LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 3 décembre 2020
Cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 926 F-D
Pourvoi n° P 19-13.796
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 3 DÉCEMBRE 2020
M. E... B..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° P 19-13.796 contre l'arrêt rendu le 15 janvier 2019 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. A... S..., domicilié [...] ,
2°/ à Mme N... S..., épouse G... , domiciliée [...] ,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Aldigé, conseiller référendaire, les observations de la SCP Richard, avocat de M. B..., de la SCP Krivine et Viaud, avocat des consorts S..., après débats en l'audience publique du 20 octobre 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Aldigé, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 15 janvier 2019), statuant sur renvoi après cassation (3e Civ., 7 décembre 2017, pourvois n° 15-12.578, 15-12.452 et 15-12.912), le 29 mai 2009, M. A... S... et Mme N... S... (les consorts S...), propriétaires d'un local commercial donné à bail à M. et Mme Y..., leur ont signifié un congé pour le 31 mars 2010 avec refus de renouvellement et offre de paiement d'une indemnité d'éviction. Le 23 juin 2009, M. et Mme Y... ont cédé leur fonds de commerce à M. B.... Le 30 novembre 2011, après expertise, les consorts S... ont assigné M. B... en rétractation de leur offre d'indemnité d'éviction, en expulsion et en paiement d'une indemnité d'occupation. Les 16 et 19 mars 2012, M. B... les a assignés en paiement d'une indemnité d'éviction. Les deux instances ont été jointes.
Examen du moyen
Sur le moyen unique, pris en sa première branche,
Enoncé du moyen
2. M. B... fait grief à l'arrêt de condamner les consorts S... à lui payer la seule somme de 21 375 euros à titre l'indemnité d'éviction alors « que la cassation qui atteint un chef de dispositif n'en laisse rien subsister, quel que soit le moyen qui a déterminé la cassation ; que, par l'effet de la cassation partielle intervenue, aucun des motifs de fait ou de droit ayant justifié la disposition annulée ne subsiste, de sorte que la cause et les parties sont remises de ce chef dans le même état où elles se trouvaient avant l'arrêt précédemment déféré ; qu'en décidant néanmoins qu'elle n'était saisie que de l'indemnisation du « trouble commercial » subi par M. B..., dès lors que le seul reproche fait par la Cour de cassation au précédent arrêt consistait à voir écarter l'indemnisation de ce trouble pour un motif erroné, bien que l'arrêt de cassation du 7 décembre 2017 ait cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 25 novembre 2014 en ce qu'il avait condamné les consorts S... à payer à M. B... la somme de 20 000 euros à titre d'indemnité d'éviction, de sorte que la cour d'appel de renvoi était saisie de l'entière demande de M. B... relative à la fixation de l'indemnité d'éviction, en ce compris les autres éléments de préjudice que le trouble commercial, la cour d'appel, qui a méconnu l'étendue de saisine, a violé les articles 624, 631, 632 et 633 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
3. Les consorts S... contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent que le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit. Ils font valoir que M. B... n'a pas répondu à leurs conclusions soutenant que seul le trouble commercial restait en débat devant la cour de renvoi.
4. Cependant, M. B... a demandé à la cour de renvoi de statuer de nouveau sur l'ensemble des éléments de l'indemnité d'éviction et non sur le seul trouble commercial.
5. Le moyen n'est pas nouveau et est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles 624, 631, 632 et 633 du code de procédure civile :
6. Il résulte de ces textes que la cassation qui atteint un chef de dispositif n'en laisse rien subsister, quel que soit le moyen qui a déterminé la cassation et que, par l'effet de la cassation partielle intervenue, aucun des motifs de fait ou de droit ayant justifié la disposition annulée ne subsiste, de sorte que la cause et les parties sont remises de ce chef dans le même état où elles se trouvaient avant l'arrêt précédemment déféré et qu'elles peuvent, devant la cour de renvoi, invoquer de nouveaux moyens ou former des prétentions nouvelles qui sont soumises aux règles qui s'appliquent devant la juridiction dont la décision a été annulée.
7. Pour fixer l'indemnité d'éviction à une certaine somme, l'arrêt retient que le seul reproche adressé par la Cour de cassation à l'arrêt précédent est d'avoir écarté l'indemnisation du trouble commercial pour un motif erroné. Il en déduit que la cour d'appel n'est saisie que de l'indemnisation de ce trouble commercial et non pas des autres composantes de l'indemnité d'éviction qui ne peuvent être remises en cause et sur lesquelles la cour d'appel a statué, sans encourir de cassation sur ces points.
8. En statuant ainsi, alors que, par l'effet de l'annulation du chef du montant de l'indemnité d'éviction, la cause et les parties avaient été remises, de ce chef tout entier, dans le même état où elles se trouvaient avant l'arrêt déféré, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne les consorts S... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois décembre deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Richard, avocat aux Conseils, pour M. B....
