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26/11/2020 | FRANCE | N°19-10523

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 26 novembre 2020, 19-10523


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 26 novembre 2020

Cassation partielle

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 1280 F-D

Pourvoi n° F 19-10.523

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 NOVEMBRE 2020

M. S... I... , domicilié [...] , a formé le pourvoi

n° F 19-10.523 contre l'arrêt rendu le 12 novembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 3), dans le litige l'opposant :

1°/ à la ...

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 26 novembre 2020

Cassation partielle

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 1280 F-D

Pourvoi n° F 19-10.523

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 NOVEMBRE 2020

M. S... I... , domicilié [...] , a formé le pourvoi n° F 19-10.523 contre l'arrêt rendu le 12 novembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 3), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Maif, société anonyme, dont le siège est [...] ,

2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris, dont le siège est [...] ,

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Guého, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. I... , de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société Maif, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 octobre 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Guého, conseiller référendaire rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 novembre 2018), le 27 juin 2009, M. I... a été victime d'un accident de la circulation dans lequel était impliqué un véhicule assuré auprès de la société Maif (l'assureur).

2. Après avoir obtenu en référé l'organisation d'une expertise médicale, M. I... a assigné l'assureur en indemnisation de ses préjudices, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris.

Examen des moyens

Sur le second moyen, pris en sa quatrième branche, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. M. I... fait grief à l'arrêt de limiter la réparation du préjudice subi par lui au titre de la perte de gains professionnels futurs à la somme de 135 497,40 euros et au titre de l'incidence professionnelle à la somme de 40 000 euros, alors « que le juge, qui ne peut statuer que sur les dernières conclusions régulièrement déposées, doit viser celles-ci avec l'indication de leur date ; qu'en statuant au regard des dernières conclusions de la société Maif qui auraient été notifiées le 14 mai 2018, quand il ne résulte pas de la fiche de dossier détaillée RPVA que de telles conclusions aient été régulièrement déposées après celles datées du 22 juin 2017, la cour d'appel a violé les articles 455 et 954 du code de procédure civile, ensemble l'article 16 du même code. »

Réponse de la Cour

5. L'arrêt ayant rappelé les prétentions et moyens de l'assureur dont l'exposé est conforme à ses dernières conclusions régulièrement déposées le 22 juin 2017, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer qu'en dépit du visa erroné de conclusions notifiées le 14 mai 2018, la cour d'appel n'a pas statué sur d'autres prétentions et ne s'est pas fondée sur d'autres moyens que ceux invoqués dans les dernières écritures déposées par l'assureur.

6. Le moyen est dès lors inopérant.

Sur le second moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de limiter la réparation du préjudice subi au titre de l'incidence professionnelle à la somme de 40 000 euros

Enoncé du moyen

7. M. I... fait grief à l'arrêt de limiter la réparation du préjudice subi par lui au titre de l'incidence professionnelle à la somme de 40 000 euros, alors « que tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; que la motivation inachevée équivaut au défaut de motivation ; qu'en l'espèce, l'arrêt mentionne, d'une part, « K..., ça te rappelle quelque chose ?
» et d'autre part « Pour dévalorisation de degré 2 et pénibilité de degré 2, l'assistant donne 33 580. Pour dévalorisation de degré 2 et pénibilité de degré 3, l'assistant donne 51 770 », motifs qui reflètent des discussions inabouties entre magistrats de la juridiction collégiale ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a statué par une motivation inachevée, a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

8. Après avoir relevé que l'incidence professionnelle subie par M. I... était constituée par une dévalorisation et par une fatigabilité accrue, devant être évaluée à un degré moyen, dans l'exercice de sa profession, l'arrêt retient que compte tenu de son âge au jour de la consolidation et de la durée prévisible durant laquelle il subira cette incidence professionnelle, l'indemnisation de ce poste de préjudice doit être liquidée à la somme de 40 000 euros.

