LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° T 19-83.145 F-D
N° 2306
EB2
25 NOVEMBRE 2020
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 25 NOVEMBRE 2020
M. M... N... a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 5-14, en date du 26 février 2019, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 20 décembre 2017, n°16-81.680), pour abus de confiance, l'a condamné à deux ans d'emprisonnement, à une interdiction définitive de gérer, et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Wyon, conseiller, les observations de la SCP Boulloche, avocat de M. M... N..., les observations de Me Balat, avocat de Mme B... Y... et M. T... P..., parties civiles, et les conclusions de M. Valleix, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 octobre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Wyon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. et Mme P..., qui ont souhaité investir dans un placement aux fins de défiscalisation, ont, par l'intermédiaire de la société Actigest Finance, dirigée par M. M... N..., acquis en septembre 2003, pour la somme de 833 216 euros, la nue-propriété de 14 516 parts sociales de la société Altinvest 2013, société civile immobilière à capital variable constituée à cet effet, destinée à l'acquisition et à la gestion de participations dans des sociétés civiles immobilières. Les sommes ainsi investies par les époux P... ont été employées par Altinvest 2013 pour acquérir auprès de la société de gestion UFG, des parts de différentes sociétés civiles de placements immobiliers.
3. En 2009, les époux P... ayant souhaité se désengager de manière anticipée de la société Altinvest et récupérer leurs fonds, la société Actigest Finance, par l'intermédiaire de M. N..., a donné l'ordre à la société UFG de vendre la totalité du portefeuille de SCPI détenu par la société Altinvest 2013. Ces parts ont ainsi été vendues entre le 31 juillet 2009 et 31 mars 2010, pour la somme totale de 1 286 318,61 euros.
4. Le 31 juillet 2009, des conventions de prêt ont été établies entre Altinvest 2013 et cinq sociétés dont M. N... avait le contrôle, les sociétés Fiflu, Alchimy, Odyssée, Labrador Conseil, et Granit. Le produit de la vente des parts de SCPI versé au compte de la société Altingest 2013, a été transféré par M. N... sur les comptes de ces cinq sociétés sans que les époux P... en soient avisés.
5. La dissolution anticipée de la société Altinvest 2013 a été décidée le 28 juillet 2010, mais les époux P... n'ont jamais pu obtenir restitution de leurs fonds. M. N... admettra les avoir transférés sans leur accord au crédit des comptes bancaires des sociétés Fiflu, Alchimy, Odyssée, Labrador Conseil et Granit, et employés à des placements spéculatifs en Afrique, sans être en mesure de les représenter, en raison d'avis à tiers détenteur émis par le Trésor public.
6. Par jugement du 2 septembre 2014, le tribunal correctionnel de Paris a déclaré M. N... coupable d'abus de confiance, et l'a condamné à deux ans d'emprisonnement, 50 000 euros d'amende, et une interdiction de gérer de cinq ans. Sur l'action civile, le tribunal a condamné M. N... à payer aux époux P... 1 031 477 euros en réparation de leur préjudice matériel, et un euro en réparation de leur préjudice moral.
