill a opposés à la signature de la cession du fonds de commerce), en lien de causalité avec le seul préjudice résultant des honoraires de courtier en prêt que M. W... avait dû exposer en vain du fait que la cession n'avait pu intervenir ; que ce chef de préjudice de l'arrêt n'est pas atteint par la cassation de sorte qu'il est irrévocable, d'une part en ce qu'il a alloué à M. W... des dommages et intérêts, mais également en ce qu'il a retenu comme fautifs le refus puis les retards opposés par la société Le Grill à la signature de la cession du fonds, la réparation du préjudice impliquant nécessairement la reconnaissance préalablement de la faute ; qu'il convient cependant de noter que, dans son précédent arrêt, la cour a circonscrit de manière précise les contours de la faute, relevant qu'après le jugement du 15 mai 2014, M. W... n'avait non seulement pas convoqué la société Le Grill pour signer l'acte de cession du fonds, mais qu'il avait : « en outre décliné la sommation de signer que l'appelante (la société Le Grill) avait fait délivrer à cette fin le 12 novembre 2014 » ; que s'il est ainsi définitivement établi que la société Le Grill a manqué à ses obligations contractuelles du fait du refus initial de signer l'acte de cession en octobre 2012 et du retard opposé ultérieurement jusqu'au jugement du 15 mai 2014, en revanche celle-ci n'est pas responsable du défaut de signature de l'acte postérieurement à cette date puisque M. W... a décliné la sommation reçue le 12 novembre 2014 et qu'il a en outre indiqué qu'il ne souhaitait pas poursuivre la tentative de conciliation mise en oeuvre en mars 2015 après que la société Le Grill l'ait assigné en référé aux fins, toujours, de signature de la vente ; que la responsabilité de la société Le Grill quant à la perte d'exploitation ne peut dès lors porter que sur la période de novembre 2012 à mai 2014, soit sur une période de 19 mois ; que M. W... fait valoir que son préjudice résulte du fait qu'il n'a pu exercer l'activité escomptée et qu'il a ainsi été privé d'un gain certain ; qu'il fait valoir qu'en sa qualité d'exploitant hôtelier, il avait déjà fait l'acquisition d'autres établissements similaires, à des fins d'hébergement social, affirmant qu'il disposait d'un taux de remplissage de 100 % sur toute l'année ; qu'il argue d'un chiffre d'affaires prévisionnel de 190.000 € par an, et d'un bénéfice prévisionnel avant impôt de 99.101 € la première année et 108.774 € les années suivantes, soit un bénéfice total après impôt de 357.912 € sur 5 années ; que si l'on peut admettre l'existence d'une perte de chance de M. W... de réaliser un bénéfice du fait de l'acquisition envisagée, il convient toutefois de relever que les chiffres fournis par M. W... – outre qu'ils portent sur 5 années cependant que l'on vient de voir que le préjudice ne pouvait excéder 19 mois – sont tout à fait incertains ; que M. W... affirme en effet avoir réalisé son budget prévisionnel à partir des trois autres établissements qu'il gère, sans toutefois produire la comptabilité de ces établissements, l'attestation de l'expert-comptable ne portant que sur le prévisionnel du nouvel établissement, sans aucune certification des éléments comptables des trois autres établissements ; que ces documents comportent en outre plusieurs incohérences, et notamment le fait que l'établissement de Bagnolet ne supporte aucune charge de personnel ; que si l'on devait suivre les évaluations de M. W..., cela signifierait en outre quel le bénéfice annuel serait de l'ordre de 50 % du chiffre d'affaires, ce qui est manifestement surévalué dans le domaine de l'hôtellerie, un taux de marge de 30 à 35 % étant plus vraisemblable ; que si l'on retient un chiffre d'affaires moyen de 80.000 € par an, tel que cela résulte – après correction notamment du fait de charges de personnel non comptabilisées – des chiffres produits par M. W... sur ses trois établissements, et que l'on applique un taux de marge de 32 %, on aboutit à un bénéfice annuel de 25.600 €, soit 40.533 € sur 19 mois, représentant la perte d'exploitation subie par M. W... ; que la société Le Grill sera condamnée au paiement de cette somme à titre de dommages et intérêts ;

1/ ALORS QUE la réparation d'un préjudice doit être à l'exacte mesure du préjudice effectivement subi, de façon qu'il n'en résulte pour la victime ni perte, ni profit ; qu'il appert de l'arrêt (p. 7 in fine et suite p. 8) que pour déterminer la perte d'exploitation subie par M. W..., la cour d'appel s'est fondée sur le chiffre d'affaires moyen réalisé par ses trois autres établissements hôteliers, mais après lui avoir appliqué un correctif prétendument justifié par le fait que M. W... aurait omis de comptabiliser des charges de personnel, puis a appliqué au chiffre d'affaires moyen ainsi corrigé un taux de marge de 32 % ; qu'en prenant de la sorte deux fois en considération les charges de personnel devant être déduites du chiffre d'affaires pour parvenir à la détermination de la perte d'exploitation indemnisable, une première fois au titre de la « correction » du chiffre d'affaires, une seconde fois au stade de l'application du taux de marge, la cour d'appel a violé l'article 1149 du code civil, pris dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice ;