9. Par ces seules énonciations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.

Mais sur le second moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

10. M. I... fait le grief à l'arrêt de limiter la réparation du préjudice subi par lui au titre de la perte de gain professionnels futurs à la somme de 135 497,40 euros et au titre de l'incidence professionnelle à la somme de 40 000 euros, alors « que le juge ne peut refuser d'évaluer le montant d'un préjudice dont il a admis l'existence en son principe en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ; qu'en refusant d'évaluer le préjudice de M. I... résultant de sa perte de droits de retraite, en se fondant sur sa carence probatoire qui ne permettrait pas de déterminer le salaire moyen constituant l'assiette de calcul de la pension de retraite à laquelle il aurait pu prétendre sans la survenance de l'accident et le salaire moyen qui sera susceptible d'être effectivement pris en compte pour la liquidation de sa retraite, après avoir pourtant reconnu le principe de ce préjudice, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code civil :

11. Il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser d'évaluer le montant d'un dommage dont il constate l'existence en son principe.

12. Pour rejeter la demande formée par M. I... au titre de la perte de droits à la retraite incluse dans le poste des pertes de gains professionnels futurs, et condamner l'assureur à lui payer la somme de 135 497,40 euros en réparation de ce poste de préjudice, l'arrêt, après avoir reconnu l'existence d'une perte de revenus futurs liée à la diminution de sa capacité de gains résultant de l'accident et fixé l'indemnisation due à ce titre en la capitalisant jusqu'à l'âge légal d'ouverture des droits à la retraite, énonce que dès lors que M. I... n'a produit aucun relevé de carrière émanant des services de l'Assurance vieillesse, il ne peut être procédé aux évaluations du salaire moyen constituant l'assiette de calcul de la pension de retraite à laquelle il aurait pu prétendre sans la survenance de l'accident et du salaire moyen qui sera susceptible d'être effectivement pris en compte pour la liquidation de sa retraite. Il en déduit que la carence probatoire de M. I... induit le rejet de ce chef de demande.

13. En statuant ainsi, en refusant d'évaluer le préjudice subi postérieurement à la date à laquelle elle fixait l'ouverture des droits à la retraite, dont elle constatait pourtant l'existence, résultant de la différence entre le montant de la pension de retraite à laquelle la victime aurait pu prétendre sans la survenance de l'accident et celui qu'elle percevrait effectivement, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Maif à payer à M. I... la somme de 135 497,40 euros en réparation de la perte de gains professionnels futurs, provisions et sommes versées en exécution provisoire du jugement non déduites, avec intérêts au taux légal à compter du 29 novembre 2016, l'arrêt rendu le 12 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société Maif aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Maif et la condamne à payer à M. I... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du vingt-six novembre deux mille vingt et signé par lui et Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour M. I...

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR limité la réparation du préjudice subi par M. I... au titre de la perte de gains professionnels futurs à la somme de 135.497,40 euros et au titre de l'incidence professionnelle à la somme de 40.000 euros.

AUX MOTIFS QUE, aux termes de l'arrêt attaqué, « selon dernières conclusions notifiées le 14/05/2018, il est demandé à la Cour par la société MAIF, sur appel incident, de : - dire et juger que les demandes présentées par S... I... au titre des pertes de droit à la retraite sont des demandes nouvelles, et en conséquence les déclarer irrecevables, - concernant les pertes de gains professionnels futurs, au regard de l'évolution de carrière prévisible, infirmer le jugement en ce qu'il a alloué une somme de 255.517,91 € en indemnisation de la perte de gains professionnels futurs, statuant à nouveau, rejeter toutes les demandes de S... I... à ce titre, subsidiairement, lui allouer une somme de 148.692 € en réparation de ce chef de préjudice, - concernant l'incidence professionnelle infirmer le jugement en ce qu'il a alloué une somme de 100.000 € en réparation de ce poste de préjudice, statuant à nouveau, allouer une indemnité forfaitaire de 25.000 € en réparation de la dévalorisation et de la pénibilité subies par S... I... , - en tout état de cause, rejeter toutes demandes plus amples ou contraires de S... I... ainsi que celle fondée de l'article 700 du code de procédure civile, - condamner S... I... au paiement d'une indemnité de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel » ;

ALORS QUE le juge, qui ne peut statuer que sur les dernières conclusions régulièrement déposées, doit viser celles-ci avec l'indication de leur date ; qu'en statuant au regard des dernières conclusions de la société MAIF qui auraient été notifiées le 14 mai 2018, quand il ne résulte pas de la fiche de dossier détaillée RPVA que de telles conclusions aient été régulièrement déposées après celles datées du 22 juin 2017, la cour d'appel a violé les articles 455 et 954 du code de procédure civile, ensemble l'article 16 du même code.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR limité la réparation du préjudice subi par M. I... au titre de la perte de gains professionnels futurs à la somme de 135.497,40 euros et au titre de l'incidence professionnelle à la somme de 40.000 euros.

