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08/12/2020 | FRANCE | N°19-86399

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 08 décembre 2020, 19-86399


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° E 19-86.399 F-D

N° 2469

CK
8 DÉCEMBRE 2020

CASSATION PARTIELLE

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 DÉCEMBRE 2020

M. U... E..., partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-2, en date du 3 septembre 2019, qui, sur ren

voi après cassation (Crim., 27 février 2018, n° 16-86.042), dans la procédure suivie contre notamment les sociétés Robert Bos...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° E 19-86.399 F-D

N° 2469

CK
8 DÉCEMBRE 2020

CASSATION PARTIELLE

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 DÉCEMBRE 2020

M. U... E..., partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-2, en date du 3 septembre 2019, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 27 février 2018, n° 16-86.042), dans la procédure suivie contre notamment les sociétés Robert Bosch France et Gluth Systemtechnik du chef de blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de Mme Ingall-Montagnier, conseiller, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. U... E..., les observations de la SCP Foussard et Froger avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aveyron et les observations de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat des sociétés Robert Bosh France, Gluth Systemtecnnik et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 octobre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Ingall-Montagnier, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre, et M. Bétron, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée, en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. U... E..., travailleur intérimaire, a été grièvement blessé le 9 novembre 2000, alors qu'il déplaçait, dans les locaux de la société Robert Bosch France, une machine-outil achetée par elle à la société Gluth Systemtechnik. Ces deux sociétés ont été déclarées coupables de blessures involontaires et condamnées in solidum à payer une certaine somme à M. E..., partie en capital, partie sous forme de rentes viagères, en réparation de son préjudice. Les deux sociétés ont relevé appel de cette décision.

3. L'arrêt rendu sur ces appels par la cour d'appel de Montpellier le 5 septembre 2013 a été cassé par la Cour de cassation (Crim., 16 décembre 2014, n° 13-87.341), notamment en ses dispositions ayant fixé le préjudice corporel de M. E... et ayant condamné in solidum les sociétés Robert Bosch France et Gluth Systemtechnik à lui verser la somme de 1 210 567,10 euros à titre de dommages-intérêts.

4. L'arrêt rendu par la cour d'appel de renvoi le 15 septembre 2016 a été partiellement cassé par la Cour de cassation (Crim., 27 février 2018, pourvoi n° 16-86.042) en ses seules dispositions ayant reconnu l'autorité de chose jugée à des dispositions de l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier censurées par l'arrêt de cassation.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué "en ce qu'il a débouté M. E... de sa demande tendant à la réparation des pertes de gains professionnels qu'il avait subies entre le 20 juin 2005 et le 19 mars 2013 alors :

« 1°/ que l'arrêt du 5 septembre 2013 avait alloué à M. E... une « rente annuelle viagère de 24 283,27 euros payable trimestriellement » en réparation de ses pertes de gains professionnels futurs postérieures au 19 mars 2013 (arrêt du 5 septembre 2013, p. 21, alinéa 3) ; que M. E... demandait à la cour d'appel de l'indemniser de son préjudice subi au titre des pertes de gains professionnels futurs pour la période qui s'est écoulée entre le 20 juin 2005 et le 19 mars 2013 ; qu'en jugeant que « cette demande a pour objet l'indemnisation de la perte de gains professionnels futurs, concernant la période post-consolidation de la victime, et remet en cause le calcul ayant donné lieu à l'octroi de la rente allouée au titre des gains futurs, calculée sur une base de 85 % prenant en considération le fait que la partie civile exerçait une activité professionnelle rare exigeant une haute technicité, dont M. E... admet expressément le caractère définitif » (arrêt p. 18, alinéa 6), la cour d'appel a méconnu la chose jugée par l'arrêt du 5 septembre 2013 et a violé ainsi l'article 1351 devenu l'article 1355 du code civil ;