2/ ALORS QUE, subsidiairement, le chiffre d'affaires représentant, par définition, le montant total des recettes qu'une entreprise tire de son activité avant toute déduction des charges, notamment de personnel, qui viennent les grever, l'arrêt est incompréhensible en ce qu'il retient que le chiffre d'affaires avancé par M. W... doit être corrigé, avant application du taux de marge, pour tenir compte de charges de personnel qu'il aurait omis de comptabiliser ; qu'en statuant de la sorte par un motif inintelligible, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION :

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. V... W... de sa demande tendant à voir constater le transfert de propriété à la date du 31 octobre 2012, date butoir prévue dans la promesse ;

AUX MOTIFS QUE sur la demande tendant à la nullité de la clause de réitération de la promesse de vente, qui aurait pour conséquence le constat du transfert de la propriété du fonds de commerce au 31 octobre 2012 et la nullité du renouvellement du bail, il résulte de l'article 1170 du code civil, dans sa version applicable au présent litige, que la condition potestative est celle qui fait dépendre l'exécution de la convention d'un événement qu'il est au pouvoir de l'une ou de l'autre des parties contractantes de faire arriver ou d'empêcher ; qu'en l'espèce, la promesse synallagmatique de vente contient une clause ainsi rédigée : « en cas de réalisation, l'acte définitif sera établi par Maître C... L..., et le prix sera séquestré conformément à la loi entre les mains de Maître C... L..., avec mission d'usage et de droit » ; que M. W... soutient que cette clause de réitération de la vente a été privée d'effet par le seul fait de la société Le Grill, de sorte qu'elle doit être déclarée nulle en ce qu'il s'agit d'une condition potestative ; qu'il demande dès lors à la cour de constater le transfert de propriété au 31 octobre 2012 et la nullité du renouvellement du bail ; que la société Le Grill soulève l'irrecevabilité de ces demandes, d'une part en ce qu'elles se heurtent à l'autorité de chose jugée attachée au jugement de mai 2014 et à l'arrêt de novembre 2015, d'autre part en ce qu'il s'agit de prétentions nouvelles ; qu'elle conclut à titre subsidiaire que la clause de réitération ne peut être qualifiée de potestative dès lors qu'elle dépend de la volonté des deux parties ; qu'elle rappelle enfin la défaillance de M. W... pour signer l'acte de vente, depuis le jugement de mai 2014 ; que si, comme le soutient la société Le Grill, les prétentions formées par M. W... sont nouvelles, il ne peut, bien évidemment, être argué d'aucune autorité de chose jugée ; que pour justifier de la recevabilité de ses demandes nouvelles, M. W... argue de l'existence de faits nouveaux révélés postérieurement à l'arrêt du 24 novembre 2015 et, notamment l'acquisition des murs par l'épouse du gérant de la société Le Grill et le renouvellement de bail par cette dernière avec un loyer déplafonné supérieur aux dispositions légales, ce qui modifierait les conditions initiales de la cession ; qu'au regard de la survenance de ces faits nouveaux, les demandes nouvelles seront déclarées recevables en application de l'article 564 du code de procédure civile ; que la clause selon laquelle l'acte définitif sera établi en cas de réalisation de la cession et donc des conditions suspensives n'est pas une condition potestative, dès lors que l'exécution de la convention dépend de plusieurs événements, dont l'obtention d'un prêt et la renonciation d'une municipalité à l'exercice de son droit de préemption, événements qui ne dépendent pas de la volonté d'une des parties ; qu'il convient au surplus de rappeler que le refus de signature a été opposé successivement par le cédant, puis par le cessionnaire ; que la demande de nullité de cette clause sera donc rejetée, de même que celles tendant, par voie de conséquence, d'une part à constater le transfert de propriété au 31 octobre 2012, d'autre part à prononcer la nullité du renouvellement du bail au motif que la société Le Grill n'était plus locataire au moment où elle a accepté ce renouvellement ;

ALORS QUE, dans le dispositif de ses dernières écritures d'appel, M. V... W... avait conclu, indépendamment de sa demande reconventionnelle tendant à voir annuler la clause de réitération de la promesse de vente en raison de son caractère potestatif, à ce qu'il soit dit et jugé que le transfert de propriété était intervenu dès la date du 31 octobre 2012, correspondant à la date ultime de ce transfert, telle qu'elle avait été fixée par la promesse litigieuse (cf. lesdites écritures, p. 37 al. 3) ; que dès lors, en déduisant immédiatement et sans autre examen du rejet de la demande tendant à l'annulation de la clause de réitération de la promesse, le rejet de celle tendant à voir constater le transfert de propriété à la date du 31 octobre 2012, sans avoir examiné le moyen distinct fondé sur la clause fixant le transfert de propriété à la date ultime du 31 octobre 2012, la cour d'appel a entaché son arrêt d'un défaut de réponse à conclusions, en violation de l'article 455 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 19-12007
Date de la décision : 09/12/2020
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 11 décembre 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 09 déc. 2020, pourvoi n°19-12007


Composition du Tribunal
Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Claire Leduc et Solange Vigand, SCP Spinosi et Sureau

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:19.12007
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award