AUX MOTIFS QUE, aux termes de l'arrêt attaqué, « sur la perte de gains professionnels futurs ; Le Tribunal a liquidé l'indemnisation de ce poste de préjudice à la somme de 255.517,91 €, constituée par la différence entre le montant du salaire antérieur à l'accident (2.200,10 € par mois) et le montant du SMIC pour un emploi à mi-temps (559,15 € par mois) avec capitalisation temporaire jusqu'à l'âge de 65 ans et après imputation de la pension d'invalidité (1ère catégorie). S... I... , à l'appui de son appel principal, invoque une triple perte cumulative de gains professionnels futurs. Il fonde sa demande sur une perte de gains annuels de 60.000 € correspondant à son évolution de carrière prévisible en faisant valoir : - qu'au moment de l'accident, il occupait un emploi de clerc expert dans une étude d'huissier de justice et que, dans les deux ans à venir, il aurait dû être promu chef de service et percevoir un salaire mensuel estimé à 2.399,44 €, - qu'il aurait également pu avoir l'opportunité de devenir huissier de justice salarié et de percevoir un salaire mensuel évalué à 3.795,68 €, - que, s'il était devenu officier ministériel, il aurait pu prétendre à un revenu annuel de 150.455 €, soit une augmentation annuelle de plus de 120.000 €, - que ses demandes indemnitaires sont basées sur une perte de revenus annuels médiane de 60.000 €. En premier lieu, S... I... demande une indemnisation de 16.800 € (60.000 € * 28 %) pour perte d'allocation de fin de carrière, laquelle, selon la convention collective dont il relevait avant l'accident, aurait été calculée au taux de 28 % pour les 18 années durant lesquelles il aurait pu travailler jusqu'à l'âge de la retraite (62 ans) et devrait être assise sur le revenu annuel précité de 60.000 €. En deuxième lieu, S... I... demande une indemnisation de 846.967,08 € pour perte de gains professionnels futurs, équivalant à la différence entre le revenu annuel précité de 60.000 € et la capacité de gains subsistante telle que retenue par le Tribunal (valeur du SMIC pour un emploi à mi-temps), avec capitalisation temporaire de l'âge de 46 ans à celui de 65 ans et application du barème publié par la Gazette du Palais le 28/11/2017 au taux de 0,50 %. En troisième lieu, S... I... demande une indemnisation pour perte de pension de retraite, et soutient que cette demande, présentée en cause d'appel, est recevable dès lors qu'elle tendrait aux mêmes fins que celles soumises au Premier Juge, à savoir la réparation de son préjudice patrimonial causé par l'accident dont il a été victime, et que cette demande ne serait que l'accessoire ou le complément nécessaire des prétentions initiales. Il demande, pour perte de pension de retraite, une indemnisation de 441.522,75 € équivalant à la différence entre le revenu annuel précité de 60.000 € et la capacité de gains subsistante (valeur du SMIC pour un emploi à mi-temps), avec application d'un taux de 43 % correspondant à la moyenne entre les taux de pension de retraite de 37,50 et 50 %, et capitalisation viagère à partir de l'âge de 62 ans. En réplique, la société MAIF conclut, à titre principal, au rejet de la demande en indemnisation d'une perte de gains professionnels stricto sensu, en faisant valoir : - que, concernant l'évolution de carrière prévisible, les premiers Juges ont relevé que la promotion de S... I... en qualité de chef de service ne pourrait être considérée comme certaine et en ont déduit que, s'agissant d'une perte de chance, celle-ci devait être examinée au titre de l'incidence professionnelle pour laquelle ils ont alloué une indemnité de 100.000 € dont S... I... ne demande pas l'infirmation, - que ce dernier invoquerait à tort une capacité subsistante de gains pour un emploi à temps seulement partiel alors que, d'une part, l'Expert n'aurait pas retenu d'inaptitude à un emploi à temps complet, et que, d'autre part, S... I... est attributaire d'une pension de première catégorie correspondant aux invalides aptes à exercer une activité rémunérée, - que, par ailleurs, au jour de l'accident, l'activité de clerc d'huissier de justice exercée par S... I... n'aurait pas été pérenne puisque l'intéressé était en période d'essai depuis à peine trois mois, - qu'il n'aurait pas toujours exercé cette activité puisque, de 2001 à 2008, il aurait travaillé dans le secteur de la restauration d'immeubles puis, en 2010, en vue d'une reconversion professionnelle, aurait suivi une formation en histoire de l'art. La société MAIF, sur appel incident interjeté à titre subsidiaire, offre une indemnisation de 148.692 € correspondant à la différence entre le montant du salaire antérieur à l'accident (2.200,10 € par mois) et le montant du SMIC pour un emploi à temps complet (1.118,29 € par mois) avec capitalisation temporaire jusqu'à l'âge de 65 ans (en application implicite du barème publié par la Gazette du Palais en 2013 au taux de 1,20 %), et après imputation de la pension d'invalidité de 1ère catégorie. Concernant les demandes d'indemnisation d'une perte d'allocation de fin de carrière et d'une perte pension de retraite, la société MAIF fait valoir qu'elles seraient nouvelles en cause d'appel et donc irrecevables en application de l'article 564 du code de procédure civile. 