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir fixé le montant de l'indemnité d'éviction due par Monsieur A... S... et Madame N... S... épouse G... à Monsieur E... B... à la somme de 21.375 euros, puis d'avoir condamné les consorts S... à payer cette seule somme à Monsieur B..., en déboutant celui-ci du surplus de ses demandes;
AUX MOTIFS QUE, sur le périmètre de saisine de la cour de renvoi, il résulte de l'article 624 du Code de procédure civile que la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce; qu'elle s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire; qu'en l'espèce, le précédent arrêt de cette cour est cassé : "seulement en ce qu'il condamne in solidum les bailleurs à payer à M. B... la somme de 20.000 euros à titre d'indemnité d'éviction"; que la Cour de cassation reproche à cette cour d'avoir retenu que M. B... ne pouvait prétendre : "à l'indemnisation d'un trouble commercial dès lors qu'il avait connaissance, en procédant à l'achat du fonds de commerce, du refus de renouvellement du bail par le bailleur", alors que "le cessionnaire d'un fonds de commerce a droit à la réparation du trouble commercial que lui cause l'éviction"; que le seul reproche ainsi adressé à l'arrêt précédent est d'avoir écarté l'indemnisation du trouble commercial de M. B... pour un motif erroné, à savoir sa connaissance du refus de renouvellement du bail; que comme le font justement observer les consorts S..., la cour de renvoi n'est ainsi saisie que de l'indemnisation du "trouble commercial" subi par M. S..., et non pas des autres composantes de l'indemnité d'éviction qui ne peuvent être remises en cause (notamment l'indemnité principale d'éviction, mais également les indemnités accessoires relatives à aux frais de remploi et de déménagement sur lesquels la cour d'appel a statué, sans encourir de cassation sur ces points); que la demande de M. B... en fixation de l'indemnité principale d'éviction à hauteur de 100.000 euros ne peut dès lors aboutir, de même que la demande relative aux frais accessoires autres que le trouble commercial, dont la cour de renvoi est exclusivement saisie ;
ET AUX MOTIFS QUE, sur le trouble commercial, les consorts S... offrent de régler à ce titre une somme de 1.375 euros correspondant à la demande que M. B... avait formulée initialement devant la cour, correspondant selon lui à 3 mois de bénéfices; que M. B... affirme avoir subi un trouble commercial du fait de la perturbation née de la décision d'éviction du bailleur; qu'il sollicite paiement d'une somme globale de 10.000 euros pour l'ensemble des indemnités accessoires, dont on a déjà vu que certaines ne pouvaient plus être remises en cause; qu'il ne précise nullement à quoi correspondrait le chiffre de 10.000 euros qu'il invoque; que force est ici de constater que M. B... avait lui-même indiqué, devant la première cour d'appel, que son trouble commercial s'élevait à la somme de 1.375 euros; qu'il ne produit aucun élément qui permettrait de fixer ce trouble à une somme supérieure, de sorte qu'il convient de faire droit à cette demande et de condamner les consorts S... au paiement de cette somme au titre du trouble commercial; que le jugement du tribunal de grande instance de Versailles du 20 juin 2013 sera donc infirmé en ce qu'il a rejeté l'indemnité au titre du trouble commercial et limité l'indemnité globale d'éviction à la somme de 20.000 euros; que la cour fixera ainsi l'indemnité d'éviction à la somme totale de 21.375 euros (soit 19.000 euros au titre de l'indemnité principale, 1.000 euros au titre des frais de déménagement et 1.375 euros au titre du trouble commercial) ;
1°) ALORS QUE la cassation qui atteint un chef de dispositif n'en laisse rien subsister, quel que soit le moyen qui a déterminé la cassation ; que, par l'effet de la cassation partielle intervenue, aucun des motifs de fait ou de droit ayant justifié la disposition annulée ne subsiste, de sorte que la cause et les parties sont remises de ce chef dans le même état où elles se trouvaient avant l'arrêt précédemment déféré ; qu'en décidant néanmoins qu'elle n'était saisie que de l'indemnisation du « trouble commercial » subi par Monsieur B..., dès lors que le seul reproche fait par la Cour de cassation au précédent arrêt consistait à voir écarter l'indemnisation de ce trouble pour un motif erroné, bien que l'arrêt de cassation du 7 décembre2017 ait cassé et annulé l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles du 25 novembre 2014 en ce qu'il avait condamné les consorts S... à payer à Monsieur B... la somme de 20.000 euros à titre d'indemnité d'éviction, de sorte que la Cour d'appel de renvoi était saisie de l'entière demande de Monsieur B... relative à la fixation de l'indemnité d'éviction, en ce compris les autres éléments de préjudice que le trouble commercial, la Cour d'appel, qui a méconnu l'étendue de saisine, a violé les articles 624, 631, 632 et 633 du Code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE le juge qui constate l'existence d'un préjudice ne peut refuser de l'évaluer, au motif que les preuves qui lui sont fournies quant à l'étendue du préjudice sont insuffisantes ; qu'en se bornant, pour allouer à Monsieur B... la seule somme de 1.375 euros au titre du trouble commercial subi du fait de la décision d'éviction prise par le bailleur, à énoncer qu'il avait lui-même évalué son trouble commercial à cette somme dans ses premières écritures d'appel et qu'il ne produisait aucun élément permettant de fixer ce trouble à une somme supérieure, sans procéder elle-même à l'évaluation de ce chef de préjudice, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.145-14 du Code de commerce.