7. Le prévenu et le ministère public ont fait appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le quatrième moyen
8. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur les premier et deuxième moyens
Énoncé des moyens
9. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. N... coupable des faits d'abus de confiance reprochés, alors :
« 1°/ que la citation qui fixe les limites de la saisine de la juridiction doit préciser clairement les faits qui sont reprochés au prévenu et le texte de loi qui les réprime ; qu'il s'en déduit que la citation doit être suffisamment précise pour se suffire à elle-même sans pouvoir être interprétée ou complétée ; qu'en l'espèce, pour statuer sur la culpabilité de M. N..., la cour a décidé que la prévention énonçant explicitement les termes de « parts sociales », il convenait de constater que cette terminologie imparfaite ne pouvait que se rapporter aux parts sociales des SCPI détenues par la société Altinvest 2013 et que la mention de la citation reprochant à M. N... d'« avoir vendu les parts sociales appartenant aux époux P... de la société civile Altinvest 2013 sans accord préalable de ces derniers et avoir transféré le produit de la vente au crédit des comptes bancaires des sociétés détenues par N... M... », mal formulée dans la citation, correspondait en réalité au fait d'avoir vendu les parts sociales détenues par la société civile immobilière Altinvest 2013 ; qu'en statuant ainsi, la cour a procédé à une interprétation des termes de la citation et a violé les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 551, 591 et 593 du code de procédure pénale et le principe de saisine in rem ;
2°/ que M. N... a été cité devant la juridiction correctionnelle pour « avoir entre le 18 juin 2009 et le 20 avril 2010,
vendu les parts sociales appartenant aux époux P... de la société civile Altinvest 2013, sans accord préalable de ces derniers et avoir transféré le produit de la vente au crédit des comptes bancaires des sociétés détenues par N... M... » ; qu'en décidant que cette citation devait en réalité se comprendre comme reprochant à M. N... d'avoir vendu les parts sociales détenues par la SCI Altinvest 2013 et avoir transféré sans accord préalable des époux P... le produit de la vente au crédit des comptes bancaires des sociétés détenues par M. N..., la cour d'appel en a dénaturé les termes, violant ainsi les articles 551, 591 et 593 du code de procédure pénale, le principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents qui lui sont soumis et le principe de saisine in rem. »
10. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. N... coupable des faits d'abus de confiance reprochés au préjudice des époux P..., alors « que le délit d'abus de confiance suppose le fait pour une personne de détourner au préjudice d'autrui des fonds ou valeurs qui lui ont été remis à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé ; qu'en l'espèce, il est acquis que les fonds provenant de la vente des parts de SCPI appartenant à la société Altinvest 2013 ont été déposés sur le compte de la société Altinvest 2013 puis transférées à d'autres sociétés dirigées par M. N... ; que seule la société Altinvest pouvait éprouver un préjudice résultant de l'usage de ses actifs à d'autres fins que celles autorisées par ses statuts ; qu'en déclarant cependant le délit d'abus de confiance constitué au préjudice des époux P... dès lors que M. N... avait transféré les sommes qui étaient disponibles sur le compte bancaire de la société Altinvest 2013 vers d'autres comptes bancaires de sociétés qu'il contrôlait, sans l'accord des époux P... et contrairement à leurs intérêts et à l'objet social de la société Altinvest, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et violé l'article 314-1 du code pénal. »
Réponse de la Cour
11. Les moyens sont réunis.
12. Pour déclarer M. N... coupable du délit d'abus de confiance commis au préjudice des époux P..., et condamner celui-ci à leur verser des dommages-intérêts, l'arrêt attaqué énonce que la citation, qui mentionne le fait d'avoir "vendu les parts sociales appartenant aux époux P... de la société civile Altinvest 2013 sans accord préalable de ces derniers, et transféré le produit de la vente au crédit des comptes bancaires des sociétés détenues par M. N...", reproche au prévenu d'avoir en l'espèce vendu les parts sociales détenues par la société civile immobilière Altinvest 2013, et d'avoir transféré le produit de la vente sans accord préalable des époux P... au crédit des comptes bancaires des sociétés détenues par M. N....
13. Les juges ajoutent que la maladresse de rédaction de la citation ne laisse aucun doute sur l'élément matériel de l'infraction et sur les parts sociales visées, qui ne peuvent être celles des époux P..., mais uniquement celles de la société Altinvest elle-même.
14. Ils retiennent que M. N... a été mis en situation de pouvoir se défendre sur la circonstance relevée, tant lors de l'enquête que devant les juridictions de jugement, et que dans la mesure où il n'y a pas lieu à un quelconque ajout ni substitution de faits de la prévention, la comparution volontaire du prévenu n'est pas nécessaire.
15. La cour d'appel énonce encore que les époux P..., en leur qualité d'associés de la société civile Altinvest 2013, étaient personnellement et solidairement tenus du passif éventuel de cette société sur leurs biens propres, et avaient vocation à recevoir l'intégralité des bénéfices dégagés, que le patrimoine d'une telle société se confond avec celui de ses membres, et qu'ainsi toute atteinte au patrimoine social de cette société occasionne un préjudice direct au patrimoine de chaque associé dans la limite de ses droits sociaux.