2.1 - Concernant la détermination du revenu professionnel de référence, il est établi que S... I... a été embauché par une société civile professionnelle titulaire d'un office d'huissier de justice, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1/04/2009, en qualité de clerc expert, avec une période d'essai de 3 mois. S... I... a produit ses bulletins de paie des deux premiers mois d'activité complète (avril et mai 2009) faisant mention d'un salaire net mensuel perçu de 2.000,09 €. Toutefois, la société MAIF acquiesce à la prise en compte d'un revenu mensuel de référence de 2.200,10 € retenu par le Tribunal en incluant les droits de congés payés. S... I... soutient de manière inopérante, à ce stade du raisonnement, qu' "il devait être promu chef de service dans les 2 ans à venir" (en se référant exclusivement à un extrait d'un rapport d'expertise médicale dont les rédacteurs, profanes en matière de carrière des collaborateurs d'huissier de justice, se sont bornés à consigner les propres déclarations de S... I... ), et qu'il aurait pu accéder aux fonctions - et à la rémunération - d'huissier de justice salarié voire au statut d'officier ministériel. S... I... invoque ainsi des pertes de chance de promotion professionnelle que le Tribunal a, à juste titre, examinées au titre du poste de l'incidence professionnelle. La perte de gains professionnels futurs subie par S... I... sera indemnisée par référence à son revenu professionnel de 2.200,10 € par mois perçu immédiatement avant l'accident, retenu avec pertinence par le Tribunal, et non critiqué par la société MAIF. 2.2 - Concernant la demande d'indemnisation de la perte d'allocation de fin de carrière, si S... I... ne l'a pas invoquée en première instance, toutefois, il présente cette prétention comme constituant le complément de la demande d'indemnisation de sa perte de gains professionnels futurs soumise au premier juge, de sorte qu'elle est recevable en cause d'appel en application de l'article 566 du code de procédure civile. Sur le fond, il est établi : - que, bien que l'accident litigieux soit survenu 3 jours avant le terme de la période trimestrielle d'essai stipulée dans le contrat de travail dont S... I... bénéficiait depuis le 1/04/2009, son employeur n'a pas mis fin à cette période d'essai, et le contrat s'est poursuivi à durée indéterminée à compter du 1/07/2009 ; - que ce contrat a, par la suite, été rompu par l'employeur qui a notifié à S... I... le 12/02/2010 son licenciement pour cause réelle et sérieuse, licenciement que le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt a qualifié d'abusif par jugement du 26/07/2011 au motif, en substance, que l'employeur n'avait pas fait bénéficier S... I... d'une visite médicale de reprise après son arrêt de travail causé par l'accident du 27/06/2009, et l'avait privé de la possibilité d'obtenir une adaptation de ses conditions de travail. Il est également établi qu'après ce licenciement, S... I... a été embauché par une autre société civile professionnelle titulaire d'un office d'huissier de justice, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 22/03/2010, en qualité de clerc gestionnaire de dossier, avec une période d'essai de 3 mois, et qu'il a démissionné le 23/04/2010. Il résulte de l'extrait de la convention collective des clercs d'huissier de justice produit par S... I... (pièce n° 66) que seuls ouvrent droit à l'indemnité de fin de carrière les clercs ayant une ancienneté au moins égale à 10 ans. Au titre des deux emplois précités, S... I... a acquis une ancienneté d'environ 11 mois et demi, ne lui ouvrant pas droit à ladite indemnité. Il s'en déduit que la non perception de cette indemnité ne constitue pas pour S... I... un manque à gagner certain, susceptible d'être indemnisé au titre d'une perte de gains professionnels futurs, mais ne pourrait s'analyser qu'en une perte de chance de pouvoir acquérir une ancienneté de 10 ans dans la profession, susceptible de lui ouvrir droit à cette indemnité, cette perte de chance étant indemnisable au titre de l'incidence professionnelle dont le Tribunal a liquidé le montant que S... I... n'a pas critiqué dans son appel, limité aux seuls postes des pertes de gains professionnels actuels (dans les seuls motifs de ses conclusions) et futurs. Ce chef de demande doit dès lors être rejeté. 