LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 décembre 2020
Cassation
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 719 F-D
Pourvoi n° S 18-22.742
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 2 DÉCEMBRE 2020
M. K... E..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° S 18-22.742 contre l'arrêt rendu le 12 juin 2018 par la cour d'appel de Rennes (1re chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. A... X..., domicilié [...] ,
2°/ à M. V... H..., domicilié [...] ,
3°/ à M. U... O... , domicilié [...] ,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Ponsot, conseiller, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de M. E..., de la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de M. O... , et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 octobre 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, M. Ponsot, conseiller rapporteur, M. Guérin, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 12 juin 2018), un acte sous seing privé intitulé « promesse cession synallagmatique de parts sociales », indiquant que M. X... et M. E... (les cessionnaires) s'engageaient à acquérir la totalité des parts sociales détenues par MM. O... et H... (les cédants) dans le capital de deux sociétés, les SARL JLG et DDB, exerçant l'activité d'agent immobilier, et de douze sociétés civiles possédant les locaux dans lesquels ces activités étaient exercées (le groupe JLG), a été signé le 12 mars 2012. Les actes de cession ont été régularisés le même jour et un acompte de 30 000 euros a été immédiatement réglé, le solde devant l'être au plus tard le 30 avril 2012.
2. S'estimant victimes de manœuvres dolosives, les cessionnaires ont, le 1er août 2012, assigné les cédants devant le tribunal de grande instance, aux fins d'obtenir des dommages-intérêts et la nomination d'un expert avec mission de déterminer la valeur des parts sociales des sociétés cédées. Reconventionnellement, les cédants ont demandé que les cessionnaires soient condamnés à leur payer le solde du prix.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. M. E... fait grief à l'arrêt de le débouter de toutes ses demandes, notamment indemnitaires, de le condamner, solidairement avec M. X..., à payer diverses sommes aux cédants, alors « qu'une personne ne peut être engagée sur le fondement d'un mandat apparent que lorsque la croyance du tiers aux pouvoirs du prétendu mandataire a été légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient ce tiers à ne pas vérifier lesdits pouvoirs ; qu'en retenant que M. E... était fortement impliqué dans le projet de cession, qu'il était présenté comme le fils de M. X... et que d'autres actes signés le même jour selon le même procédé n'ont pas été contestés, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser les circonstances pouvant autoriser les cédants, qui agissaient à titre professionnel, à ne pas vérifier les pouvoirs de M. X..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1985 et 1998 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1985 du code civil :
4. Il résulte de ce texte qu'une personne ne peut être engagée sur le fondement d'un mandat apparent que lorsque la croyance du tiers aux pouvoirs du prétendu mandataire a été légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient ce tiers à ne pas vérifier lesdits pouvoirs.
5. Pour juger que M. X... disposait du mandat de représenter M. E..., l'arrêt, après avoir relevé que M. X... a signé l'acte de cession de parts sociales du 12 mars 2012 en y apposant sa signature et ses initiales en son nom personnel et sa signature "P/P" K... E...", retient que M. E... a pu créer l'apparence d'avoir donné mandat du fait de son implication forte dans le projet, en adressant au cours de l'automne 2011 plusieurs courriels relatifs à des frais de structures, des prévisionnels dans lesquels il révélait ses compétences et capacités, en recevant systématiquement les courriels relatifs à la situation des sociétés devant être acquises, et en constituant, peu avant avec M. X... « pour les besoins et/ou dans le cadre du projet de rachat », une société Immostart, dont l'objet était la transaction et la location d'immeubles et la participation dans toute société ayant cet objet social.
6. L'arrêt constate en outre que M. E... était présenté comme le fils de M. X... en décembre 2011 dans le projet d'acquisition du groupe JLG, et qu'il n'hésitait pas à signer « K... E... X... » dans plusieurs lettres adressées en novembre, décembre 2011 et février 2012 à l'une des agences du groupe, laissant ainsi se créer une apparence de parenté entre M. X... et lui-même, de nature à faire croire lors de la signature de l'acte en l'existence d'une harmonie, d'une confiance réciproque et d'une communauté d'intérêts des deux acquéreurs dans leurs rapports personnels.
7. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser les circonstances autorisant les cédants à ne pas vérifier les pouvoirs de M. X..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;
Condamne MM. O... , H... et X... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. O... et le condamne à payer à M. E... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du deux décembre deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Zribi et Texier, avocat aux Conseils, pour M. E....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
M. E... fait grief à l'arrêt attaqué
DE L'AVOIR débouté de toutes ses demandes, notamment indemnitaires, DE L'AVOIR condamné, solidairement avec M. X..., à payer à M. H... les sommes de 232 564,09 € et de 48 710,24 €, outre celle de 15 000 € à titre de dommages-intérêts, et à payer à M. O... les sommes de 232 564,09 € et de 28 539,82 €, outre celle de 15 000 € à titre de dommages-intérêts et DE L'AVOIR, ajoutant ainsi au jugement, condamné à payer à M. O... la somme de 15 000 € ;
AUX MOTIFS QUE « M. X... a signé le 12 mars 2012 avec M. O... et M. H... un acte de cession des parts sociales des sociétés commerciales et civiles immobilières du "groupe JLG", qu'il a apposé sur le document sa signature et ses initiales en son nom personnel et sa signature "P/P" K... E..." ; que nul ne conteste que M. E... n'était pas présent lors de la signature de l'acte ; que M. E... conteste que M. X... l'ait engagé par un mandat apparent, comme le soutiennent M. H... et M. O... ; qu'il apparaît cependant que M. E... a pu créer l'apparence d'avoir donné mandat alors qu'il était fortement impliqué dans le projet, ayant adressé au cours de l'automne 2011 plusieurs courriels relatifs à des frais de structures, des prévisionnels dans lesquels il révélait ses compétences et capacités, ayant reçu systématiquement les courriels relatifs aux à la situation des sociétés devant être acquises, ayant constitué peu avant avec M. X... "pour les besoins et/ou dans le cadre du projet de rachat" une société Immostart dont l'objet était la transaction et la location d'immeubles et la participation dans toute société ayant cet objet social, qu'au surplus, il était présenté comme le fils de M. X... en décembre 2011 dans le projet d'acquisition du groupe JLG, qu'il n'hésitait pas à signer "K... E... X..." dans plusieurs courriers adressés en novembre, décembre 2011, février 2012 à l'agence JLG Saint-Michel en Grèves, laissant ainsi créer une apparence de parenté entre M. X... et lui-même que maintenant il conteste et reproche aux intimés d'avoir utilisée, mais qui faisait croire lors de la signature de l'acte en l'existence d'une harmonie, d'une confiance réciproques et d'une communauté d'intérêts des deux acquéreurs dans leurs rapports personnels ; qu'il apparaît également que M. H... et M. O... ont pu croire légitimement en l'existence d'un tel mandat, au regard des liens de "parenté" entre les deux acquéreurs et le caractère manifestement averti du mandant qui lui permettait de toute évidence de savoir quelles étaient ses obligations ; que ce mandat apparent est conforté par la signature le même jour sous le même procédé ("P/P K... E...") ici non contesté par celui-ci de plusieurs actes de cession des parts sociales des sociétés civiles immobilières (selon les pièces versées aux débats : [...], [...], [...], [...]) ; que l'incohérence dont fait état M. E... quant aux engagements par lui pris dans l'acte de cession globale et les actes particuliers (acquisition d'une part sociale) n'est de nulle évidence pour les vendeurs et ne pouvait les inviter à s'interroger sur l'effectivité du mandat, au regard des circonstances ci-dessus rappelées ; qu'ainsi, sont inopérants pour la démonstration que M. E... n'est pas signataire de l'acte, la réalité de sa situation financière de l'époque, compte tenu des projets professionnels en cours qui devaient lui permettre d'avoir au sein des sociétés acquises les fonctions d'organisateur et de contrôleur de la gestion des différentes agences immobilières et des précédentes propositions qu'il n'avait pas hésité de faire notamment d'acquisition auprès de l'agence JLG de Saint-Michel en Grèves d'un terrain pour 1 000 000 €, ou encore le terme employé dans l'acte de cession "le bénéficiaire" sans désigner nominativement M. X... et M. E... ce qui est de rédaction courante du monde des affaires, ou encore l'absence de constitution de garantie de sa part alors que celle de M. X..., d'un montant de 700 000 €, pouvait avoir été estimée suffisante par des cédants, ou encore la date effective de cession qui n'aurait pas été le 12 mars mais le 15 avril 2012, sans que la preuve de la réalité d'une telle date soit faite et sans qu'il puisse en être déduit quoi que ce soit, ou encore l'attestation selon laquelle il aurait tout ignoré du projet alors que les échanges antérieurs de mails rapportent sa très bonne connaissance de l'opération et contredisent la teneur de cette attestation » ;