16. Elle relève qu'il est constant que les époux P... ont versé à la société Altinvest 2013, par l'entremise de M. N..., la somme de 833 216 euros, à charge pour Altinvest 2013 d'employer ces sommes exclusivement à l'acquisition et la gestion de parts de SCPI, que les sommes disponibles sur le compte d'Altinvest 2013 ne pouvaient être employées à des fins autres que celles prévues aux statuts, lesquels prévoyaient que "la société a pour objet exclusif l'acquisition et la gestion d'un patrimoine immobilier locatif constitué de parts de Sociétés Civiles de Placements Immobiliers", et que M. N... a lui-même reconnu, dans des écrits et déclarations, tout au long de la procédure, y compris lors de l'audience devant le tribunal correctionnel, que le produit de la cession devait être versé aux époux P... et non être réemployé, et encore moins à des fins non prévues statutairement, telles que des conventions de prêt ou l'achat d'or.
17. Les juges concluent que M. N..., en transférant les sommes qui étaient disponibles sur le compte bancaire de la société Altinvest 2013 vers d'autres comptes bancaires de sociétés qu'il contrôlait, tout en se voyant notifier des avis à tiers détenteur, a sciemment détourné les fonds de l'usage qui leur était réservé, se comportant comme le propriétaire des sommes provenant de la cession des parts de SCPI dont le produit était en partie destiné aux époux P..., tout en sachant qu'il ne serait plus en mesure de leur représenter ces sommes qui n'étaient plus disponibles.
18. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision, et n'a méconnu aucun des textes visés aux moyens.
19. En effet, en premier lieu, elle a pu considérer, au regard de l'ensemble des éléments de fait qu'elle a exposés ainsi que des déclarations de M. N... en procédure, que si les termes de la citation faisant état des "parts sociales appartenant aux époux P... de la société civile Altinvest 2013", et ne pouvaient être interprétés autrement que comme se rapportant aux parts sociales détenues par la société Altinvest 2013 dans des SCPI, les fonds dont il était reproché le détournement correspondaient à l'apport des époux P..., et que cette atteinte au patrimoine de la société Altinvest 2013 s'étendait au patrimoine de chaque associé, dans la limite de ses droits sociaux.
20. En second lieu, elle a énoncé les raisons pour lesquelles le prévenu n'a pu se méprendre sur les faits qui lui étaient reprochés, et a été en mesure de se défendre sur cette accusation.
21. Dès lors, les moyens ne sont pas fondés.
Sur le troisième moyen
Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. et Mme P... recevables en leur constitution de partie civile et condamné M. N... à leur verser une somme de 976 315,82 euros en réparation de leur préjudice économique, outre une somme de un euro en réparation de leur préjudice moral, alors « que le droit d'exercer l'action civile devant la juridiction pénale n'appartient qu'à ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ; que pour déclarer recevable la constitution de partie civile de M. et Mme P... et condamner M. N... à leur verser des dommages-intérêts d'un montant de 976 315,82 euros, la cour d'appel a retenu qu'en leur qualité d'associés de la société Altinvest, ils avaient vocation à recevoir l'intégralité des bénéfices dégagés par la société et avaient subi un préjudice direct et personnel résultant de l'utilisation sans leur accord des fonds appartenant à la société Altinvest par le gérant de cette dernière ; qu'en statuant ainsi, alors que M. et Mme P... associés de la société Altinvest 2013 n'étaient ni propriétaires ni détenteurs des fonds prétendument détournés par M. N..., la cour d'appel a violé les articles 314-1 du code pénal, 2 et 3 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
22. Pour condamner M. N... à verser des dommages-intérêts aux époux P..., l'arrêt attaqué énonce, sur l'action civile, que ces derniers justifient d'un préjudice certain, direct et personnel, dès lors que M. N... a transféré sans rien leur dire et sans leur consentement notamment 728 000 euros alors qu'ils devaient nécessairement recevoir une partie du produit des cessions de parts, et que leurs droits acquis sur le boni de liquidation envisagé ont été compromis par le détournement.
23. En prononçant ainsi, la cour d'appel, qui a constaté que le produit de la vente des parts sociales, détourné par M. N... au profit de sociétés qu'il gérait à l'insu des parties civiles, n'a pas permis de restituer à celles-ci les sommes qui devaient leur revenir, et a ainsi souverainement apprécié en quoi, compte tenu à la fois de leur qualité d'investisseurs et d'associés de la société civile Altinvest 2013, les faits avaient causé un préjudice direct et personnel aux époux P..., n'encourt pas le grief allégué.
24. D'où il suit que le moyen doit être écarté.
25. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que M. M... N... devra payer aux parties représentées par Me Balat, avocat à la Cour, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-cinq novembre deux mille vingt.