2.3 - Concernant la demande de S... I... en indemnisation de sa perte de gains professionnels futurs au sens strict, la liquidation de ce préjudice est égale à la différence entre le revenu professionnel de référence que percevait la victime avant l'accident (2.200,10 € par mois - cf. supra § 2.1) et sa capacité de gains subsistante en fonction des séquelles de l'accident du 27/06/2009. Le Docteur N..., expert judiciaire, a émis l'avis selon lequel S... I... est apte à travailler à temps partiel ou à temps plein mais sur un poste moins exigeant que celui qu'il occupait avant l'accident. Le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime conduit à retenir une capacité résiduelle de gains au moins égale au SMIC, correspondant à un emploi à temps complet peu qualifié ou aménagé, emploi que S... I... est apte à occuper selon l'expert. Corrélativement, la prise en compte d'un revenu égal à la moitié du SMIC induit une minoration de la capacité de gains de S... I... et serait de nature à lui procurer un profit contrevenant au principe indemnitaire. Dès lors que S... I... n'invoque pas la revalorisation de son revenu de référence, l'indemnisation de ce poste de préjudice doit être liquidée sur la base de la valeur du SMIC net mensuel au jour de sa consolidation (1.118,29 €). Pour la période future, l'indemnisation sera capitalisée jusqu'à 62 ans correspondant à l'âge légal d'ouverture du droit à la retraite pour un assuré social né en 1966 (article L. 161-17-2 du code de la sécurité sociale) et âgé de 52 ans en 2018, et avec application du barème publié par la Gazette du Palais le 28/11/2017 au taux de 0,50 %, basé sur les tables de mortalité les plus récentes (2010-2012) : - du 17/08/2012 au 17/08/2018 : (2.200,10 € - 1.118,29 €) * 72 mois 77.890,32 € - à c. du 18/08/2018 : (2.200,10 € - 1.118,29 €) * 12 mois * 9,349 121.366.10 € -total 199.256,42 € 2.4 - Concernant la demande de S... I... en indemnisation de sa perte de droits de retraite, si l'intéressé ne l'a pas invoquée en première instance, toutefois, il présente cette prétention comme constituant le complément de la demande d'indemnisation de la perte de gains professionnels futurs soumise au premier juge, de sorte qu'elle est recevable en cause d'appel en application de l'article 566 du code de procédure civile. Le préjudice susceptible d'être indemnisé est égal à la différence entre le montant de la pension de retraite à laquelle la victime aurait pu prétendre sans la survenance de l'accident et celui qu'elle percevra effectivement. Conformément aux articles R.351-27 et R.351-29 du code de la sécurité sociale, le montant de la retraite des salariés de droit privé est égal à 50 % du salaire moyen revalorisé des 25 années les plus avantageuses, pris en compte dans la limite du plafond de la sécurité sociale, étant rappelé qu'en cas de cotisation pour une durée inférieure à celle requise pour l'obtention d'une retraite à taux plein, le salaire moyen est calculé au prorata de la période de cotisation effective. K..., ça te rappelle quelque chose ?... En outre, en application de l'article R.351-12 § 3° du même code, les périodes de versement d'une pension d'invalidité sont comptées comme périodes d'assurance vieillesse pour l'ouverture du droit à pension. S... I... étant titulaire d'une pension d'invalidité depuis le 1/08/2011, il s'en déduit qu'il bénéficiera d'une durée d'assurance vieillesse complète de 2011 à 2028 et que l'accident du 27/06/2009 est sans incidence sur le taux de sa future pension de retraite. Dès lors que S... I... n'a produit aucun relevé de carrière émanant des services de l'Assurance Vieillesse, il ne peut être procédé aux évaluations du salaire moyen constituant l'assiette de calcul de la pension de retraite à laquelle il aurait pu prétendre sans la survenance de l'accident, et du salaire moyen qui sera susceptible d'être effectivement pris en compte pour la liquidation de sa retraite. La carence probatoire de S... I... induit le rejet de ce chef de demande. Il résulte des motifs qui précèdent que l'indemnisation de la perte de gains professionnels futurs subie par S... I... est liquidée comme suit, après imputation de la créance de la CPAM afférente à la pension d'invalidité (1ère catégorie) perçue par l'intéressé : - perte de gains professionnels 199.256,42 € - imputation de la créance de la CPAM - 63.759,02 € - créance indemnitaire 135.497,40 € ; 3 - sur l'incidence professionnelle Le Tribunal a alloué à S... I... une indemnisation de 100.000 € en retenant : - que ce dernier a dû renoncer à sa profession de clerc expert d'huissier de justice, - que, sans la survenance de l'accident, une promotion éventuelle n'aurait donc pas été écartée, - que les séquelles de l'accident litigieux ont dévalorisé S... I... sur le marché du travail et lui occasionnent une pénibilité de l'emploi qu'il