ALORS QU'une personne ne peut être engagée sur le fondement d'un mandat apparent que lorsque la croyance du tiers aux pouvoirs du prétendu mandataire a été légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient ce tiers à ne pas vérifier lesdits pouvoirs ; qu'en retenant que M. E... était fortement impliqué dans le projet de cession, qu'il était présenté comme le fils de M. X... et que d'autres actes signés le même jour selon le même procédé n'ont pas été contestés, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser les circonstances pouvant autoriser M. H... et M. O... , qui agissaient à titre professionnel, à ne pas vérifier les pouvoirs de M. X..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1985 et 1998 du code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
M. E... grief à l'arrêt attaqué
DE L'AVOIR condamné, solidairement avec M. X..., à payer, d'une part, à M. H... les sommes de 232 564,09 € et de 48 710,24 et, d'autre part, à M. O... les sommes de 232 564,09 € et de 28 539,82 € ;
AUX MOTIFS QUE « l'acte de cession du 12 mars 2012 au profit de M. X... et de M. E..., de toutes les parts détenues par M. H... et M. O... dans le capital des deux sociétés commerciales et des douze sociétés civiles immobilières est un acte global de cession qui réalise une cession de contrôle de toutes ces sociétés et présente un caractère commercial ; que dès lors la solidarité passive s'attache de plein droit aux obligations que cet acte a créées ; que M. E..., qui fait état des actes distincts ensuite signés pour la cession des parts sociales de chacune des sociétés civiles ne fait pas échec à la présomption de solidarité qui existe dans l'ace du 12 mars 2012 » ;
1°) ALORS QUE la cession de parts sociales d'une société civile ne peut jamais revêtir un caractère commercial ; qu'en énonçant que l'acte de cession du 12 mars 2012 de toutes les parts détenues dans le capital des deux sociétés commerciales et des douze sociétés civiles immobilières est un acte global de cession qui réalise une cession de contrôle de toutes ces sociétés et présente un caractère commercial, quand la cession portant sur les parts sociales des sociétés civiles immobilières ne pouvait revêtir qu'un caractère civil échappant à la présomption de solidarité passive, la cour d'appel a violé l'article 1202 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°) ALORS, en toute hypothèse, QUE lorsqu'un acte unique porte à la fois cession de parts sociales modifiant le contrôle d'une société commerciale et cession de parts sociales d'une société civile, l'acte revêt globalement un caractère commercial, auquel est attachée la présomption de solidarité passive, sauf s'il réalise formellement une distinction entre les deux opérations ; qu'en se bornant à retenir que l'acte de cession du 12 mars 2012 réalise une opération unique, sans rechercher si la cession des parts sociales des deux sociétés commerciales ne se distinguait pas formellement de la cession des parts sociales des douze sociétés civiles immobilières, ce dont il aurait résulté que la présomption de solidarité passive ne pouvait être attachée à celle-ci, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1202 du code civil, sans sa rédaction applicable.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
(Subsidiaire)
M. E... grief à l'arrêt attaqué
DE L'AVOIR condamné à payer deux fois la somme de 15 000 € à M. O... ;
ALORS QU'un préjudice ne peut être réparé deux fois ; qu'en ajoutant au jugement, qui avait déjà condamné M. E... à verser à M. O... la somme de 15 000 €, une seconde condamnation à verser à M. O... la même somme sans caractériser un préjudice distinct qui n'aurait pas déjà été réparé par la première condamnation, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION :
M. E... grief à l'arrêt attaqué
DE L'AVOIR débouté de sa demande de dommages-intérêts dirigée contre M. X... ;
ALORS QU'en rejetant sa demande, sans assortir sa décision de motifs, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.