2°/ que l'arrêt du 5 septembre 2013 avait alloué à M. E... une « rente annuelle viagère de 24 283,27 euros payable trimestriellement » en réparation de ses pertes de gains professionnels futurs postérieures au 19 mars 2013 (arrêt du 5 septembre 2013, p. 21, al. 3) ; que M. E... demandait à la cour d'appel de l'indemniser de son préjudice subi au titre des pertes de gains professionnels futurs pour la période qui s'est écoulée entre le 20 juin 2005 et le 19 mars 2013 ; qu'en jugeant que « cette demande a pour objet l'indemnisation de la perte de gains professionnels futurs, concernant la période post-consolidation de la victime, et remet en cause le calcul ayant donné lieu à l'octroi de la rente allouée au titre des gains futurs, calculée sur une base de 85% prenant en considération le fait que la partie civile exerçait une activité professionnelle rare exigeant une haute technicité, dont U... E... admet expressément le caractère définitif » (arrêt p. 18, alinéa 6), la cour d'appel a dénaturé les conclusions d'appel de M. E... et a entaché ainsi sa décision d'une contradiction de motifs en violation de l'article 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit ; qu'en déboutant M. E... de sa demande d'indemnisation au titre de ses pertes de gains professionnels futurs pour la période qui s'est écoulée entre le 20 juin 2005 et le 19 mars 2013 alors qu'il résulte de ses propres constatations qu'il subissait des pertes de gains professionnels du fait de l'accident dont il a été victime, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale et l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;

4°/ qu'en statuant sur les intérêts civils, les juges doivent se prononcer dans la limite des conclusions des parties dont ils sont saisis ; que M. E... demandait à la cour d'appel de lui allouer la somme de 126 365,07 euros en réparation des pertes de gains professionnels qu'il avaient subies entre le 20 juin 2005 et le 19 mars 2013 ; que les sociétés Robert Bosch et Gluth Systemtechnik lui offraient la somme de 79 230,07 euros à ce titre (conclusions de la société Robert Bosch, p. 46, alinéa 2 et p. 55, alinéa 9 ; conclusions d'appel sur renvoi après cassation partielle de la société Gluth Systemtechnik, p. 18, dernier alinéa) ; qu'en déboutant dès lors M. E... de sa demande à ce titre la cour d'appel a méconnu les 1382 devenu 1240 du code civil, ensemble les articles 459 et 512 du code de procédure pénale et le principe susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 609 du code de procédure pénale :

6. Lorsque la Cour de cassation casse un arrêt sans réserve en certaines de ses dispositions civiles aucune de ces dispositions n'a pu acquérir l'autorité de la chose jugée, quelle qu'ait été la portée du moyen ayant servi de base à la cassation.

7. Pour rejeter la demande de M. E... concernant les pertes de gains professionnels subis du 20 juin 2005 jusqu'au 19 mars 2013, l'arrêt énonce qu'il fait valoir avoir subi sur cette période un véritable préjudice économique et non pas une simple perte de chance.

8.Les juges ajoutent que sa demande a pour objet l'indemnisation de la perte de gains professionnels futurs, concernant la période post-consolidation de la victime et remet en cause le calcul ayant donné lieu à l'octroi de la rente allouée au titre des gains futurs, calculée sur une base de 85% prenant en considération le fait que la partie civile exerçait une activité professionnelle rare exigeant une haute technicité, dont U... E... admet expressément le caractère définitif, qu'il doit ainsi être débouté de cette prétention.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

10. En effet, la cassation prononcée par la chambre criminelle le 16 décembre 2014 a affecté le poste de préjudice de gains professionnels futurs fixé en capital pour les périodes allant de la date de consolidation des blessures, fixée au 20 juin 2005, au 19 mars 2013 et M. E..., dans ses conclusions d'appel, a demandé le réexamen de ce poste de préjudice pour la période censurée.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande nouvelle présentée par M. U... E... tendant à l'indemnisation de l'incidence professionnelle (dévalorisation sur le marché du travail, pénibilité au travail et préjudice de carrière), alors :