trouvera, quel qu'il soit S... I... n'a pas interjeté appel de cette indemnisation. La société MAIF, sur appel incident, conclut à la réduction de cette indemnisation au montant de 25.000 € en faisant valoir : - en premier lieu, que l'accident n'aurait pas contraint S... I... à renoncer à sa profession de clerc d'huissier de justice dès lors qu'il aurait été tout à fait apte à la reprendre, à telle enseigne qu' à la suite de son licenciement, il a retrouvé très rapidement (un mois et demi après) un emploi au sein d'une autre étude d'huissier de justice, - en second lieu, que sa dévalorisation sur le marché du travail et la pénibilité accrue ne seraient pas contestables, mais seraient modérées. S... I... n'a pas répliqué à cet appel incident. Le poste de l'incidence professionnelle tend à indemniser non la perte de revenus liée à l'invalidité permanente de la victime, mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d'une chance professionnelle, ou de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi qu'elle occupe imputable au dommage ou encore du préjudice causé par la nécessité de devoir abandonner la profession qu'elle exerçait avant le dommage au profit d'une autre qu'elle a dû choisir en raison de la survenance de son handicap. 3.1 - Comme énoncé supra, S... I... a été embauché à compter du 1/04/2009, par contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de clerc d'expert, au coefficient 382, catégorie 8. Ce contrat a été rompu par licenciement notifié par l'employeur, et cette rupture a été jugée abusive par la juridiction prud'homale au motif, en substance, que l'employeur n'avait pas permis à son salarié S... I... d'effectuer la visite médicale de reprise après son arrêt de travail consécutif à l'accident du 27/06/2009 et d'obtenir ainsi un avis médical d'aménagement de son poste de travail en fonction de ses séquelles. S... I... a été à nouveau embauché à compter du 22/03/2010, 40 jours après son licenciement, dans une autre étude d'huissier de justice, également par contrat à durée indéterminée, pour un emploi moins qualifié de clerc gestionnaire de dossier au coefficient 316, catégorie 6, dont il a démissionné le 23/04/2010, en période d'essai, "du fait de sa fatigabilité" selon l'explication qu'il a fournie au Docteur N... (rapport page 20). L'accès à l'emploi précité de clerc expert fait présumer que S... I... était titulaire du certificat de qualification professionnelle, requis pour ce poste. La classification professionnelle qu'il a produite (pièce n° 8-1) fait apparaître que l'emploi immédiatement supérieur est celui de responsable de service (catégorie 9, coefficient 422), mais n'est ouvert qu'aux titulaires de l'examen professionnel. Dès lors que S... I... n'a pas justifié de ce qu'il était titulaire de ce diplôme, ni de ce qu'il ait entrepris de se présenter aux épreuves permettant de l'obtenir, sa promotion à la fonction de responsable de service présente un caractère hypothétique et ne peut s'analyser en une perte de chance indemnisable. 3.2 - Le Docteur N... a énuméré les séquelles suivantes, que présente S... I... : - troubles cognitifs associant difficultés d'attention soutenue avec une fatigabilité à l'effort cognitif et fluctuation des ressources, - difficultés en mémoire de travail lors de tâches complexes, - altération des ressources en attention divisée, - troubles des fonctions exécutives touchant la flexibilité mentale, - troubles de la mémoire épisodique en rapport avec les troubles exécutifs, - ralentissement cognitif. L'Expert a retenu l'existence du retentissement professionnel suivant : aptitude à travailler à temps partiel ou à temps plein mais sur un poste moins exigeant que celui qu'il avait auparavant. Il s'en déduit que S... I... est demeuré apte à un emploi de clerc expert à temps partiel, ou à un emploi à temps complet moins qualifié et/ou induisant des responsabilités moindres, de sorte que l'incidence professionnelle qu'il subit est constituée non par l'obligation d'abandonner la profession précédemment exercée, mais par une dévalorisation dans l'exercice de cette profession. 3.3 - Par ailleurs, il résulte des séquelles énumérées par l'expert et il n'est pas contesté par la société MAIF que S... I... présente une fatigabilité accrue, qui sera évaluée au degré moyen, dans l'exercice de l'activité professionnelle. Compte tenu de son âge au jour de sa consolidation (46 ans) et de la durée prévisible (16 ans) durant laquelle il subira cette incidence professionnelle jusqu'à l'âge d'ouverture du droit à la retraite, l'indemnisation de ce poste de préjudice est liquidée à la somme de 40.000 €. Pour dévalorisation de degré 2 et pénibilité de degré 2, l'assistant donne 33.580 Pour dévalorisation de degré 2 et pénibilité de degré 3, l'assistant donne 51.770 » ;

ALORS en premier lieu QUE tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; que la motivation inachevée équivaut au défaut de motivation ; qu'en l'espèce, l'arrêt mentionne, d'une part, « K..., ça te rappelle quelque chose ?
» (page 7, alinéa 6) et d'autre part « Pour dévalorisation de degré 2 et pénibilité de degré 2, l'assistant donne 33.580. Pour dévalorisation de degré 2 et pénibilité de degré 3, l'assistant donne 51.770 » (page 9, alinéa 7), motifs qui reflètent des discussions inabouties entre magistrats de la juridiction collégiale ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a statué par une motivation inachevée, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

ALORS en deuxième lieu QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties, qui sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense ; qu'en évaluant à 135.497,40 euros le préjudice subi par M. I... au titre de la perte de gains professionnels futurs, quand la société MAIF proposait elle-même, dans ses écritures d'appel, une indemnisation de 148.692 euros à ce titre, la cour d'appel a méconnu les termes du litige en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;

ALORS en troisième lieu QUE le juge ne peut refuser d'évaluer le montant d'un préjudice dont il a admis l'existence en son principe en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ; qu'en refusant d'évaluer le préjudice de M. I... résultant de sa perte de droits de retraite, en se fondant sur sa carence probatoire qui ne permettrait pas de déterminer le salaire moyen constituant l'assiette de calcul de la pension de retraite à laquelle il aurait pu prétendre sans la survenance de l'accident et le salaire moyen qui sera susceptible d'être effectivement pris en compte pour la liquidation de sa retraite, après avoir pourtant reconnu le principe de ce préjudice, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

ALORS en quatrième lieu QUE le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était point produit ; qu'en l'espèce, pour débouter M. I... de sa prétention indemnitaire au titre de la perte d'une indemnité de fin de carrière, la cour d'appel a retenu que cette perte ne pourrait être indemnisée qu'au titre de l'incidence professionnelle qui n'a pas été remise en cause par la victime dans le cadre de son appel, et non pas au titre de la perte de gains professionnels futurs ; qu'en écartant ainsi la réparation d'un préjudice spécifique subi par M. I... , qui était pourtant expressément demandée en appel, et quelle que soit sa qualification dans la nomenclature Dintilhac, la cour d'appel a violé le principe d'une réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime, ensemble l'article 12 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 19-10523
Date de la décision : 26/11/2020
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 12 novembre 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 26 nov. 2020, pourvoi n°19-10523


Composition du Tribunal
Président : M. Pireyre (président)
Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:19.10523
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