« 1°/ qu'en jugeant tout à la fois que M. E... n'aurait formulé aucune demande au titre de l'incidence professionnelle et qu'il aurait été indemnisé au titre de « la dévalorisation sur le marché du travail, la pénibilité au travail et le préjudice de carrière » la cour d'appel qui s'est contredite, a entaché sa décision d'un vice de motivation et a violé l'article 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que M. E... avait expressément demandé aux premiers juges de l'indemniser de ses préjudices nés de ses pertes de gains professionnels, stricto sensu, de son préjudice né de la nécessaire « renonciation à [la] vie professionnelle » à laquelle il était promis (mêmes conclusions, p. 24, al. 6 et p. 26, al. 4), de sa dévalorisation sur le marché du travail (mêmes conclusions, p. 26, al. 4), de la « pénibilité [accrue] au travail » compte tenu de son handicap (mêmes conclusions, p. 26, al. 4), de sa perte de « chance sérieuse et établie de connaître une évolution de carrière prometteuse, épanouissante et lucrative » (mêmes conclusions, p. 29, al. 9), de son « manque à gagner certain sur la pension de retraite » (mêmes conclusions, p. 29, al. 9 et p. 30, al. 6) ; qu'en déboutant M. E... de sa demande d'indemnisation au titre de « la dévalorisation sur le marché du travail, la pénibilité au travail et le préjudice de carrière » aux motifs que « la partie civile n'a[vait] pas formulé, en première instance, de demande d'incidence professionnelle [
.et qu'] elle ne se trouve donc plus recevable à solliciter réparation sur ce fondement devant la Cour » (arrêt p.18, al. 10 et 11), la cour d'appel a dénaturé les conclusions déposées par M. E... devant le tribunal correctionnel statuant sur les intérêts civils et a entaché ainsi sa décision d'une contradiction de motifs en violation de l'article 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que l'appel emporte dévolution à la juridiction du second degré de l'entier litige avec toutes les questions de droit ou de fait qu'il comporte ; qu'en se fondant sur la circonstance que le tribunal aurait « relevé » que « la partie civile n'a[
] pas formulé, en première instance, de demande d'incidence professionnelle » (arrêt p. 18, al. 10), pour juger que M. E... n'était pas recevable à solliciter la réparation de ce chef de préjudice devant la cour, la cour d'appel a violé l'article 509 du code de procédure pénale ;

4°/ qu'en jugeant que les préjudices subis par M. E... au titre de « la dévalorisation sur le marché du travail, [de] la pénibilité au travail et [du] préjudice de carrière » avaient « été pris en considération au titre de la réparation des pertes de gains professionnels futurs » (arrêt p. 18, al. 12), la cour d'appel a dénaturé les termes de l'arrêt du 5 septembre 2013 et a entaché sa décision d'une contradiction de motifs en violation de l'article 593 du code de procédure pénale. »

Vu l'article 515 du code de procédure pénale :

11. Le préjudice causé par une infraction doit être déterminé au jour de la décision.

12. Les dispositions de l'article 515, alinéa 3, du code de procédure pénale, prohibant en cause d'appel les demandes nouvelles, ne sauraient interdire à la partie civile de présenter sous un nouveau poste de préjudice un chef de dommage déjà soumis, sous une autre rubrique, au premier juge.

13. L'arrêt relève que M. E..., a sollicité, devant la cour d'appel, l'indemnisation de trois chefs de préjudice, dévalorisation sur le marché du travail, pénibilité au travail et préjudice de carrière, concluant à l'existence d'un préjudice d'incidence professionnelle.

14. Pour déclarer irrecevable cette demande, les juges retiennent que, comme le jugement l'a expressément relevé, la partie civile n'a pas formulée, en première instance, de demande relative à l'incidence professionnelle.

15. En statuant ainsi, alors que la partie civile réclamait sous d'autres titres l'indemnisation d'un préjudice déjà soumis aux premiers juges comme résultant de la dévalorisation sur le marché du travail, la pénibilité accrue au travail compte tenu de son handicap et de la perte de chance d'évolution de carrière, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe rappelé ci-dessus.

16. D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Portée et conséquences de la cassation

17. La cassation ne portera que sur les préjudices de pertes de gains professionnels futurs et d'incidence professionnelle allant du 20 juin 2005, date de consolidation des blessures, au 19 mars 2013.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 3 septembre 2019, mais en ses seules dispositions relatives aux préjudices de pertes de gains professionnels futurs et d'incidence professionnelle allant du 20 juin 2005 au 19 mars 2013, toutes autres dispositions étant expressément maintenues.

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix en Provence autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit décembre deux mille vingt.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 19-86399
Date de la décision : 08/12/2020
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 03 septembre 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 08 déc. 2020, pourvoi n°19-86399


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Foussard et Froger

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:19.86399
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